Interview parue dans les Cahiers
de Santé Publique et de Protection Sociale reproduite avec leur aimable
autorisation. l'interview a été réalisée le 17 mars 2015
Dr E.
May : Monsieur le Président, l’interview
advient dans le contexte particulier du projet de Loi de
Santé. La problématique que nous traitons dans ce nouveau numéro des
Cahiers de santé publique et de protection sociale est celle des professions de
santé et de leur avenir, dans le cadre de la réflexion sur la réforme du
système de santé dont on a bien du mal à percevoir les objectifs. La première
chose qui nous frappe au sein de la rédaction est l’évolution du mode
d’exercice. Chaque année les bulletins du CNOM témoignent d’une perte
d’attractivité de la médecine libérale. Nous souhaiterions connaître votre sentiment
sur ce mouvement. Quels enseignements
en tirez vous et pourquoi cet attrait de la médecine salariée qui
détourne nos jeunes collègues de la médecine classique libérale.
Dr P. Bouet : Nous
sommes convaincus que s’il y a ce désintérêt sur la médecine libérale mais
aussi de proximité car cela englobe d’autres types d’activités, c’est d’une
part parce que les jeunes ne sont pas formés à leur environnement
professionnel ; ils nous l’ont répété de façon permanente, ils ont un modèle hospitalier, le seul qu’ils
connaissent, un modèle contre lequel il n’y a pas de promotion réelle au niveau
de l’activité libérale ou ambulatoire. D’autre part, c’est que la grande
réforme du système de santé est
encore à faire et aujourd’hui les jeunes ne voient pas - ils l’ont encore
exprimé assez clairement le dimanche 15 avril 2015 - ils ne voient pas comment
leur avenir professionnel s’inscrit. Il y a des inquiétudes fortes et la
tendance naturelle des jeunes acteurs, on la comprend, c’est d’aller vers des
systèmes stables dans lesquels la carrière professionnelle et l’activité sont
lisibles, le travail en équipe est reconnu. Ce sont donc des systèmes qui les
rassurent. Si on n’est pas capable, dans le modèle ambulatoire, d’apporter ces
réponses en matière de travail en équipe, de lisibilité de carrière, de garantie
que l’activité est bien du temps dédié à l’exercice médical, on n’arrivera pas
à proposer un modèle attractif pour les jeunes générations. Le fait est
démontré, aujourd’hui, qu’il ne suffit pas de donner quelques milliers d’euros
pour que le métier devienne attractif. Les jeunes ont aujourd’hui une
intelligence de leur métier à venir qui est probablement supérieure à celle que
nous avions dans notre génération et donc des exigences sur leur métier à venir
beaucoup plus importantes. Le modèle d’information, d’attractivité est
aujourd’hui totalement à construire. C’est en tout cas le sentiment que
l’institution ordinale retire, maintenant, de ces années de débats.
Dr E.
May : une autre évolution est constatée :
au-delà de l’exercice en structure, en équipe, salarié, dans un contexte
sécurisant, il y a aussi manifestement une appétence des jeunes médecins et
particulièrement chez les jeunes médecins généralistes, à diversifier leurs
types d’exercice entre à la fois le soin, l’enseignement, la santé publique et
la médecine de prévention. Qu’en pensez-vous, alors que du fait de la démographie
médicale, ce type de choix risque d’aggraver la diminution du nombre de
médecins de proximité se consacrant aux seuls soins et à la seule prise en
charge de la population ?
