mardi 23 juin 2015

Pourquoi dépèce-t-on le DPC ?

Docteur Michel Limousin - Fédéforma

 La formation continue des professionnels de santé même si elle ne fait pas vraiment l’actualité du ministère et des médias, est une question centrale de toute politique de santé. Depuis quatre décennies la médecine a profondément évolué. Elle est devenue scientifique et les connaissances se sont transformées : qu’on songe à l’arrivée des nouveaux moyens d’exploration, aux nouvelles thérapeutiques issues de la révolution des biotechnologies, à l’émergence de la génétique, à la numérisation de l’ensemble du champ de la santé, à la montée en charge des connaissances en santé publique, à l’exigence d’une médecine « par les preuves ». Tout ceci réécrit la nosographie, les concepts, les moyens d’action, les méthodes de travail dont le travail d’équipe par exemple mais aussi l’exigence du public et de la loi. L’obligation de la mise à jour des connaissances s’impose et nécessite des moyens nouveaux.

L’obligation prévue depuis longtemps dans le code de déontologie des médecins (Article 11 : "Tout médecin entretient et perfectionne ses connaissances dans le respect de son obligation de développement professionnel continu") a montré son insuffisance quand elle n’est pas assortie de moyens concrets de la réaliser. Cette évolution a un coût mais ne pas la mettre en œuvre aurait un coût supérieur. Coût humain en souffrance évitée ou non, en iatrogénie, en temps de vie. Coût en terme financier par perte de chance, de capacité de production et de dépenses inutiles. La crise économique et financière oblige d’autant plus par la rareté des ressources disponibles qu’elle organise, à une politique de formation structurée et cohérente autour d’une ambition qui doit être partagée par tous les acteurs. Cela concerne l’ensemble des professions de santé.

Retour sur l’histoire de la formation continue 
Elle s’est développée depuis les années soixante essentiellement autour d’initiatives locales souvent financées par l’industrie pharmaceutique qui y voyait son intérêt. Tard le soir, séances courtes après des journées harassantes. Aucun des principes de bases d’une bonne formation n’étaient réunis. Certains ont eu l’ambition de structurer le mouvement et se sont ainsi créées des associations nationales et régionales pionnières dans le domaine ; citons par exemple l’Unaformec. Ce travail s’est fait sans moyens publics dédiés et la lutte pour l’indépendance vis à vis des laboratoires pharmaceutiques chez les médecins et des fournisseurs chez les chirurgiens dentistes a été très difficile. Dans les années 80, les dirigeants de l’Unaformec estimaient que seulement 17% des médecins libéraux s’investissaient dans une formation sérieuse. C’est dire l’ampleur du problème. Lors d’une réunion en 2011 le ministère a déclaré que seuls 18% des médecins suivaient réellement une formation. Aucun progrès…

Un premier progrès a été réalisé au début des années 2000 lorsqu’est entré dans la convention avec l’Assurance Maladie, un financement pour ces formations. Une structuration s’est mise en place dans laquelle les syndicats libéraux ont joué un rôle majeur. Mais toute chose dérivant un jour ou l’autre, certains ont vu là le moyen de financer les dites organisations syndicales, voire parfois les dirigeants eux-mêmes. La chronique judiciaire s’est alors illustrée de ces faits.

En 2009 lors de la mise en place de la loi Bachelot – à ma grande surprise, je dois le dire – a été créée une nouvelle procédure : le DPC. Le développement professionnel continu : obligatoire pour tous, ouvert à toutes les professions de santé, soumis à une exigence méthodologique contrôlée par la Haute autorité de Santé et géré par un organisme public : l’OGDPC. Le financement était mixte : Etat et Sécurité sociale. La gestion directe de l’OGDPC était assurée par des agents de l’Etat et de la Sécurité sociale mais les professionnels avaient voix au chapitre pour tout ce qui est qualité, évaluation et orientation pédagogique générale. Le système s’est mis en œuvre assez rapidement et les difficultés techniques naturelles de début d’une telle entreprise de grande ampleur se sont progressivement estompées. L’ambition était bien de mettre en formation un million six cents mille professionnels.

Le démarrage de ce DPC a été assez lent. En 2014, seuls 43 000 médecins différents sur 210 000 s’étaient inscrits à un programme, 32 500 infirmiers sur 500 000, 23 000 pharmaciens et 13 500 kinésithérapeutes. 2 800 organismes ont été enregistrés et 23 900 programmes ont été déposés. Ce n’est pas négligeable mais les annonces de réforme et en particulier la fin de l’obligation réelle et contrôlée ont cassé la dynamique d’inscription. Environ 135 millions d’euros ont été engagés.

