vendredi 24 avril 2015

Nouvel accord national des centres de santé : quelques satisfactions mais beaucoup d'inquiétudes

Ce texte fait part de quelques réflexions et humeur après la lecture du document de travail en cours de négociation et d’écriture concernant le futur Accord National des Centres de Santé et le dispositif Accessibilité et Organisation des Centres de santé (AOC)
Ces premières analyses sont susceptibles - et pour certains éléments il faut l'espérer - de modifications ou d'enrichissements une fois les négociations et l'écriture des paragraphes manquants terminées. L'analyse présentée ici prend en compte les éléments connus au moment où sont publiées ces lignes.
 
Le dispositif AOC « accessibilité et organisation des Centres de Santé »
Dans l’ensemble les différents chapitres de cette partie paraissent pertinents. Reconnaitre nos caractéristiques, nos efforts de service, d'organisation et de prise en charge des patients afin de les rémunérer. Mais, une seule réserve de taille : quelle rémunération ? Le dispositif AOC couvrira-t-il intégralement ces missions? Ou n’y aura t il que de la reconnaissance symbolique?

Concernant l’ensemble de l’Accord National, en l'état, celui-ci appelle de ma part beaucoup plus de réserves :
1- Un bon début qui prend en compte nos missions et nos qualités.
Sur la permanence des soins, je note la prudence des rédacteurs et leur ouverture sur “qui sera rémunéré”: le médecin du CdS ou le CdS hébergeant.
2- Ensuite, vient l’inquiétude concernant les engagements obligatoires que doivent prendre les CdS en signant l’Accord National. Ainsi, les centres s’engagent à prendre les mesures nécessaires (lesquelles?) pour faire appliquer aux soignants de leurs CdS les différents points de l’Accord National. Cela après négociation et signature par les seuls gestionnaires sans négociation ni accord avec les représentants des soignants, même si la FNCS a la gentillesse de nous demander notre avis hors de tout cadre officielle.
Or, de nombreux points engagent notre exercice et notre responsabilité médicale pour lesquels nous n’avons de comptes à rendre qu’à nos patients et à nos pairs. Plusieurs exemples, hélas, dans ce texte : le dispositif Sophia, l’imposition des génériques, les ROSP…
- Le dispositif SOPHIA, mis en place au forceps et avec une gabegie financière considérable (au détriment financier d’actions de santé publique efficaces) par l’Assurance Maladie pour les diabétiques et qui doit être élargi progressivement à toutes les pathologies chroniques. Ce dispositif décrié, boycotté par nombre de médecins, dont le principe s’est révélé inefficace dans les études internationales (cf. avis IRDES), contesté par les spécialistes du diabète, qui fait semblant d’aider et d’accompagner les patients par quelques coups de téléphone, émis d’un standard situé à Libourne, tenu par des inconnus pour nos malades âgés. Quelles pressions répétées faites sur ceux ci pour qu’ils adhèrent à ce système! Quelle méconnaissance du terrain et de la réalité du dialogue possible et difficile malade/soignant ainsi que de la prise en charge des patients! Tout cela étayé par des évaluations bidonnées, organisées par la CNAM elle-même et ne se satisfaisant comme seul résultat que du nombre d’adhérents... Rien de scientifique, rien de médical dans tout cela. Beaucoup de dépenses qui auraient été mieux utilisées par les consultations infirmières pour diabétiques, efficaces elles.
Surtout, cette tentative et son élargissement progressif aux autres pathologies chroniques montrent la détermination de la CNAM d’avoir une gestion imposée des patients et des maladies par son administration sur ses seuls critères et expertises, au mépris des connaissances et études médicales et en imposant son dictat aux soignants avec probablement en arrière pensée, toujours, la maitrise comptable des dépenses de santé. Le dispositif SOPHIA devrait nationalement être abandonné sauf à marcher sur la tête. Et en tout cas, il ne peut-être question qu’il soit imposé aux médecins des CdS, via cet accord. Ceux-ci ont droit de juger avec leurs patients et les infos objectives qu’ils peuvent leur apporter de la pertinence ou non à leur déconseiller ce dispositif.... sauf à laisser faire dorénavant les diagnostics, choix de traitements et suivis des patients par l’administration de la CNAM et des CPAM! (on pourra lire également une évaluation 2013 de ce dispositif sur le site atoute.org)
- Les orientations pour réduire la prescription d’antibiotiques sans vrai discernement, sans références aux sociétés savantes et sans tolérer de modulation des choix thérapeutiques par le médecin traitant en fonction du patient et du terrain. Mais, maitrise comptable à courte vue oblige....
- l’imposition obligatoire des génériques. Même observation. Pourquoi ne pas agir directement à la source sur le Comité économique des produits de santé (CEPS). L’action serait pourtant plus efficace à ce niveau plutôt que d’accuser successivement patients, pharmaciens, prescripteurs. Là encore, même démarche et pas de prise en compte par l’administration autoritaire, aveugle et ignorante de ce que sont les patients : difficiles ces génériques pour les patients âgés (et les autres) avec les changements de boites, de comprimés, de couleurs pour ne pas se tromper dans le suivi de leur traitement ; difficiles ces génériques équivalents en formules et dosages mais pas en taille, texture et excipients.
- Et bien sur les ROPS (Rémunération sur Objectifs de Santé Publique) qui relèvent de la même volonté dirigiste de l'Assurance Maladie. Déjà en 2008, un rapport de l'IGAS était défavorable à ce type de dispositif de rémunérations des praticiens à la performance, révélant que les études et expériences montraient que ceux-ci n'avaient aucune efficacité réelle pour améliorer la qualité des soins ni même pour faire des économies. Tout cela serait fait sur la base d'objectifs de santé publique et d'indicateurs décidés par l' Assurance Maladie, objectifs et indicateurs dont, pour certains, on peut discuter la pertinence : cela a plus à voir avec la maitrise des dépenses qu'avec la qualité des soins. Encore une fois que viennent faire de tels points dans l'accord national des centres de santé signé par l'administration de l'assurance maladie et les représentants des gestionnaires et promoteurs des centres de santé.
Ces points mettent en cause l'exercice médical, l’indépendance professionnelle et l'intérêt des patients.

