vendredi 28 août 2015

Une carrière professionnelle de quelques décennies... Mon dossier d’archives sur Intercentres 93


Marc Schoene – 7 août 2015
Une carrière professionnelle de quelques décennies, dont l’essentielle partie consacrée aux centres de santé, produit entre autres... une accumulation de souvenirs et de ... dossiers. C’est un de mes  dossiers d’archives – celui d’ « Intercentres 93 » que je présente par ce texte. J’ai pensé opportun d’exploiter aujourd’hui ce dossier, pour mon intérêt personnel, pour le faire connaître à ceux qui s’intéressent aux centres de santé, à leurs formes d’animation et de gestion, à ceux qui réfléchissent aux questions d’organisation et d’animation de la santé au plus près de leurs divers acteurs.
Les quelques propos ici énoncés ne sauraient qu’engager ma propre lecture de cette aventure professionnelle, et bénéficierait de contributions critiques, d’apports de documents manquants, et, pourquoi pas, de travaux plus spécifiques sur telle ou telle question ou tel ou tel sujet contenus dans ce dossier partiel – et limité à la période 1976-1995 - sur « Intercentres 93 »

 « Intercentres « 93 » est une association loi 1901, réunissant, comme ses statuts déposés en 1981 l’indiquent, les médecins-directeurs, chefs ou responsables des centres de santé municipaux de la Seine Saint-Denis, et ayant pour objet « de constituer un groupe de réflexion et d’études (confrontation d’expériences, organisation de conférences, de stages de formation et autres formes d’enseignement. Elle pourra par ses suggestions et par son action participer à l’organisation technique, économique et sociale de la Médecine et de l’Hygiène (...)»
Un club auquel j’ai appartenu, sur l’essentiel de ma carrière de médecin-directeur des services de santé de la ville de Saint-Denis. Un club qui m’aura permis, au début de ma carrière de médecin-chef, de recevoir des avis, des informations, des conseils avisés de mes aînés, pour une fonction complexe, exigeante, à laquelle ni les bancs de la faculté, ni aucune école adaptée n’auraient à l’époque pu me former. Un club dont j’ai conservé quelques traces, sur la période 1976- 1995, à travers mes notes manuscrites, de nombreux ordres du jour des réunions d’ « Intercentres 93», et de quelques précieux documents liés. Un ensemble d’archives que j’ai conservé pour la richesse de ce qu’ils ont constitué pour mon exercice professionnel, et pour la lecture que pourraient en faire des observateurs curieux d’une période féconde d’animation médicale  locale en santé.
Des regroupements organisés de médecins-chefs de centres de santé ont existé sur d’autres lieux que la Seine Saint-Denis, mais, à ma connaissance, moins structurés qu’ « Intercentres 93 ». Une tentative de fédérer les médecins-chefs de l’ensemble de l’Ile de France, en dépit de quelques rares échanges, n’a jamais pu voir le jour dans la période que couvre ce dossier.
« Intercentres 93 » aura été un rassemblement de personnalités unies par leur fonction, pour partie, comparable dans les villes de Seine Saint-Denis ayant des centres de santé : des médecins, et seuls des médecins, pour la plupart généralistes, cumulant – c’était une heureuse originalité de la fonction, une activité de consultation, une activité de direction de service de santé et des interventions en santé publique.
Les titres des membres d’ « Intercentres 93 » varient d’une ville à une autre, puisque le poste n’existait dans aucune nomenclature : médecin-chef, médecin-responsable, médecin-directeur...
Comme en attestent nombre de documents ces communément appelés alors « médecins-chefs » investissent pour la plupart les fonctions et domaines particulièrement divers : gestion de personnel, actions de prévention, gestion financière, avis et expression sur le politique ou le syndical.
Médecin-chef un poste méli-mélo original qui n’est pas sans difficultés, sujet de débat interne à l’association, de débat dans chaque ville avec les autres catégories de personnel (et particulièrement les confrères chirurgiens-dentistes !) avec les cadres administratifs, et notamment les secrétaires généraux (devenus directeurs généraux), avec les élus. Comment en effet éviter ces débats quand aucun profil de poste officiel n’existe, que les missions dévolues aux médecins-chefs varient d’une ville à une autre, que le contexte de marginalité et de fragilité des centres de santé amènent les médecins-chefs à cumuler des fonctions professionnelles diverses avec des engagements politiques et syndicaux permanents. Ici la phrase de Michel Bass « la promotion de la santé est politique » est clairement mise en œuvre... ?
Un méli-mélo qui a amené « Intercentres 93 » à plusieurs reprises à traiter, sous des formes diverses, du rôle des médecins-chefs et au-delà de la place et du rôle des centres de santé comme pour exemples :
. Courrier d’ « Intercentres 93 » aux Maires pour soutenir les revendications des infirmières des centres de santé
. Courrier d’ « Intercentres 93 » aux Maires du Département de la Seine Saint-Denis le 4 novembre 1985 pour une critique forte et argumentée des attaques contre le service de santé scolaire.
Nombreux sont les textes de mes archives qui attestent des difficultés nombreuses rencontrées par les centres de santé (appelés ainsi par volontariste anticipation, puisque leur nom officiel de » dispensaires » ne sera transformé en  « centre de santé » qu’avec un  décret de 1991).
-      difficultés semées par l’Ordre des Médecins sur la route des centres de santé
-      remise en cause du tiers-payant pour les actes de laboratoire avec la complicité active de laboratoires hostiles aux prélèvements biologiques effectués par les centres de santé à la grande satisfaction de leur patientèle
-      difficultés rencontrées par les municipalités gestionnaires

