jeudi 10 septembre 2015

MORT BRUTALE ou ETOUFFEMENT PROGRESSIF, 2 façons de faire MOURIR un CMS.


A Colombes on a opté pour la mort brutale. A Drancy c’est la deuxième méthode qui a été choisie par la municipalité.
Il y a longtemps, dans l’immédiat après guerre, les banlieues ouvrières, qui s’appelaient la ceinture rouge, n’attiraient guère les médecins libéraux. On ne les appelait pas des déserts médicaux mais cela y ressemblait drôlement. En ce temps là, en s’appuyant sur des médecins militants issus de la résistance, les municipalités communistes, décidèrent d’organiser les soins  en créant les centres municipaux de santé. Une santé de qualité pour tous, disaient-ils déjà. A  Drancy, sous la houlette du Dr Georges Godier et sa célèbre moustache à la Brassens, se créa, s’agrandit, se modernisa le centre de santé de la ville.
Un centre principal en centre ville et 3 annexes situées au cœur des cités.
Dans le centre principal : des généralistes,  les spécialistes, de la radiologie, du laboratoire.
Dans les annexe : 2 généralistes (1 homme, 1 femme) assurant en alternance la consultation de médecine générale et quelques consultations  de spécialistes (toujours de la gynécologie)  variant d’un centre à l’autre en fonctions des besoins locaux, ainsi que du laboratoire tous les jours.
Très fréquentés par les drancéens de toutes origines sociales les centres semblaient inscrits à tout jamais dans la ville.
Aux municipales de  2001, changement d’orientation politique de la ville…
la lente descente des centres de santé va commencer. Sans jamais le dire ouvertement (encore moins l’écrire), l’objectif est de réduire à peau de chagrin l’héritage encombrant de la municipalité précédente que représente les centres de santé au « profit » de l’exercice libéral et ainsi dégager la municipalité de la charge financière de la santé.
Préoccupations idéologiques, préoccupations financières…Difficile de dire… probablement les deux. Mais aussi peut-être, plaire au secteur libéral (qui ne demande plus depuis longtemps la suppression des CMS), et rendre encore plus difficile l’accès aux soins pour les populations défavorisées….. en espérant que celles ci quittent la ville.
Le choix de la stratégie lente a été fait pour ne pas heurter les administrés qui fréquentent de manière importante les CMS, d’autant que le secteur libéral qui ne pourrait avaler le surplus de patientèle. Cela laisse, de plus, le temps d’organiser une alternative … La création d’une Maison de Santé libérale sur laquelle je reviendrai plus tard…  

Etait-ce déjà pensé, planifié ?

Le scénario était-il déjà entièrement écrit ou s’est-il élaboré au fur et à mesure ?
L’objectif était toutefois clair : faire dysfonctionner la structure de telle sorte que sa fermeture deviendra une évidence et sera acceptée. Cette stratégie n’est pas très originale mais bigrement efficace. Le timing dépendant de trop de facteurs n’a probablement pas été programmé et doit répondre à un impératif… Ne pas faire trop de vagues… ne pas attirer l’attention avec une mesure brutale… Ne pas ternir son image médiatique.