     3. Puis, il est question de maitrise “médicale” des dépenses de santé et, comme pour étayer mes constats précédents, on a la surprise de trouver avec et à coté des protocoles licites de l’HAS et de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament, les référentiels de prise en charge élaborés par l’Assurance Maladie! Elle serait donc informatrice non agrée, mais juge et partie.
Par ailleurs, il faudrait que, dans ce chapitre, soit fait état de nos qualités en la matière : rappeler la prescription économe déjà pratiquée dans les CdS, la volonté de l'ensemble des soignants des CdS du juste soin au juste coût, le taux de passage moins fréquent de leurs patients et les hospitalisations inutiles moindres.
Des référentiels de l’Assurance Maladie partout !!!! Quel avenir pour la médecine efficiente et pour la santé des populations si c’est l’administration financière qui régente...

     4. Les signataires de l’accord national auront désormais seulement 6 mois pour adapter les nouvelles mesures, applicables aux professionnels libéraux, aux CdS (après discussions et négociations, je suppose). Bien, mais que se passe-t-il si le délai de 6 mois est passé sans décision ou application ?
Les CdS s’engagent à mettre à niveau leurs logiciels pour répondre aux évolutions de la règlementation (comme le tiers payant intégral) : mais aucun financement prévu?
Le Contrat de maintenance de l’équipement informatique pour SESAM VITALE : pas de financement non plus pour ces engagements ?

     5. Pour ce qui est de la Commission Paritaire Nationale et de son comité technique, d’abord une boutade : la section dite professionnelle bénéficie d’un abus de langage et devrait se nommer section gestionnaire ou promoteur CdS...à moins d’y associer l’USMCS! Rappelons que si notre document s’appelle Accord National et non Convention, c’est, je crois, parce que la convention doit être, en droit, négociée et signée avec les professionnels soignants, comme pour les libéraux.
Enfin, j’ai bien lu que des sanctions seront prises à l’encontre des CdS signataires qui ne respecteraient pas les engagements conventionnels. Et si l’Assurance Maladie ne respecte pas, ou mal, ou en retard, ses engagements : aucune sanction prévue!
Idem pour les manquements : Seuls les CdS sont susceptibles de faire des manquements !

AU TOTAL
Quels nouveaux moyens financiers en regard de nos missions, de nos efforts, des contraintes, des services rendus, des engagements obligatoires ?
Si j’ai bien compris et en faisant table rase des moyens financiers autrefois octroyés dans le précédent accord national, je ne vois que :
     -l’AOC mais est-ce assez et où sont les autres mesures? Peut-être me manque-t-il ici plusieurs éléments.
     -la fin des discriminations (la moindre des choses) comme celles concernant nos patients ALD, mais ceci fait l'objet de toute façon d'un amendement déjà voté ces jours ci dans le cadre de la Loi de Santé.
     -le contrat incitatif d’installation et de maintien mais uniquement dans certaines zones et dont on ne sait ici, ni les conditions d’attribution, ni les montants possibles. Est ce signifié ailleurs ou bien est-ce signé d’abord, on verra après?
Que se passe-t-il pour un CdS non signataire : que n’a-t-il pas? Quels sont ses droits et obligations par rapport à ceux qui s’engagent ?
Beaucoup de pages d’autosatisfaction de l’Assurance Maladie, dont certaines sont justifiées, à propos de leurs immenses efforts pour nous aider (organisationnellement et fonctionnellement uniquement, car pas un sou sur ces points hors l'AOC) au bout de... quelques dizaines d’années pour la pratique du tiers payant.
Enfin, un goût amer : je perçois la volonté de s’orienter de plus en plus vers une médecine, une santé règlementées dans notre pays par des administratifs et des économistes.
Bel avenir !!!


Alain Brémaud