Dr P. Bouet : Je
crois qu’il y a un modèle de société aujourd’hui qui veut que les jeunes, en
général, quels que soient les métiers, soient mobiles, n’aient pas une
linéarité de carrière, et finalement aillent dans différents domaines. On ne
pourra pas imposer aux médecins ce que la société en général démontre
différemment. Ce qu’il nous faut, c’est construire un modèle dans lequel le
temps médical, le temps de soin, soit le temps privilégié de l’activité professionnelle ;
ça c’est certain, donc là il y a des simplifications, des mesures concrètes à
prendre pour que les aides apportées aux médecins soient des aides qui les
délient du temps administratif ou non médical. Il faut en même temps comprendre
aussi qu’on est dans un modèle de pluralité d’exercice et qu’aujourd’hui le
mythe du cabinet unique dans lequel un médecin passe 100% de son temps est un
modèle qu’il ne faut pas chercher à conserver contre vents et marées. Ce modèle
existera toujours, quoiqu’on en dise, car le modèle du regroupement n’est pas
le modèle unique d’activité. Il y
aura toujours des médecins qui seront dans des mécanismes d’activités dans des
cabinets ou sans regroupements pluridisciplinaires mais la virtualité du
regroupement doit exister. C’est-à-dire que les jeunes médecins aujourd’hui ne
veulent pas être seuls - mais pas forcément seuls physiquement - ils ne veulent
pas être seuls dans leur pratique. Il faut donc construire cette pluralité et
comprendre les aspirations de la génération d’aujourd’hui : ce n’est pas
le modèle qu’on proposait depuis des décennies ; c’est difficile pour eux
de penser qu’ils seront durant trente-cinq ans dans un mode d’activité unique.
C’est d’ailleurs, peut-être une richesse de la médecine, que de pouvoir dire
qu’il peut y avoir des modes d’activités différents. Le tout, c’est que
l’organisation sur le terrain permette cette pluralité d’activités et c’est là
qu’il y a un effort de coordination très important à faire de façon à ce que
tant la population que les acteurs publics s’inscrivent dans une nouvelle démarche :
il pourra y avoir des médecins à des moments différents, qui exercent dans un
espace mais pas forcément toujours le même, médecin du lundi au vendredi et un
week-end sur deux. Il faut construire un modèle imaginatif pour permettre aux
jeunes médecins d’avoir la même réponse que l’ensemble de la société à leurs
questions. Ainsi, un jeune ingénieur va avoir une carrière plurielle,
travailler à l’étranger et en France, changer de carrière plusieurs fois dans
son cursus ; il est normal que les jeunes étudiants en médecine aient les
mêmes aspirations. Le temps du soin est la vraie question aujourd’hui.
Qu’est-ce que l’on attend des médecins ? Qu’est-ce qu’on attend des
professions de santé ? Il y a un temps médico-social, un temps du soin qui
est un temps important vers lequel il faut peut-être tendre toutes les aides et
non pas simplement des actions restructurantes de l’environnement. L’Ordre des Médecins,
comme les autres ordres de professionnels de santé, est d’accord sur le fait
que la société attend de nous le temps du soin. Il faut peut-être réorienter le
processus vers une clarification de ce temps de soin pour donner du sens à la
carrière car on ne forme pas des médecins en dix ou douze ans, des infirmiers
en trois ans, des pratiques avancées en cinq ans ou sept ans, pour ne pas avoir
du temps de soin au bout de tout ça. Cela nous paraît essentiel.
Dr E.
May : On parle de la crise de la démographie médicale
en France et de son corollaire, la désertification médicale. Quelle est
l’analyse du CNOM sur cette problématique deux ans après la mise en place du
Plan Territoire Santé ?
Dr P. Bouet : La
démographie médicale est un des deux grands enjeux de demain, au-delà du soin.
C’est de savoir quelle est la volonté d’un Etat en matière de répartition des
professionnels sur le territoire, donc de définir la proximité et l’accès aux
soins. Aujourd’hui on n’a pas cette définition. On a un modèle, qui était un
modèle antérieur, mais on n’a pas aujourd’hui une définition réelle de la
proximité et de l’accès aux soins. Donc forcément tant que cette démarche-là ne
sera pas totalement accomplie, on continuera d’être entre deux modèles ;
ce sont de vraies questions car aujourd’hui il y a des initiatives locales qui
tendent à vouloir maintenir des médecins en place alors qu’il n’y a plus rien
d’autre. Est-ce que c’est aujourd’hui un modèle ? Lorsque le Premier
ministre dit qu’il va faire des maisons de service public, est-ce qu’effectivement
ce n’est pas un nouveau modèle, dans lequel on va regrouper un ensemble
d’acteurs qui pourront agir en rayonnant à partir d’un espace ? Il y a des
initiatives en matière de répartition démographique sur les territoires mais
elles dépendent d’une volonté de gouvernance ; cette dernière est un peu
complexe, et cela ne peut pas être résolu par des initiatives législatives
autoritaires ; ce n’est pas en contraignant l’installation qu’on aura réglé
le problème mais bien en construisant un
modèle d’organisation.
