Docteur Michel Limousin - Fédéforma
La formation continue des professionnels de santé même si elle ne fait pas vraiment l’actualité du ministère et des médias, est une question centrale de toute politique de santé. Depuis quatre décennies la médecine a profondément évolué. Elle est devenue scientifique et les connaissances se sont transformées : qu’on songe à l’arrivée des nouveaux moyens d’exploration, aux nouvelles thérapeutiques issues de la révolution des biotechnologies, à l’émergence de la génétique, à la numérisation de l’ensemble du champ de la santé, à la montée en charge des connaissances en santé publique, à l’exigence d’une médecine « par les preuves ». Tout ceci réécrit la nosographie, les concepts, les moyens d’action, les méthodes de travail dont le travail d’équipe par exemple mais aussi l’exigence du public et de la loi. L’obligation de la mise à jour des connaissances s’impose et nécessite des moyens nouveaux.
L’obligation prévue depuis longtemps dans le code de déontologie des médecins (Article 11 : "Tout médecin entretient et perfectionne ses
connaissances dans le respect de son obligation de développement professionnel
continu") a montré son insuffisance quand elle n’est pas assortie de moyens
concrets de la réaliser. Cette évolution a un coût mais ne pas la mettre en
œuvre aurait un coût supérieur. Coût humain en souffrance évitée ou non, en
iatrogénie, en temps de vie. Coût en terme financier par perte de chance, de
capacité de production et de dépenses inutiles. La crise économique et
financière oblige d’autant plus par la rareté des ressources disponibles
qu’elle organise, à une politique de formation structurée et cohérente autour
d’une ambition qui doit être partagée par tous les acteurs. Cela concerne
l’ensemble des professions de santé.
Elle s’est développée depuis les années soixante
essentiellement autour d’initiatives locales souvent financées par l’industrie
pharmaceutique qui y voyait son intérêt. Tard le soir, séances courtes après
des journées harassantes. Aucun des principes de bases d’une bonne formation
n’étaient réunis. Certains ont eu l’ambition de structurer le mouvement et se
sont ainsi créées des associations nationales et régionales pionnières dans le
domaine ; citons par exemple l’Unaformec. Ce travail s’est fait sans
moyens publics dédiés et la lutte pour l’indépendance vis à vis des
laboratoires pharmaceutiques chez les médecins et des fournisseurs chez les
chirurgiens dentistes a été très difficile. Dans les années 80, les dirigeants
de l’Unaformec estimaient que seulement 17% des médecins libéraux
s’investissaient dans une formation sérieuse. C’est dire l’ampleur du problème.
Lors d’une réunion en 2011 le ministère a déclaré que seuls 18% des médecins
suivaient réellement une formation. Aucun progrès…
Un premier progrès a été réalisé au début des années 2000
lorsqu’est entré dans la convention avec l’Assurance Maladie, un financement
pour ces formations. Une structuration s’est mise en place dans laquelle les
syndicats libéraux ont joué un rôle majeur. Mais toute chose dérivant un jour
ou l’autre, certains ont vu là le moyen de financer les dites organisations
syndicales, voire parfois les dirigeants eux-mêmes. La chronique judiciaire
s’est alors illustrée de ces faits.
En 2009 lors de la mise en place de la loi Bachelot – à ma
grande surprise, je dois le dire – a été créée une nouvelle procédure : le
DPC. Le développement professionnel continu : obligatoire pour tous,
ouvert à toutes les professions de santé, soumis à une exigence méthodologique contrôlée
par la Haute autorité de Santé et géré par un organisme public : l’OGDPC.
Le financement était mixte : Etat et Sécurité sociale. La gestion directe
de l’OGDPC était assurée par des agents de l’Etat et de la Sécurité sociale
mais les professionnels avaient voix au chapitre pour tout ce qui est qualité,
évaluation et orientation pédagogique générale. Le système s’est mis en œuvre
assez rapidement et les difficultés techniques naturelles de début d’une telle
entreprise de grande ampleur se sont progressivement estompées. L’ambition
était bien de mettre en formation un million six cents mille professionnels.
Le démarrage de ce DPC a été assez lent. En 2014, seuls 43
000 médecins différents sur 210 000 s’étaient inscrits à un programme, 32 500 infirmiers
sur 500 000, 23 000 pharmaciens et 13 500 kinésithérapeutes. 2 800 organismes
ont été enregistrés et 23 900 programmes ont été déposés. Ce n’est pas
négligeable mais les annonces de réforme et en particulier la fin de
l’obligation réelle et contrôlée ont cassé la dynamique d’inscription. Environ
135 millions d’euros ont été engagés.
