La rémunération à l'activité sélectionne les actes et met en danger les
centres de santé.
Plusieurs
rapports récents préconisent le paiement des praticiens à l'activité dans un
souci de bonne gestion des structures (une étude commanditée par l'ARSIF, une
autre par un organisme mutualiste et le rapport de l'IGAS sur les centres de santé paru en juillet 2013)
Selon
les conclusions de ces études, ce type de rémunération favoriserait une
certaine forme de productivité, laissant à penser que les praticiens salariés
dormiraient quelque peu sur leur lauriers et seraient générateurs de
« déficit » pour les structures dans lesquelles ils exercent.
Traditionnellement,
les centres de santé, en particulier les centres de santé municipaux
historiques, rémunèrent leurs praticiens à la fonction.
Certains
gestionnaires municipaux, associatifs ou mutualistes ont, petit à petit, fait
entrer une part de rémunération à l'activité dans la rémunération des
praticiens, soit en intéressant leurs salariés aux actes techniques via un
pourcentage de celui-ci, soit en substituant totalement le salaire fixe à une
rémunération stricte à l'activité.
Le
présupposé de départ de l'exercice salarié, mode de rémunération de plus en
plus revendiqué par les jeunes médecins, est qu'il efface tout rapport
d'intérêt financier avec le patient, laissant une place de choix à ce qui
constitue l'essence du métier : le soin et la prévention. Les praticiens
peuvent alors s'accorder du temps, lorsque cela le nécessite, ce qui renforce
la qualité de la prise en charge, notamment des populations le plus
vulnérables.
Comment
imaginer développer une stratégie de soin, mettre en place des plans
personnalisés de prévention, expliquer la pratique complexe d'un test « hémoccult »,
ou encore obtenir une adhésion au traitement d'un patient porteur d'une
pathologie chronique, et ce, dans le cadre de consultations d'une durée parfois
inférieures à 10 minutes. Et pour des patients éventuellement non francophones
de surcroît, ou encore dans les cas où il
faut dépasser des croyances et des représentations très ancrées ?
Par
ailleurs, la rémunération à l'activité, totale ou même partielle introduit un
élément salarial qui ressemble fort à l'intéressement dans les grandes
entreprises privées et qui dévoie l'idée même du centre de santé et de son
aspect social. Comment résister à la multiplication des actes en médecine
générale ? A l'abandon des soins conservateurs en dentaire au profit d'une
multiplication des prothèses ? A la sélection des actes techniques les
plus « payants » en spécialité, en dépit des besoins réels des
populations prises en charge?
En
effet, dans un contexte dominé par la démographie médicale en baisse, le
praticien peut être tenté d'axer sa pratique, en sélectionnant patients et
gestes techniques, vers des actes qui seront plus rémunérateurs pour lui,
s'assurant ainsi une « prime » plus ou moins conséquente, en fonction
des actes pratiqués.
On
connaît l'histoire de la cabine
d'audiométrie restée inutilisée parce que l'ORL a réorienté son activité vers
la polygraphie. Non pas parce que la demande d'audiogrammes a baissé mais parce
que l'intéressement à l'acte le porte à effectuer des actes rémunérés 119 €
plutôt que 52 €. De la même façon, certains phlébologues ne cotent pas la
consultation à 23 € (voire 26 €) mais y préfèrent la sclérose veineuse à 18,90
€ parce que dans le premier cas il n'y a pas de « prime » à l'acte
qui vient s'adjoindre au salaire du praticien, mais qu'ils bénéficient d'un
pourcentage dans le second cas. Et c'est le centre de santé lui-même qui voit
baisser ses recettes... Et l'on parle d'optimisation de la gestion... !
Consultations
plus courtes, moins d'écoute consacrée aux patients, actes sélectionnés,
patientèle sélectionnée ou moins bien prise en charge pour les plus
vulnérables, sont les conséquences directes de la rémunération à l'activité.
Force
est de constater que, loin de garantir une meilleure rentrée de recettes pour
la structure, la rémunération à l'activité est à même de les amoindrir et,
sélectionnant les actes, d'amoindrir du même coup (ou du même coût?) l'offre de
soins et leur qualité.
La
rémunération à l'activité a de plus un impact direct sur ce qui constitue « l'ADN » de nos structures.
Ces spécificités que sont la prévention, l'éducation pour la santé, la
coordination des soins ou encore plus récemment l'éducation thérapeutique des
patients. Ces pratiques échappent à la rémunération à l'acte, ne génèrent aucune
recette directe pour le praticien dans le cadre d'une rémunération à
l'activité. C'est la conception même de l'approche de la santé qui est portée
par les centres de santé qui se trouve fragilisée et mise en danger lorsqu'un
gestionnaire opte pour ce type de rémunération.
Les
centres de santé portent le salariat dans leurs gènes, comme ils offrent le
tiers payant, la dispense d'avance des frais et les tarifs conventionnés du
secteur 1 depuis toujours.
Ils
revendiquent le droit d'effectuer des consultations longues quand cela le
nécessite et nombre de jeunes praticiens ne s'y trompent pas et aspirent de
fait à ce type d'exercice.
En
conclusion, la préconisation de
faire rentrer la rémunération à l'activité dans les structures salariées, à
l'heure où certains revendiquent la sortie de la rémunération à l'acte au
profit d'une dotation globale des structures, prenant en charge une population
pour la totalité de leurs missions (coordination, soin, prévention, pratique du
tiers payant), est bien une idée, en plus d'être contre-productive, qui va à
contre-courant de l'évolution d'une médecine qui se modernise.
Et
pour tout dire une idée obsolète.