Dr E.
May : La voix des usagers comme d’un certain
nombre d’associations tend à pousser à une certaine forme de régulation jusqu’à parfois demander que soient
mises en œuvre des contraintes.
Dr P. Bouet : Ils
restent dans un modèle ancien, et je comprends qu’aujourd’hui, quand on ne
s’extirpe pas de ce modèle ancien, on ne trouve comme solution que la
contrainte ; je crois qu’il faut se sortir de ce modèle et travailler à
partir de l’ensemble des acteurs existants et des structures existantes à
redéfinir la notion de proximité et d’accès aux soins. Le vrai défi n’est pas
seulement la démographie médicale mais la démographie générale de notre
population. Plus la population va vieillir plus il y aura en ambulatoire des
personnes qui auront besoin de soins. Il faut vraiment construire un autre
modèle. On peut dire qu’on accompagne la réflexion de la Loi de Santé même si
vous l’avez compris, nous ne sommes pas en plein accord avec elle ; en
tout cas, nous plaidons pour la recherche d’une meilleure organisation de
l’ambulatoire, en intégrant parmi les acteurs de l’ambulatoire beaucoup plus
d’acteurs car les centres de santé, l’hôpital général sont aussi des
acteurs de l’ambulatoire aux côtés des professionnels sur le terrain. Il faut
donc redéfinir ce modèle. Où implanter les réponses aux soins ? Comment
faire irradier ces réponses vers ces personnes ? C’est un vrai défi
médico-économique ; et ce défi pour l’instant n’est pas abordé parce que
l’on reste sur un modèle antérieur et que dans ce modèle antérieur,
effectivement, la contrainte peut apparaître comme la seule solution.
Dr E.
May : Vous venez de parler des centres de
santé, des professionnels qui mettent en œuvre de nouvelles pratiques. Le regroupement
des professionnels ambulatoires est-il pour l’Ordre l’avenir de l’organisation
des soins primaire qui permettra de répondre aux enjeux de santé
publique ? Vous avez déjà dit qu’il n’y aura pas de fin de l’exercice
solitaire, qu’il perdurera sous certaines formes, même si virtuellement il y
aura quand même un lien entre tous les acteurs. Que pensez-vous de l’émergence
forte des structures regroupées. On a parlé de révolution du « premier
recours »: en est-ce la première brique ?
Dr P. Bouet : C’est
en tout cas une brique. Je viens d’un département où les centres de santé ont toujours
eu une importance considérable en matière de réponse de proximité. Il ne s’agit
de réinventer des modèles qui ont déjà existé mais de voir quel est l’intérêt d’une
définition claire de la réponse à l’accès aux soins et à la proximité, quel est
l’intérêt des différents mécanismes possibles de regroupements. Sachant que les
regroupements ont un inconvénient majeur : c’est qu’ils sont
financièrement dépendants. Pour nous les centres de santé en ont été une
illustration importante. On a vu à quelle vitesse les financeurs se sont
désengagés d’un certain nombre de centres de santé qui ont été dès lors fragilisés.
Donc la problématique pour nous, c’est de dire il ne faut pas qu’il y ait un
modèle unique car ce modèle unique devient financièrement dépendant et alors il
peut être mis en péril à tout moment. C’est pour nous, une vraie interrogation.