Les principaux avantages de cette organisation étaient les suivants :
·       financement public
·       garantie éthique sur la bonne gestion financière et administrative
·       implication des professionnels dans la définition de la pédagogie et de la qualité
·       toutes les professions, tous les modes d’exercice étaient impliqués ; pour une fois une sorte d’unité de fait des professions de santé pouvait être ressentie
·       opérationnalité  rapide des programmes de formation
·       niveau très correct des moyens mis à disposition
·       mise hors circuit de l’industrie pharmaceutique

Des problèmes néanmoins sont apparus :
·       un certain esprit tatillon pour l’agrément des organismes formateurs lié à ce qu’un collègue appelle la « pédagologie »
·       la possibilité pour des organismes à but lucratif qui n’ont rien à voir avec la médecine d’être agréés
·       une action de dénigrement de l’OGDPC assez systématique de la part de syndicats - particulièrement libéraux - avec le regret assez évident de la perte de contrôle des finances de leur part

La politique d’austérité du gouvernement est aussi passée par là et a fait le reste : restriction des dépenses publiques obligeant, l’Etat s’est retiré du financement du DPC en 2014, laissant à la seule charge de la Sécurité sociale le soin de régler la facture. Le bouleversement introduit par cette politique a induit la nécessité d’une réorganisation. La première mesure prise par les gestionnaires a été à l’automne 2014 de réduire les droits d’accès à la formation des professionnels : un seul stage par an.

Seulement 26 % de la population cible a suivi un DPC. Les budgets de l’OGDPC sont déjà fixés jusqu’en 2017, par la commission d’orientation et de gestion qui lie l’Etat à la caisse nationale d’assurance maladie, soit 162 millions d’euros en 2015 et 182 en 2016 (pour rappel 166 millions en 2014). Or, si tous les professionnels de santé bénéficiaient du dispositif comme la loi l’impose, c’est sur un budget de 580 millions annuels qu’il faudrait s’appuyer (L’IGAS a calculé que si tous les professionnels suivaient une formation annuelle, il en coûterait 580 millions d’euros par an).

Le ministère a ouvert une pseudo concertation en début d’année 2015 pour préparer une grande réforme susceptible d’être inscrite dans la loi santé à venir. Une note interne du cabinet ministériel « tombée du camion » par hasard et rendue donc publique montrait que tout était déjà bouclé par avance.

Bref, il était proposé :
1)    une redéfinition du DPC disant que la FMC n’en faisait pas partie… et proposant que seule l’Évaluation des pratiques professionnelle (EPP) soit financée par l’OGDPC.
2)    un recentrage sur le « cœur de métier » : le soin. Ainsi passaient à la trappe les médecins de prévention (soit 30 000 salariés). Comme ils n’étaient pas invités à la concertation, personne n’a défendu leur cause : la prévention toujours méprisée comme d’habitude.
3)    Un recul de l’obligation de formation : on passe d’une obligation annuelle à 3 ou 5 ans. Ainsi les professionnels en fin de carrière ne seront tenus de fait à rien (autant d’économie). Et une obligation pluriannuelle ne rime à rien.
4)    L’OGDPC serait supprimé : cela ouvre la porte au retour d’un système conventionnel géré par les syndicats.
5)    Un engagement portant sur l’enveloppe serait pris pour trois ans : façon rassurante de dire que les fonds sont bloqués et qu’il n’y aura pas de développement du système.
6)    Pour les médecins salariés retour au financement par l’employeur comme avant.

Tout ceci est navrant : c’est la fin annoncée du DPC.

Une autre politique serait possible :
·       maintenir le financement d’Etat et par là-même permettre à toutes les professions de bénéficier de ce système (l’Assurance maladie déclare ne vouloir financer que les professionnels de soin) : garder le caractère universel de l’accès à la formation puisque l’obligation est universelle.
·       maintenir l’obligation annuelle de formation et la contrôler selon le mécanisme prévu antérieurement.
·       poursuivre une politique de qualité contrôlée par les professionnels.
·       ne pas réintroduire les syndicats dans la gestion directe du système car au fond les professionnels ne sont pas propriétaires de cet argent public. Ils en sont les bénéficiaires.
·       supprimer de la formation les organismes à but lucratif (il est répondu par le ministère que c’était impossible du fait de la réglementation européenne libérale : alors modifions cette réglementation ou bien trouvons des solutions techniques qui découragent les prédateurs).

Une seule question devrait être posée : quels sont les besoins ? Personnellement je pense qu’il faut un milliard pour avoir un bon système dynamique pour l’ensemble des professionnels. Cette estimation est supérieure à celle un peu timide de l’IGAS. Eu égard aux enjeux des dépenses de santé (de l’ordre de 250 milliards), c’est raisonnable et les retours sont certains. Souvenons-nous que l’Etat a pu faire un chèque sans retour de 2,2 milliards à la Société Générale pour la dédommager des pertes provoquées par l’affaire Kerviel… On pourrait prendre d’autres exemples.

Oui, la formation continue des professionnels de santé est le passage obligé vers progrès de la santé dans notre pays.