« Intercentres 93 » sans cesse préoccupé du devenir des centres de santé, marginaux, fragilisés par leurs coûts, l’hostilité forte de la majorité du secteur libéral, a aussi été à l’initiative de journées d’information et de promotion des centres de santé.
Les ordres du jour et nombre de documents témoignent d’une préoccupation permanente d’ « Intercentres 93 » en matière de gestion des centres de santé, et d’échanges de données les concernant, et pour exemples :
. comparaison des tarifs dentaires hors nomenclature appliqués par les divers centres
. publication du « bilan de fonctionnement 1992 des centres de santé –activités médicales »
. coût de la gestion administrative du tiers-payant...

Le parcours du dossier permet de trouver de nombreux documents qui traitent de la place des médecins-chefs dans l’organisation et l’intervention municipale en santé. Une mine d’éléments qui traitent de ce qu’est, pourrait être, devrait être, avec des avis qui peuvent diverger entre médecins-chefs, la fonction d’animateur local de santé : d’une fonction circonscrite de directeur de centre de santé à celle d’animateur de l’ensemble des activités et services de santé publique municipaux, voire de coordinateur avec les autres acteurs de santé intervenant sur la ville : PMI, secteur libéral, hôpital...
Un débat sur le périmètre de la fonction redondant dans l’association « Intercentres 93 », d’autant que certains médecins-chefs étaient  aussi directeurs d’un service communal d’hygiène et de santé, et que les évolutions des compétences réglementaires des collectivités territoriales en santé a impacté ce débat important (quel changement politique majeur entre le rôle accordé aux villes par la loi de santé publique de 1902 et les lois de décentralisation de 1983 qui le réduisent  à portion congrue...)

La lecture des ordres du jour montre l’étendue des sujets abordés par « Intercentres 93 » au fil de ses réunions strictement mensuelles et tenues chacune un jour différent de la semaine (du lundi au vendredi puis retour...) et sur une longue période dans une même ville. (Drancy, Bobigny, Bagnolet).