C’est pour cela que nous souhaitons qu’il y ait vraiment une capacité d’innover
dans les regroupements virtuels, physiques, dans les centres de santé, dans le
pluridisciplinaire. On le voit bien dans le débat sur les coopérations et sur
le règlement arbitral, quand on en parle avec les acteurs majeurs des maisons
pluridisciplinaires, pluri-professionnelles : plus un centre se structure,
plus son besoin de financement devient important. Donc, globalement, si c’est
reconstruire des établissements de soins financièrement dépendants d’une
gouvernance, l’Ordre restera attentif. Si c’est créer des initiatives de
regroupements professionnels, pluri-professionnels partant du terrain et ayant
sur le terrain une analyse fonctionnelle réelle, là, l’Ordre sera toujours pour ;
mais ce que l’Ordre ne veut pas c’est qu’au titre de la promotion d’un modèle,
on en oublie les autres. Oublier les autres modèles serait faire courir un risque
majeur, nous semble-t-il, à la capacité de réponse. Il y a des endroits dans
lesquels on ne pourra pas implanter un centre pluri-professionnel ou
pluridisciplinaire qui répondra à 100% des besoins de la population. Ne
serait-ce que par les problématiques géographiques qui peuvent exister donc il
faut garder présent à l’esprit qu’il peut y avoir suivant les endroits et les
lieux des modèles différents à construire. L’Ordre met toujours en garde les
acteurs, en disant, nous accompagnons toutes les initiatives, tous les
regroupements professionnels mais on dit attention, ce ne sera jamais 100% de
l’organisation ou alors il faut qu’il y ait une décision de gouvernance.
Dr E. May : Vous
savez que le financement des centres de santé est un problème posé depuis des dizaines d’années. Depuis
2012 le gouvernement a bien voulu écouter les acteurs des centres et agir pour
relancer enfin la négociation conventionnelle. Celle-ci a repris après l’épisode
du règlement arbitral dont l’attente avait entrainé sa suspension. Vous avez
suivi ces négociations. L’Ordre soutient-il les acteurs des centres de santé
qui demandent à être traités comme
les autres, c’est-à-dire à pouvoir bénéficier des transpositions des
dispositifs conventionnels acquis par les médecins libéraux d’une part et,
d’autre part, aux cotés des maisons de santé, la pérennisation et la
généralisation de la rémunération des équipes regroupées coordonnées. Enfin,
troisième point, ils demandent un financement supplémentaire, un forfait
structure qui valorise les missions des centres pour l’accueil de l’ensemble de
la population sur leur territoire, les missions dites d’accessibilité aux soins de proximité
et d’accessibilité sociale. Que pense l’Ordre de ces revendications ?
Dr P. Bouet : A
priori, l’Ordre n’a aucune raison de ne pas être accompagnateur, il n’y a pas
une médecine X et une médecine Y. Tout ce qui est mécanisme qui engage la
profession dans une réponse à la population, l’Ordre des médecins est
naturellement pour. Sur la précarité aujourd’hui des centres de santé, leur
pérennité, sur le rôle qu’ils occupent dans les territoires, sur le rôle des
médecins et des professionnels de santé à l’intérieur des centres de santé,
l’Ordre est tout à fait accompagnateur, sans ambiguïté, mais toujours au titre
de la même réponse, il n’y a pas de modèle unique pour l’Ordre. En second lieu,
nous voulons que les conditions d’exercice des professionnels à l’intérieur de
ces structures soient garanties. Il n’est pas question de voir ces
professionnels perdre une partie de leur indépendance ou de leur liberté. Nous
sommes vigilants à ce niveau-là. Pour les forfaits structures nous les
soutenons bien entendu puisque nous soutenons même cela pour le médecin seul
dans son cabinet. Si aujourd’hui nous disons qu’il faut qu’il y ait des gestes
de gouvernance forts, c’est bien que quelque part il faut que dans la
gouvernance on apporte le soutien nécessaire pour que la pérennité des
structures de proximité soit garantie tout autant dans les centres de santé
qu’elles doivent l’être dans les autres modèles. A ce niveau-là, le centre
santé était pour nous un modèle qui existait avant tous les autres en matière
de regroupement et de travail pluri-professionnel et pluridisciplinaire ;
il faut à la fois que les centres de santé évoluent dans le sens d’équipes
pluridisciplinaires et d’un travail d’équipe ; j’ai été médecin en centre
de santé en Seine-Saint-Denis, donc je sais bien que dans ce centre, le travail
n’était pas un travail d’équipe mais de professionnels réunis dans un centre.
