Marc Schoene – 7 août 2015
Une carrière
professionnelle de quelques décennies, dont l’essentielle partie consacrée aux
centres de santé, produit entre autres... une accumulation de souvenirs et de
... dossiers. C’est un de mes
dossiers d’archives – celui d’ « Intercentres 93 » que je
présente par ce texte. J’ai pensé opportun d’exploiter aujourd’hui ce dossier,
pour mon intérêt personnel, pour le faire connaître à ceux qui s’intéressent
aux centres de santé, à leurs formes d’animation et de gestion, à ceux qui réfléchissent
aux questions d’organisation et d’animation de la santé au plus près de leurs
divers acteurs.
Les
quelques propos ici énoncés ne sauraient qu’engager ma propre lecture de cette
aventure professionnelle, et bénéficierait de contributions critiques, d’apports
de documents manquants, et, pourquoi pas, de travaux plus spécifiques sur telle
ou telle question ou tel ou tel sujet contenus dans ce dossier partiel – et
limité à la période 1976-1995 - sur « Intercentres 93 »
« Intercentres « 93 »
est une association loi 1901, réunissant, comme ses statuts déposés en 1981 l’indiquent,
les médecins-directeurs, chefs ou responsables des centres de santé municipaux
de la Seine Saint-Denis, et ayant pour objet « de constituer un groupe de
réflexion et d’études (confrontation d’expériences, organisation de conférences,
de stages de formation et autres formes d’enseignement. Elle pourra par ses
suggestions et par son action participer à l’organisation technique, économique
et sociale de la Médecine et de l’Hygiène (...)»
Un
club auquel j’ai appartenu, sur l’essentiel de ma carrière de médecin-directeur
des services de santé de la ville de Saint-Denis. Un club qui m’aura permis, au
début de ma carrière de médecin-chef, de recevoir des avis, des informations, des
conseils avisés de mes aînés, pour une fonction complexe, exigeante, à laquelle
ni les bancs de la faculté, ni aucune école adaptée n’auraient à l’époque pu me
former. Un club dont j’ai conservé quelques traces, sur la période 1976- 1995, à
travers mes notes manuscrites, de nombreux ordres du jour des réunions d’ « Intercentres 93»,
et de quelques précieux documents liés. Un ensemble d’archives que j’ai conservé
pour la richesse de ce qu’ils ont constitué pour mon exercice professionnel, et
pour la lecture que pourraient en faire des observateurs curieux d’une période
féconde d’animation médicale
locale en santé.
Des
regroupements organisés de médecins-chefs de centres de santé ont existé sur d’autres
lieux que la Seine Saint-Denis, mais, à ma connaissance, moins structurés qu’ « Intercentres
93 ». Une tentative de fédérer les médecins-chefs de l’ensemble de l’Ile
de France, en dépit de quelques rares échanges, n’a jamais pu voir le jour dans
la période que couvre ce dossier.
« Intercentres
93 » aura été un rassemblement de personnalités unies par leur fonction, pour
partie, comparable dans les villes de Seine Saint-Denis ayant des centres de
santé : des médecins, et seuls des médecins, pour la plupart généralistes,
cumulant – c’était une heureuse originalité de la fonction, une activité de
consultation, une activité de direction de service de santé et des interventions
en santé publique.
Les titres des membres d’ « Intercentres
93 » varient d’une ville à une autre, puisque le poste n’existait dans
aucune nomenclature : médecin-chef, médecin-responsable, médecin-directeur...
Comme en attestent nombre
de documents ces communément appelés alors « médecins-chefs » investissent pour la plupart les fonctions et
domaines particulièrement divers : gestion de personnel, actions de prévention,
gestion financière, avis et expression sur le politique ou le syndical.