Citons pour en souligner la diversité, et non l’exhaustivité, quelques sujets abordés dans les réunions d’ « Intercentres 93 » :
. la formation continue des personnels des centres de santé
. les modalités diverses de passation des marchés pour les actes de laboratoire
. les modifications de la valeur du ticket modérateur en kinésithérapie
. l’opération anti-poux
. le fonctionnement estival des centres de santé du 93
. statistiques et prévisions budgétaires 78 des centres de planification familiale
. la revalorisation du salaire des infirmières (vers l’attribution de la prime Veil ?)
. le contrôle sanitaire des colonies de vacances (incidence des nouveaux textes réglementaires)
. les stages de formation des secrétaires médicales
. la refonte ds DDASS
. les modalités d’application pratiques et financières du décret relatif au « certificat prénuptial »
. le marché des films radiologiques
. mise au point de la grille d’évaluation des activités (des centres de santé)
. l’orientation des activités para-médicales de nos centres.
. les problèmes de la lutte anti-tuberculeuse ; vaccination « BCG » et devenir de l’OPHS
. problèmes d’information sur la toxicomanie
. l’aide aux personnes âgées et le plan d’action prioritaire
. les programmes régionaux de prévention (initiés par le Ministre J.Ralite – NDA)
. les abattements de tarifs (levés par une loi de 1985 – note d l’A)
. fin de l’obligation des visites de non contagion pré départ en centre de vacances ; vers des visites de départ ?

Compte-tenu des missions dévolues à plusieurs des médecins-chefs membres d’ «Intercentres 93 », l’approche globale de la santé locale, bien au-delà des seuls centres de santé, aura été une constante, complexe mais réelle, de l’association. Elle organise en 1984 pour ses membres, une journée d’étude « sur les problèmes communaux de la santé et les pratiques sanitaires locales », avec pour programme :
. la décentralisation et la santé locale
. les alternatives à l’hospitalisation
. BMH et services de santé municipaux
. comités locaux de promotion de la santé
. activités conventionnées : rôle de la Commune au niveau de l’Enfance 

« Intercentres 9 3 » a également organisé, avec l’appui des collectivités gestionnaires, des journées de présentation des activités et de promotion des centres de santé.

Pas toujours inscrits dans les ordres du jour, mais retrouvés dans les comptes rendus manuscrits, de nombreux points, fort disparates, au gré des besoins de ses membres, sont abordés lors des réunions d’ « Intercentres 93 » :
. « je recherche un médecin ORL »
. « participez-vous ici ou là aux tours de garde organisés par nos confrères de ville ? »
. « j’ai reçu tel courrier de la CPAM, et vous ? qu’avez-vous répondu ? »
...
Un club de partage d’informations, de passage de bons conseils, de confrontations de pratiques « managériales » ou de santé publique.

Plusieurs des médecins-chefs ont été à l’origine puis intervenants dans diverses formations en direction, notamment des personnels des centres de santé (avec la création d’un module pour les directeurs médicaux et administratifs des centres de santé) :
. à la Faculté de Bobigny dans le Diplôme universitaire de formation à l’action sanitaire et sociale (DUFASS), ou la Maitrise de sciences et technique « gestion des établissements »,
. au CFPC (ancien nom de l’actuel C.N.F.P.T,
. au sein de l’Institut Renaudot créé d’abord pour la formation,
. au défunt Centre international de l’Enfance...

Une fonction précieuse a été exercée par un des membres d’ « intercentres 93 », la veille documentaire. Un précieux outil permettant à tous les membres de connaitre textes de lois, décrets, et autres informations à incidence sur la santé locale.