La pièce peut commencer.
1er ACTE. Tout d’abord décapiter la structure. Le médecin directeur est « remercié », et  remplacé par un médecin libéral de la ville connu pour son hostilité envers les centres de santé.
Corollaire de son arrivée, le cortège des départs volontaires des professionnels ne voulant pas collaborer  avec ce médecin et se sachant directement menacés dans leur exercice ; certains sont restés par fatalisme ou inertie, d’autres  sont restés pour résister, pour les patients, pour tenter d’éviter que ce qui avait été construit ne soit pas détruit …
2ème ACTE. La municipalité commandite une étude sur l’offre de soins sur la ville. Elle s’appelle RIR sans E. En effet elle ne nous fait pas rire. Elle a pour objectif de montrer que la création d’une maison médicale libérale est pertinente et répond à des besoins. Cette étude a  juste « oublié » de comptabiliser l’offre de soins des CMS sur la ville… Un détail en somme.
3ème  ACTE. Tout le monde sait que la vitalité d’un centre repose sur la qualité de la médecine générale. C’est donc par cela que va commencer la lente désagrégation des centres.
Réductions des heures, déplacements et nouvelles répartitions des généralistes dans les différents centres et en particulier destruction des duos de généralistes dans les annexes. Du duo de généralistes de départ on en arrive à avoir 3, 4, et même 5 généralistes différents dans les annexes. Conséquence pour les professionnels : peu d’heures de consultation dans un même endroit et un éparpillement et  conséquences pour les patients, ne jamais pouvoir voir le même médecin d’où une discontinuité de la prise en charge.
Au fur et à mesure des départs à la retraite des  « vieux » médecins plein temps, la direction engage à la place 3, 4 médecins à temps très partiel (en général pas plus de 10h de consultation pour chacun), sans perspectives d’en avoir plus.
De 8 généralistes, à plein temps pour la plupart, en 2002, on est passé en 2015 à 15 généralistes  à temps très partiels pour la majorité d’entre eux.
Des dires mêmes (et  non des écrits malheureusement)  du directeur « je ne veux pas de médecins s’investissant dans les CMS »… Bizarre pour un chef de service.
Cette désorganisation correspondait certes à l’objectif initial mais aussi à une vision idéologique du rôle des centres de santé : Les patients fréquentant les centres de santé ne sont pas attachés à leur médecins, les centres de santé n’ont pour rôle que de recevoir les patients n’ayant pu être pris en charge par la médecine libérale, les visites à domicile ne font pas partie du rôle des médecins des CMS, etc...  
4ème ACTE. On ferme pour, un oui pour un non, les annexes. Tous les prétextes sont bons : les ponts, les vacances, les jours du Maire, etc... Avec toujours les mêmes explications… On aurait bien voulu mais les médecins ont trop de vacances, ont un statut trop protecteur, ne veulent pas travailler à ces moments là, on ne trouve plus… En fait, à aucun moment on ne cherche à trouver des solutions, qui existent puisque rien n’a changé depuis le temps où les annexes n’étaient jamais fermées. Le piège se referme, plus l’offre est réduite plus cela dysfonctionne. Et là haut on se frotte les mains.
5ème ACTE. Une des caractéristiques dans l’histoire des Centres de santé est la volonté d’intégrer toutes les dimensions de la médecine, de la santé, les soins de qualité mais aussi les actions de prévention.  D’emblée il a été dit que tout cela c’était fini. Plus d’interventions dans les collèges autour de thèmes aussi variés que les poux, les dents, la sexualité, la contraception, les drogues, abandon de la consultation d’alcoologie, etc… Tout est donc fait pour démontrer que l’exercice en centre de santé n’est pas mieux que la médecine libérale mais… beaucoup plus cher pour la Ville. Arrêter toutes les actions spécifiques des CMS était un bon moyen de montrer que la disparition des CMS n’aurait pas de conséquences sur la politique de santé de la ville.
6ème ACTE. Comme développer la continuité des soins et la prise en charge coordonnée des patients n’est pas la préoccupation de la direction à quoi peut servir une infirmière? Préparer les cabinets, faire les commandes de matériel. Pour cela elles sont trop nombreuses… Bien sur, Il y a les annexes (toujours elles, les gêneuses) avec initialement1 infirmière présente tous les jours, assurant les soins les prélèvements de laboratoires, l’entretien des cabinets et les commandes. Alors la technique habituelle est mise en place. On réduit les jours de prélèvements de labos à 4 fois par semaine et en particulier plus les samedis (c’était très utile pour les patients…alors on commence par là) puis 3 fois, puis 2 fois. L’activité baisse donc et justifie de diminuer son temps de présence, ce qui  amène à ne plus pouvoir réaliser certains soins, ce qui réduit encore l’activité et donc justifie la diminution du temps de présence… La spirale est amorcée. De 11 infirmières (dont 1 infirmière cadre) en 2002 on passe à 6 en 2015.
7ème ACTE. La conception d’une médecine de qualité repose aussi sur la présence d’un bon plateau technique et l’accès pour les patients à un large éventail de spécialistes (et pour les généralistes la possibilité d’avoir facilement recours à eux). Tout le monde connait la difficulté de recrutement surtout pour certaines spécialités mais quand on ne cherche pas… c’est mission impossible. C’est la technique employée par la direction  se cachant derrière ces difficultés. L’appauvrissement du plateau technique, en particulier par le non renouvellement du matériel, réduit encore l’attractivité du centre, pour d’éventuels spécialistes candidats. Tous ces phénomènes conjugués  ont eu pour conséquence, de 2002 à 2015,  une diminution du nombre de praticiens de 30 à 12 spécialistes, ce qui correspond à une réduction de  8,62 équivalents temps plein (ET) à 4,21 ET toutes spécialités confondues.
Et pendant ce temps là on affirme avec force et aplomb du coté de la municipalité « Nous n’avons pas diminué l’offre de soins ».  
8ème ACTE. Sans être paranoïaque, le sabotage de  tout ce qui pourrait valoriser les CMS a été décidé. Voici 2 exemples parlants :
La demande de praticiens d’être maitres de stage a constamment été ignorée ou refusée.
L’installation d’une activité de rétinographie pour les patients diabétiques, projet développé par une infirmière spécialisée dans l’éducation thérapeutique a été balayé d’un revers de mains.