Il faut que les centres de santé évoluent vers un travail d’équipe, un travail
pluri-professionnel, un travail coopératif et de proximité avec une meilleure
identification du temps de soin là aussi pour que cela soit clairement établi.
Cela me paraît un modèle lisible parmi la multiplicité des modèles potentiels.
Globalement nous soutiendrons les collègues des centres de santé dans la
démarche qui consiste à ce que ce modèle lisible soit un modèle dont on
garantisse la stabilité. Nous l’avons déjà dit au ministère, cela fait partie
des éléments pour lesquels il faut des actes forts d’orientation de la
gouvernance. Il faut aller dans ce sens-là aussi. L’Ordre ne défendra pas un
modèle unique par contre l’Ordre est très attaché à des structures dans lesquelles
la preuve a été faite qu’on pouvait rassembler des professionnels. Il y a une
évolution me semble-t-il des centres de santé qui doit franchir un pas, au
moins un pas coopératif, un pas de travail en équipe, un pas structurel. Cela
nous paraît important et pour la gouvernance, il y a un pas énorme à franchir
qui est effectivement de cesser de voir ces structures fragilisées par le
risque financier. On voit bien l’hémorragie qu’il y eu dans les centres de
santé à cause de ce risque de désengagement associatif, on voit bien la
multiplicité des modèles des centres de santé les a rendus fragiles. Il faut
que les centres de santé, comme les autres, se restructurent en une
modélisation forte quels que soient les gestionnaires de chaque centre de
santé. Cela nous paraît fondamental. Il y a beaucoup de modèles dans les
centres de santé et la force des centres de santé, c’est peut-être d’arriver à
imposer une modélisation fonctionnelle. Cela me paraît en tout cas être un
enjeu majeur.
Dr E.
May : Des organisations de centres de santé,
en particulier, les organisations de professionnels de santé défendent le
principe d’un nouveau modèle économique de centre de santé. Ce modèle fondé sur
le pluri-partenariat (collectivités, mutuelles, associations) qui s’engage dans
le cadre de la Loi pour fédérer plusieurs acteurs sur un même territoire pour porter
ce type de structure. Le Conseil de l’Ordre soutient ce principe ?
Dr P. Bouet : Oui, le
CNOM soutient ce principe sur la base du principe de l’indépendance, vous vous
en doutez. Quand on entend partenaire, on entend des partenaires structurels
mais nous sommes très attentifs au fait qu’à l’intérieur de ce partenariat, les
professionnels de santé gardent leur indépendance et leur liberté. Nous ne
pouvons pas construire un modèle dans lequel elle serait mise en danger. Nous
sommes très vigilants notamment sur les partenariats de réseaux, sur ces
engagements partenariaux de façon à ce que les professionnels restent des
professionnels travaillant dans une structure mais indépendants dans leur
activité. C’est ce qui est garanti par les acteurs de l’hôpital, c’est ce qui
est garanti par les acteurs dans les établissements privés (quoique que cela
soit parfois plus compliqué), nous voulons que cela soit garanti dans les centres
de santé quels qu’ils soient car nous n’accompagnons pas une transformation de
modèles qui mettrait en péril l’accompagnement et la liberté des professionnels
qui exercent.
Dr E.
May : C’est le combat permanent de notre
syndicat.
Dr P. Bouet : Il y a
forcément une valeur éthique et déontologique qu’on partage. Celle qui garantit
votre capacité comme la mienne d’exercer pleinement le métier qui est le nôtre.
Il faut qu’on soit très vigilant et qu’on parle beaucoup ensemble pour
construire cette vigilance commune.
Dr E.
May : Un modèle a été proposé par certaines
organisations de gestionnaires de centres de santé qui n’est pas
inintéressante, complémentaire à ce qui existe : la création d’un statut
d’établissement de santé publique ambulatoire qui pourrait regrouper des
centres de santé mais éventuellement d’autres structures de prévention, PMI ou
centres de planification familiale. Qu’en pensez-vous ?