Les principaux avantages de cette organisation étaient les
suivants :
· financement public
· garantie éthique sur la bonne gestion financière et
administrative
· implication des professionnels dans la définition de la
pédagogie et de la qualité
· toutes les professions, tous les modes d’exercice étaient
impliqués ; pour une fois une sorte d’unité de fait des professions de
santé pouvait être ressentie
· opérationnalité
rapide des programmes de formation
· niveau très correct des moyens mis à disposition
· mise hors circuit de l’industrie pharmaceutique
Des problèmes néanmoins sont apparus :
· un certain esprit tatillon pour l’agrément des organismes
formateurs lié à ce qu’un collègue appelle la « pédagologie »
· la possibilité pour des organismes à but lucratif qui n’ont
rien à voir avec la médecine d’être agréés
· une action de dénigrement de l’OGDPC assez systématique de
la part de syndicats - particulièrement libéraux - avec le regret assez évident
de la perte de contrôle des finances de leur part
La politique d’austérité du gouvernement est aussi passée
par là et a fait le reste : restriction des dépenses publiques obligeant,
l’Etat s’est retiré du financement du DPC en 2014, laissant à la seule charge
de la Sécurité sociale le soin de régler la facture. Le bouleversement
introduit par cette politique a induit la nécessité d’une réorganisation. La
première mesure prise par les gestionnaires a été à l’automne 2014 de réduire les
droits d’accès à la formation des professionnels : un seul stage par an.
Seulement 26 % de la
population cible a suivi un DPC. Les
budgets de l’OGDPC sont déjà fixés jusqu’en 2017, par la commission
d’orientation et de gestion qui lie l’Etat à la caisse nationale d’assurance
maladie, soit 162 millions d’euros en 2015 et 182 en 2016 (pour rappel 166
millions en 2014). Or, si tous les professionnels de santé bénéficiaient du
dispositif comme la loi l’impose, c’est sur un budget de 580 millions annuels qu’il
faudrait s’appuyer (L’IGAS a calculé que si tous les professionnels suivaient
une formation annuelle, il en coûterait 580 millions d’euros par an).
Le ministère a ouvert une pseudo concertation en début
d’année 2015 pour préparer une grande réforme susceptible d’être inscrite dans
la loi santé à venir. Une note interne du cabinet ministériel « tombée du
camion » par hasard et rendue donc publique montrait que tout était déjà
bouclé par avance.
Bref, il était
proposé :
1)
une redéfinition du DPC disant que la
FMC n’en faisait pas partie… et proposant que seule l’Évaluation des pratiques
professionnelle (EPP) soit financée par l’OGDPC.
2)
un recentrage sur le « cœur de
métier » : le soin. Ainsi passaient à la trappe les médecins de
prévention (soit 30 000 salariés). Comme ils n’étaient pas invités à la
concertation, personne n’a défendu leur cause : la prévention toujours
méprisée comme d’habitude.
3)
Un recul de l’obligation de
formation : on passe d’une obligation annuelle à 3 ou 5 ans. Ainsi les
professionnels en fin de carrière ne seront tenus de fait à rien (autant
d’économie). Et une obligation pluriannuelle ne rime à rien.
4)
L’OGDPC serait supprimé : cela
ouvre la porte au retour d’un système conventionnel géré par les syndicats.
5)
Un engagement portant sur l’enveloppe
serait pris pour trois ans : façon rassurante de dire que les fonds sont
bloqués et qu’il n’y aura pas de développement du système.
6)
Pour les médecins salariés retour au
financement par l’employeur comme avant.
Tout ceci est navrant : c’est la fin annoncée du DPC.
Une autre politique
serait possible :
· maintenir le financement d’Etat et par là-même permettre à
toutes les professions de bénéficier de ce système (l’Assurance maladie déclare
ne vouloir financer que les professionnels de soin) : garder le caractère
universel de l’accès à la formation puisque l’obligation est universelle.
· maintenir l’obligation annuelle de formation et la contrôler
selon le mécanisme prévu antérieurement.
· poursuivre une politique de qualité contrôlée par les professionnels.
· ne pas réintroduire les syndicats dans la gestion directe du
système car au fond les professionnels ne sont pas propriétaires de cet argent
public. Ils en sont les bénéficiaires.
· supprimer de la formation les organismes à but lucratif (il
est répondu par le ministère que c’était impossible du fait de la
réglementation européenne libérale : alors modifions cette réglementation
ou bien trouvons des solutions techniques qui découragent les prédateurs).
Une seule question devrait être posée : quels sont les
besoins ? Personnellement je pense qu’il faut un milliard pour avoir un
bon système dynamique pour l’ensemble des professionnels. Cette estimation est
supérieure à celle un peu timide de l’IGAS. Eu égard aux enjeux des dépenses de
santé (de l’ordre de 250 milliards), c’est raisonnable et les retours sont
certains. Souvenons-nous que l’Etat a pu faire un chèque sans retour de 2,2
milliards à la Société Générale pour la dédommager des pertes provoquées par
l’affaire Kerviel… On pourrait prendre d’autres exemples.
Oui, la formation continue des professionnels de santé est
le passage obligé vers progrès de la santé dans notre pays.