EPILOGUE. Il aurait été trop long de raconter les différentes péripéties ayant émaillé ces  dix dernières années, faites de conflits, de résistances, d’avancées et de reculades de la direction, mais aussi de succès contre l’entreprise de destruction.
Une petite histoire, que voici, a trotté dans nos têtes « Pendant la guerre du Vietnam, un homme tous les matins brandissait une petite pancarte devant la maison blanche où il était inscrit « PAIX AU VIETNAM ». Un passant lui demanda pensez vous vraiment changer le monde avec cette petite pancarte ? Non lui répondit l’homme mais je m’assure, tous les matins, que le monde ne me change pas… »
Oui, il faut de la constance pour résister à un mécanisme de quasi intoxication intellectuelle où dans un premier temps on répète à l’envie que les centres de santé ne sont pas menacés (alors pourquoi se battre contre une menace qui n’existe pas.. inutile non).  Mais devant l’évidence, s’inscrit dans nos têtes que leur fermeture est inéluctable et que rien ne pourra changer le cours des choses (alors là.. c’est trop tard et c’est aussi inutile).
Le scénario aurait été parfait si la Maison de Santé avait rencontré l’adhésion des professionnels libéraux et qu’elle avait attiré de nouveaux praticiens sur la ville mais ce ne fut pas le cas. En effet, près d’un an après son ouverture, mis à part l’installation d’un scanner et d’un cabinet dentaire, aucun nouveau professionnel ne s’est porté volontaire. Seuls des spécialistes consultants dans un centre privé de la ville ont été obligés de s’y installer, leur bâtiment ayant été fermé (par la ville ?), car non conforme à l’accès aux handicapés. Donc elle s’avère incapable d’offrir des prestations qui auraient permis de fermer définitivement les CMS.
Dans le contexte de désertification médicale, il est dommage, voir impardonnable car dans l’intérêt des drancéens, qu’ai été favorisée une vision d’opposition archaïque des 2 systèmes de délivrance des soins sur le département au lieu de privilégier la complémentarité du secteur libéral et du secteur communal de l’offre de soins, qui sur le terrain est une réalité de tous les jours. D’autant que la disparition des CMS mettrait en difficulté nombre de praticiens libéraux qui souhaitent pour la plus part, le maintien de cette offre sanitaire salariée. On ne gomme pas 50 ans de partenariat professionnel.
La position raisonnable d’avenir n’est-elle pas le maintien et le développement des centres de santé, en sachant utiliser les nouveaux financements dans le cadre du nouvel accord national signé entre leurs représentants et la CNAM ? Plutôt que de programmer leur extinction progressive.
Donc…A Drancy  Les CMS existent toujours… même si on a souvent du mal à respirer … Mais nous avons bien l’intention de continuer.