Médecin-chef
un poste méli-mélo original qui n’est pas sans difficultés, sujet de débat
interne à l’association, de débat dans chaque ville avec les autres catégories
de personnel (et particulièrement les confrères chirurgiens-dentistes !)
avec les cadres administratifs, et notamment les secrétaires généraux (devenus
directeurs généraux), avec les élus. Comment en effet éviter ces débats quand
aucun profil de poste officiel n’existe, que les missions dévolues aux médecins-chefs
varient d’une ville à une autre, que le contexte de marginalité et de fragilité
des centres de santé amènent les médecins-chefs à cumuler des fonctions
professionnelles diverses avec des engagements politiques et syndicaux
permanents. Ici la phrase de Michel Bass « la promotion de la santé est
politique » est clairement mise en œuvre... ?
Un méli-mélo qui a amené « Intercentres
93 » à plusieurs reprises à traiter, sous des formes diverses, du rôle des
médecins-chefs et au-delà de la place et du rôle des centres de santé comme
pour exemples :
. Courrier d’ « Intercentres
93 » aux Maires pour soutenir les revendications des infirmières des
centres de santé
.
Courrier d’ « Intercentres 93 » aux Maires du Département de la Seine
Saint-Denis le 4 novembre 1985 pour une critique forte et argumentée des
attaques contre le service de santé scolaire.
Nombreux sont les textes
de mes archives qui attestent des difficultés nombreuses rencontrées par les
centres de santé (appelés ainsi par volontariste anticipation, puisque leur nom
officiel de » dispensaires » ne sera transformé en « centre
de santé » qu’avec un décret de
1991).
-
difficultés
semées par l’Ordre des Médecins sur la route des centres de santé
-
remise
en cause du tiers-payant pour les actes de laboratoire avec la complicité
active de laboratoires hostiles aux prélèvements biologiques effectués par les
centres de santé à la grande satisfaction de leur patientèle
-
difficultés
rencontrées par les municipalités gestionnaires
« Intercentres 93 »
sans cesse préoccupé du devenir des centres de santé, marginaux, fragilisés par
leurs coûts, l’hostilité forte de la majorité du secteur libéral, a aussi été à
l’initiative de journées d’information et de promotion des centres de santé.
Les ordres du jour et nombre
de documents témoignent d’une préoccupation permanente d’ « Intercentres
93 » en matière de gestion des centres de santé, et d’échanges de données
les concernant, et pour exemples :
.
comparaison des tarifs dentaires hors nomenclature appliqués par les divers
centres
.
publication du « bilan de fonctionnement 1992 des centres de santé –activités
médicales »
. coût
de la gestion administrative du tiers-payant...
Le parcours du dossier
permet de trouver de nombreux documents qui traitent de la place des médecins-chefs
dans l’organisation et l’intervention municipale en santé. Une mine d’éléments
qui traitent de ce qu’est, pourrait être, devrait être, avec des avis qui
peuvent diverger entre médecins-chefs, la fonction d’animateur local de santé :
d’une fonction circonscrite de directeur de centre de santé à celle d’animateur
de l’ensemble des activités et services de santé publique municipaux, voire de
coordinateur avec les autres acteurs de santé intervenant sur la ville :
PMI, secteur libéral, hôpital...
Un débat sur le périmètre
de la fonction redondant dans l’association « Intercentres 93 », d’autant
que certains médecins-chefs étaient aussi directeurs d’un service communal d’hygiène et de santé,
et que les évolutions des compétences réglementaires des collectivités
territoriales en santé a impacté ce débat important (quel changement politique
majeur entre le rôle accordé aux villes par la loi de santé publique de 1902 et
les lois de décentralisation de 1983 qui le réduisent à portion congrue...)
La lecture des ordres du jour montre l’étendue des
sujets abordés par « Intercentres 93 » au fil de ses réunions
strictement mensuelles et tenues chacune un jour différent de la semaine (du
lundi au vendredi puis retour...) et sur une longue période dans une même
ville. (Drancy, Bobigny, Bagnolet).