Dr P. Bouet : Je vous
dirais très honnêtement qu’aujourd’hui je ne peux pas vous répondre de façon
ferme sur cette réflexion puisqu’elle est en cours dans la section exercices
professionnels. Vous serez d’ailleurs invités à venir partager avec nous pour
qu’on puisse identifier un peu plus clairement les contours d’une telle
application de la définition « établissement de soins ». Par
ailleurs, la définition de l’établissement de soins tel qu’il existe
aujourd’hui en matière de gouvernance crée des rigidités administratives,
fonctionnelles que nous ne voudrions pas voir se démultiplier. Dans le fait d’innover,
d’inventer un nouveau modèle il faut être très attentif à ces rigidités. C’est
une des raisons pour lesquelles nous sommes très vigilants pour les EPHAD. Dès
que l’on parle d’un établissement de soins, on amène toutes les rigidités
inhérentes à cette dimension. Dans le code de santé publique, quand on rentre
dans la définition d’établissement de soins, on endosse un costume différent
avec des rigidités différentes. On crée des hiérarchies, des relations
administration / soin différentes, des objectifs différents. Comment
finance-t-on ces objectifs, ces établissements ? Quelles sont les
contraintes qui leur seront imposées en matière d’intégration dans les
résultats généraux. Ce sont des questions auxquelles il faut bien réfléchir en
amont, me semble-t-il.
Dr E.
May : Vous avez évoqué les pratiques
avancées. C’est un élément du débat, une proposition incluse dans le projet de Loi
de Santé. Le CNOM émet des réserves sur le développement de la délégation de
compétences, en particulier sur la pratique de la vaccination par les
pharmaciens.
Dr P. Bouet : C’est
plus qu’une réserve, c’est une opposition. Pour l’Ordre, cette opposition n’a
pas pour but de dire non. Nous pensons que c’est un sujet qui est beaucoup trop
important pour qu’on le traite sur un coin table par une décision législative
non partagée. Cela veut dire que les contenus métiers ont des zones de
superpositions et dans ces zones, il y a des actes communs qui existent et dont
on peut discuter avec des professionnels. Nous n’avons pas d’opposition de
principe pourvu que les pratiques avancées soient faites avec l’ensemble des
acteurs qui vont générer cette nouvelle activité. C’est quand même paradoxal,
nous avons tous participé à la création du métier de dosimétriste, nouveau
métier qui va être inscrit dans le code de santé publique et c’est bien parce
que tous les acteurs professionnels ont parlé ensemble qu’ils ont créé ce
nouveau métier et puis d’un autre côté, on voudrait tout d’un coup couper comme
dans du massepain, couper des tranches et les coller à un autre métier. Nous
pensons que c’est beaucoup trop sérieux pour qu’on agisse comme ça. Il y a des
professions de santé, des professions médicales, la profession de pharmacien,
il y a la lisibilité du parcours de soins, il y a de nouvelles professions qui
vont se créer dans l’avenir. Tout ceci demande à ce que nous les intégrions
dans une réflexion générale. C’est un champ qui est très ouvert et dont il ne
faut pas oublier qu’il doit être lisible pour l’usager de santé, qui doit
savoir qui est qui, qui fait quoi et ce qu’il peut attendre de l’acteur qui
effectue un acte. Cela demande fondamentalement d’être partagé par les acteurs professionnels.
Une fois qu’on les met tous autour de la table, on arrive à créer des choses,
le dossier métier en est la meilleure preuve. Cela veut bien dire que lorsque
les professionnels sont autour de la table ils savent inventer des choses mais
quand on veut dire d’un ministère : « c’est comme cela qu’il faut
faire », c’est la meilleure façon d’amener les professionnels à être en
situation de rejet. Donc c’est très important. Nous sommes prêt à
l’accompagner ; on travaille avec l’Ordre des infirmiers sur les pratiques
avancées ; sur la vaccination par les sages-femmes, nous ne sommes pas en
opposition : les sages-femmes
sont une profession médicale et qui naturellement dans leurs compétences
métiers peuvent avoir des zones de superpositions avec les médecins sur la
pratique d’un vaccin ou de quelques vaccins ; mais par contre je l’ai dit
à la Présidente de l’Ordre des pharmaciens, la vaccination par les pharmaciens,
c’est non.