C’est en juillet 1994, comme en atteste les documents du dossier « Intercentres 93 »,  qu’un séminaire très tonique, avec des opinions fort diverses s’est tenu sur « missions et objectifs des centres municipaux. Place dans la politique de santé de nos villes. » Un séminaire qui est aussi un moment fort autour d’une question qui accompagne toute la vie d’ « Intercentres 93 », celle très controversée au sein de l’association, de « projet » pour un centre de santé.
Du travail mais aussi de la convivialité. De fortes personnalités qui se rencontrent, se confrontent parfois, veillent jalousement à leur pré carré, mais partagent des valeurs et des objectifs communs forts, qui veillent à alimenter, notamment par leur repas annuel (et parfois jusqu’en Hollande en 1980 !) l’indispensable convivialité.

La trace que j’ai souhaité marquer par l’écriture de ces quelques lignes et  la présentation de mon dossier personnel « Intercentres 93 » visent à appuyer une conviction que je porte depuis mes premiers engagements en santé, celle de la pertinence et de la nécessité de définir une place à la Santé (promotion de la santé ET santé publique) au sein des collectivités territoriales (communes et communautés de communes), et de prévoir, pour animer professionnellement une intervention municipale en santé, un ou des postes de hautes compétences, comprenant des fonctions de gestion de service, de coordination d’acteurs locaux, de conseil auprès des élus locaux.

L’histoire que j’ai vécue avec « Intercentres 93 », si elle m’a montré les limites d’un tel « club », m’a surtout fait largement profiter de sa richesse, rendue possible selon moi par la conjonction de la compétence et l’engagement de ses membres, du regroupement professionnel permis par cette association, et du soutien, alors, sinon toujours explicite, mais largement implicite, des élus locaux et départementaux, et explicite par l’engagement original de leurs villes en santé.

Il serait légitime de rappeler que le développement rapide, à partir de la Seine Saint-Denis, et dès après la publication de la circulaire de 2000, des Ateliers Santé Ville, n’est pas étranger aux potentialités offertes par la dynamique santé, et notamment centres de santé, de ce territoire du « 9-3 »

En écrivant ces lignes, alors que les pouvoirs publics et les Agences Régionales de Santé continuent à rechercher quels sont les territoires d’intervention en santé les plus pertinents, et sur ces territoires à finaliser quelles organisations sont à prévoir, manque, à mon sens, une réelle réflexion, par les différents acteurs concernés,  sur l’organisation locale de la santé en France.
En France la santé –sauf exception – et le 9-3 est une de ces rares exceptions, et ce dossier « Intercentres 93 » en est une illustration, le niveau local reste non organisé en santé, car non reconnu, non pourvu (finances, formations...) pour intervenir à part responsable entière en santé.
Une organisation qu’un certain nombre de villes, dont celles, nombreuses en Seine Saint-Denis, ont, par une volonté politique clairement affirmée, initié et mises en œuvre depuis des décennies. Et ni les ASV et leurs succès, ni les CLS et leur succès, ne sauraient dispenser de résoudre,  dans l’intérêt de la promotion de la santé, la question de l’organisation locale, de proximité en santé.

Comment, sur ce dernier point évoqué, ne pas recommander la lecture – ou pour certains la relecture,  d’un document publié par « Intercentres 93 » en septembre 1984, et intitulé « Pour une politique de santé municipale » qui garde une bien belle actualité, et une tout aussi belle pertinence.

Ces quelques lignes de présentation commentée sur les 148 feuilles que constituent mon dossier d’archives « Intercentres 93 » ne saurait  en être qu’une exploitation partielle et subjective. J’espère que cette présentation d’archives aura éclairé positivement et utilement un pan d’histoire des centres de santé.
J’espère surtout que cette présentation suscitera des demandes (je répondrais volontiers à toute sollicitation relative au dossier ici présenté), des critiques, des contributions pour enrichir le dossier et peut-être des travaux à partir de tel ou tel sujet contenu dans ce dossier (profil de poste d’un directeur local de santé , d’un directeur de centre de santé ; contenu d’un projet de centre de santé ; place d’un centre de santé dans l’organisation locale de santé ; relations entre politiques, techniciens, administratifs...)


                                                                                                                Marc Schoene – 7 août 2015