Citons pour en souligner
la diversité, et non l’exhaustivité, quelques sujets abordés dans les réunions
d’ « Intercentres 93 » :
. la formation continue
des personnels des centres de santé
. les modalités diverses
de passation des marchés pour les actes de laboratoire
. les modifications de la
valeur du ticket modérateur en kinésithérapie
. l’opération anti-poux
. le fonctionnement
estival des centres de santé du 93
. statistiques et prévisions
budgétaires 78 des centres de planification familiale
. la revalorisation du
salaire des infirmières (vers l’attribution de la prime Veil ?)
. le contrôle sanitaire
des colonies de vacances (incidence des nouveaux textes réglementaires)
. les stages de formation
des secrétaires médicales
. la refonte ds DDASS
. les modalités d’application
pratiques et financières du décret relatif au « certificat prénuptial »
. le marché des films
radiologiques
. mise au point de la
grille d’évaluation des activités (des centres de santé)
. l’orientation des
activités para-médicales de nos centres.
. les problèmes de la
lutte anti-tuberculeuse ; vaccination « BCG » et devenir de l’OPHS
. problèmes d’information
sur la toxicomanie
. l’aide aux personnes âgées
et le plan d’action prioritaire
. les programmes régionaux
de prévention (initiés par le Ministre J.Ralite – NDA)
. les abattements de
tarifs (levés par une loi de 1985 – note d l’A)
. fin de l’obligation des
visites de non contagion pré départ en centre de vacances ; vers des
visites de départ ?
Compte-tenu des missions dévolues
à plusieurs des médecins-chefs membres d’ «Intercentres 93 », l’approche
globale de la santé locale, bien au-delà des seuls centres de santé, aura été
une constante, complexe mais réelle, de l’association. Elle organise en 1984
pour ses membres, une journée d’étude « sur les problèmes communaux de la
santé et les pratiques sanitaires locales », avec pour programme :
. la décentralisation
et la santé locale
. les
alternatives à l’hospitalisation
. BMH et
services de santé municipaux
. comités
locaux de promotion de la santé
.
activités conventionnées : rôle de la Commune au niveau de l’Enfance
« Intercentres 9 3 »
a également organisé, avec l’appui des collectivités gestionnaires, des journées
de présentation des activités et de promotion des centres de santé.
Pas toujours inscrits dans
les ordres du jour, mais retrouvés dans les comptes rendus manuscrits, de
nombreux points, fort disparates, au gré des besoins de ses membres, sont abordés
lors des réunions d’ « Intercentres 93 » :
. « je recherche un médecin
ORL »
. « participez-vous
ici ou là aux tours de garde organisés par nos confrères de ville ? »
. « j’ai reçu tel
courrier de la CPAM, et vous ? qu’avez-vous répondu ? »
...
Un club de partage d’informations,
de passage de bons conseils, de confrontations de pratiques « managériales »
ou de santé publique.
Plusieurs des médecins-chefs
ont été à l’origine puis intervenants dans diverses formations en direction,
notamment des personnels des centres de santé (avec la création d’un module
pour les directeurs médicaux et administratifs des centres de santé) :
. à la Faculté de Bobigny
dans le Diplôme universitaire de formation à l’action sanitaire et sociale
(DUFASS), ou la Maitrise de sciences et technique « gestion des établissements »,
. au CFPC (ancien nom de l’actuel
C.N.F.P.T,
. au sein de l’Institut
Renaudot créé d’abord pour la formation,
. au défunt Centre
international de l’Enfance...
Une fonction précieuse a été
exercée par un des membres d’ « intercentres 93 », la veille
documentaire. Un précieux outil permettant à tous les membres de connaitre
textes de lois, décrets, et autres informations à incidence sur la santé
locale.
C’est
en juillet 1994, comme en atteste les documents du dossier « Intercentres
93 », qu’un séminaire très
tonique, avec des opinions fort diverses s’est tenu sur « missions et objectifs des centres
municipaux. Place dans la politique de santé de nos villes. » Un séminaire
qui est aussi un moment fort autour d’une question qui accompagne toute la vie
d’ « Intercentres 93 », celle très controversée au sein de l’association,
de « projet » pour un
centre de santé.