Dr E.
May : L’objectif de santé publique était sans
doute de combler le défaut de vaccination de la population…
Dr P. Bouet : Oui,
nous en sommes conscients mais avouons très franchement que les mesures qui ont
été prises jusqu’à maintenant en matière de vaccination ont consisté à enlever
la capacité de prescrire aux médecins pour la transférer à d’autres. Là encore,
c’est une proposition suffisamment importante pour qu’on construise une
politique vaccinale. Il faut qu’on soit très vigilants et qu’on construise une
politique vaccinale partagée avec le ministère de la Santé et le gouvernement.
Ce n’est pas en prenant des bouts qu’on répondra à un objectif de politique
vaccinale.
Dr E. May : Nous
sommes à un moment particulier du débat sur la Loi de Santé, après la manifestation du 15 mars qui a
connu un franc succès auprès des organisations syndicales libérales.
Aujourd’hui quelle est la position de l’Ordre vis-à-vis de cette Loi de santé ?
Demandez-vous sa totale remise à plat et comme certains le réclament, que l’on
reparte de zéro ? Et petit focus sur les deux sujets qui ont été les plus
médiatisés, le tiers-payant généralisé et l’autre qui a tout autant fait au
sein de la profession l’unanimité contre lui, la place de l’ARS dans le cadre du schéma d’organisation des
soins primaires au niveau territorial. Quelle est votre position ?
Dr P. Bouet : Depuis
le mois de juillet 2014, notre position est constante. Elle a été rappelée devant
le Président de la République le 16 octobre 2014 qui nous a répondu en disant
qu’on allait ouvrir la négociation. La négociation a été ouverte en février, si
tant est que l’on puisse parler de négociations, mais en tout cas elle s’est
ouverte sur les points que nous avions, nous, soulignés. Globalement, on peut
dire qu’avec beaucoup trop de retard, une discussion sur la réécriture du texte
a été engagée. Malheureusement dans un temps tellement contraint et avec des
objectifs tellement réduits qu’on ne peut pas parler aujourd’hui de réécriture
du texte mais de propositions d’amendements. Madame la Ministre est aujourd’hui
à la Commission des affaires sociales et aucun acteur n’a aujourd’hui les
amendements que Madame la Ministre va porter. Donc c’est bien une situation
dans laquelle nous n’avons jamais demandé le retrait de la Loi de Santé, nous
avons demandé qu’elle soit réécrite sur un certain nombre des dispositions
qu’elle porte, pensant que cette Loi de Santé, je l’ai dit à plusieurs
reprises, ne se présente pas comme le grand projet refondateur du système de
soin que la stratégie nationale de santé avait laissé entendre. Ce n’est pas un
combat politique contre Madame la Ministre, nous ne sommes pas un acteur
politique mais on dit simplement qu’un texte que l’on veut être un texte
d’importance, s’il n’est pas partagé avec l’ensemble des acteurs, sera forcément
difficile à appliquer … comme la Loi HPST qui n’est pas encore totalement mise
en application. Donc on perd du temps, on continue de perdre du temps et le
passage sans dialogue complémentaire devant les parlementaires nous oblige
maintenant à agir au niveau des parlementaires et non plus du gouvernement.
C’est bien dommage pour un texte qu’on voulait partager. Mais surtout il ne
répond pas correctement à la grande inquiétude des territoires. Ce n’est pas
parce que l’on nous annonce dans le projet de Loi de Santé le virage
ambulatoire, qu’aujourd’hui le texte lui-même porte l’ensemble des éléments qui
garantissent que l’ARS ne va pas rester un superpouvoir concentrateur et
décisionnaire. Nous portons des revendications très claires pour que les
usagers et les professionnels soient placés directement à côté de l’ARS dans un
mécanisme d’association à la décision. Il y a une importance fondamentale à ce
que les territoires soient à l’origine d’un certain nombre d’initiatives. Mais
si la gouvernance reste purement administrative, on entre bien dans un schéma
d’hyper-administration de la santé. Aujourd’hui, rien ne démonte cette logique.