Du travail mais aussi de
la convivialité. De fortes personnalités qui se rencontrent, se confrontent parfois,
veillent jalousement à leur pré carré, mais partagent des valeurs et des
objectifs communs forts, qui veillent à alimenter, notamment par leur repas
annuel (et parfois jusqu’en Hollande en 1980 !) l’indispensable
convivialité.
La trace que j’ai souhaité
marquer par l’écriture de ces quelques lignes et la présentation de mon dossier personnel « Intercentres
93 » visent à appuyer une conviction que je porte
depuis mes premiers engagements en santé, celle de la pertinence et de la nécessité
de définir une place à la Santé (promotion de la santé ET santé publique) au
sein des collectivités territoriales (communes et communautés de communes), et
de prévoir, pour animer professionnellement une intervention municipale en santé,
un ou des postes de hautes compétences, comprenant des fonctions de gestion de
service, de coordination d’acteurs locaux, de conseil auprès des élus locaux.
L’histoire que j’ai vécue
avec « Intercentres 93 », si elle m’a montré les limites d’un tel « club »,
m’a surtout fait largement profiter de sa richesse, rendue possible selon moi
par la conjonction de la compétence et l’engagement de ses membres, du
regroupement professionnel permis par cette association, et du soutien, alors,
sinon toujours explicite, mais largement implicite, des élus locaux et départementaux,
et explicite par l’engagement original de leurs villes en santé.
Il serait légitime de
rappeler que le développement rapide, à partir de la Seine Saint-Denis, et dès
après la publication de la circulaire de 2000, des Ateliers Santé Ville, n’est
pas étranger aux potentialités offertes par la dynamique santé, et notamment
centres de santé, de ce territoire du « 9-3 »
En écrivant ces lignes,
alors que les pouvoirs publics et les Agences Régionales de Santé continuent à
rechercher quels sont les territoires d’intervention en santé les plus pertinents,
et sur ces territoires à finaliser quelles organisations sont à prévoir, manque,
à mon sens, une réelle réflexion, par les différents acteurs concernés, sur
l’organisation locale de la santé en France.
En France la santé –sauf
exception – et le 9-3 est une de ces rares exceptions, et ce dossier « Intercentres
93 » en est une illustration, le niveau local reste non organisé en santé,
car non reconnu, non pourvu (finances, formations...) pour intervenir à part
responsable entière en santé.
Une organisation qu’un
certain nombre de villes, dont celles, nombreuses en Seine Saint-Denis, ont,
par une volonté politique clairement affirmée, initié et mises en œuvre depuis
des décennies. Et ni les ASV et leurs succès, ni les CLS et leur succès, ne
sauraient dispenser de résoudre,
dans l’intérêt de la promotion de la santé, la question de l’organisation
locale, de proximité en santé.
Comment, sur ce dernier
point évoqué, ne pas recommander la lecture – ou pour certains la relecture, d’un document publié par « Intercentres
93 » en septembre 1984, et intitulé « Pour une politique de santé
municipale » qui garde une bien belle actualité, et une tout aussi belle
pertinence.
Ces quelques lignes de présentation
commentée sur les 148 feuilles que constituent mon dossier d’archives « Intercentres
93 » ne saurait en être qu’une
exploitation partielle et subjective. J’espère que cette présentation d’archives
aura éclairé positivement et utilement un pan d’histoire des centres de santé.
J’espère surtout que cette
présentation suscitera des demandes (je répondrais volontiers à toute
sollicitation relative au dossier ici présenté), des critiques, des
contributions pour enrichir le dossier et peut-être des travaux à partir de tel
ou tel sujet contenu dans ce dossier (profil de poste d’un directeur local de
santé , d’un directeur de centre de santé ; contenu d’un projet de centre
de santé ; place d’un centre de santé dans l’organisation locale de santé ;
relations entre politiques, techniciens, administratifs...)
Marc
Schoene – 7 août 2015