C’est pour nous important et nous n’avons jamais vu le tiers-payant comme
l’arbre qui cachait la forêt. On a dit dès le départ que pour nous le tiers-payant
n’est pas un motif d’opposition ordinale. Tout ce que nous avons dit sur sa
progressivité, son installation dans le temps, le fait qu’il soit généralisé et
qu’il n’ait pas un caractère obligatoire, tout ceci reste fondamentalement posé
pour nous. On voit bien que l’évolution du texte prend en compte un certain
nombre de nos interrogations mais que malgré tout il reste toujours un
mécanisme d’arrêt de cette action partagée qui est de dire « à cette
date-là le mécanisme sera obligatoire ». Le tiers-payant social c’est pour
nous une absolue nécessité mais le gouvernement ferait mieux de s’occuper du
problème du reste à charge. Parce que c’est là qu’est le vrai problème et c’est
une vraie priorité en matière de gouvernance. Le tiers-payant n’est qu’une
réponse partielle, ce n’est pas cela qui garantira l’accès aux soins sur
l’ensemble du territoire demain. Le tiers-payant social, par contre oui, c’est
une garantie essentielle qu’il faut apporter aux populations en difficulté. Nous
avons défendu la CMU, l’ACS ; le tiers-payant social est majeur, c’est
fondamental, mais globalement aujourd’hui on est au milieu du gué et on a
enlevé les pierres qui permettent de passer de l’autre côté. C’est une décision
politique. C’est dommage. On pense que si on avait eu le temps de suffisamment
discuter, peut-être qu’on ne se serait pas focalisé sur l’arbre tiers-payant et
peut-être qu’on aurait vu derrière tout ce qu’il faut faire pour que l’accès
aux soins soit garanti notamment en matière de reste à charge. L’Ordre n’a
jamais été en opposition avec le principe du tiers-payant social, avec le
principe d’une extension au droit du tiers-payant mais en disant :
attention ne braquez pas les professionnels en le rendant généralisé et
obligatoire comme ça. La Ministre annonce dans sa conférence de presse que
c’est pour 2018 puis elle vient d’annoncer que ce serait le dernier trimestre
2017. On voit bien qu’il y a un aller-retour politique à ce niveau-là mais il
va bien falloir que cela se tranche à un moment ou à un autre. La Loi de Santé,
c’est plutôt une déception. Autant la prévention nous l’accompagnons, autant un
certain nombre de dispositions qui sont prévues dedans vont dans le bon sens,
mais c’est plutôt une loi mosaïque, qui prend plein de petits morceaux de
couleurs, qui construit une fresque mais en se reculant on ne voit pas vraiment
ce qu’elle représente. C’est dommage car la Stratégie Nationale de Santé, le
rapport de M. Cordier à notre sens portait des ambitions d’une tout autre
nature. C’est dommage de ne pas construire un rapport de dialogue pour faire
partager une ambition. C’est un problème de politique et nous ne sommes pas
acteurs politiques au sens de la gouvernance politique. C’est un rendez-vous
raté et dans deux, trois ans on reparlera d’une nouvelle loi de santé qui
portera le nom d’un ministre de l’époque mais on n’aura pas résolu les
problèmes majeurs en la matière. On aura inscrit le virage ambulatoire mais
qu’est-ce qu’il y aura dedans ? On est sur des mots. La loi va consacrer
des mots. On veut accélérer le mouvement, c’est un choix politique, ce n’est
pas sûr qu’au bout de tout ça on aura une loi applicable par aucun d’entre nous.
Car je comprends que les acteurs hospitaliers puissent se mettre un petit peu à
l’écart mais les problèmes spécifiques du monde hospitalier ne sont pas résolus
dans ce texte. On va mettre d’autres mots, ouvrir d’autres portes mais tout ça
sans avoir tracé les passerelles qui vont permettre d’aller vers un but précis.
Je donne rendez-vous à tous les acteurs dans deux, trois ans, pour un nouveau
débat sur une nouvelle loi de santé…