mercredi 1 octobre 2014

Rémunérer à l'acte menace les centres de santé


La rémunération à l'activité sélectionne les actes et met en danger les centres de santé.

Plusieurs rapports récents préconisent le paiement des praticiens à l'activité dans un souci de bonne gestion des structures (une étude commanditée par l'ARSIF, une autre par un organisme mutualiste et le rapport de l'IGAS sur les centres de santé paru en juillet 2013)

Selon les conclusions de ces études, ce type de rémunération favoriserait une certaine forme de productivité, laissant à penser que les praticiens salariés dormiraient quelque peu sur leur lauriers et seraient générateurs de « déficit » pour les structures dans lesquelles ils exercent.

Traditionnellement, les centres de santé, en particulier les centres de santé municipaux historiques, rémunèrent leurs praticiens à la fonction.
Certains gestionnaires municipaux, associatifs ou mutualistes ont, petit à petit, fait entrer une part de rémunération à l'activité dans la rémunération des praticiens, soit en intéressant leurs salariés aux actes techniques via un pourcentage de celui-ci, soit en substituant totalement le salaire fixe à une rémunération stricte à l'activité.

Le présupposé de départ de l'exercice salarié, mode de rémunération de plus en plus revendiqué par les jeunes médecins, est qu'il efface tout rapport d'intérêt financier avec le patient, laissant une place de choix à ce qui constitue l'essence du métier : le soin et la prévention. Les praticiens peuvent alors s'accorder du temps, lorsque cela le nécessite, ce qui renforce la qualité de la prise en charge, notamment des populations le plus vulnérables.

Comment imaginer développer une stratégie de soin, mettre en place des plans personnalisés de prévention, expliquer la pratique complexe d'un test « hémoccult », ou encore obtenir une adhésion au traitement d'un patient porteur d'une pathologie chronique, et ce, dans le cadre de consultations d'une durée parfois inférieures à 10 minutes. Et pour des patients éventuellement non francophones de surcroît, ou encore dans les cas où il faut dépasser des croyances et des représentations très ancrées ?

Par ailleurs, la rémunération à l'activité, totale ou même partielle introduit un élément salarial qui ressemble fort à l'intéressement dans les grandes entreprises privées et qui dévoie l'idée même du centre de santé et de son aspect social. Comment résister à la multiplication des actes en médecine générale ? A l'abandon des soins conservateurs en dentaire au profit d'une multiplication des prothèses ? A la sélection des actes techniques les plus « payants » en spécialité, en dépit des besoins réels des populations prises en charge?

En effet, dans un contexte dominé par la démographie médicale en baisse, le praticien peut être tenté d'axer sa pratique, en sélectionnant patients et gestes techniques, vers des actes qui seront plus rémunérateurs pour lui, s'assurant ainsi une « prime » plus ou moins conséquente, en fonction des actes pratiqués.
On connaît l'histoire  de la cabine d'audiométrie restée inutilisée parce que l'ORL a réorienté son activité vers la polygraphie. Non pas parce que la demande d'audiogrammes a baissé mais parce que l'intéressement à l'acte le porte à effectuer des actes rémunérés 119 € plutôt que 52 €. De la même façon, certains phlébologues ne cotent pas la consultation à 23 € (voire 26 €) mais y préfèrent la sclérose veineuse à 18,90 € parce que dans le premier cas il n'y a pas de « prime » à l'acte qui vient s'adjoindre au salaire du praticien, mais qu'ils bénéficient d'un pourcentage dans le second cas. Et c'est le centre de santé lui-même qui voit baisser ses recettes... Et l'on parle d'optimisation de la gestion... !
Consultations plus courtes, moins d'écoute consacrée aux patients, actes sélectionnés, patientèle sélectionnée ou moins bien prise en charge pour les plus vulnérables, sont les conséquences directes de la rémunération à l'activité.
Force est de constater que, loin de garantir une meilleure rentrée de recettes pour la structure, la rémunération à l'activité est à même de les amoindrir et, sélectionnant les actes, d'amoindrir du même coup (ou du même coût?) l'offre de soins et leur qualité.


La rémunération à l'activité a de plus un impact direct sur ce qui constitue  « l'ADN » de nos structures. Ces spécificités que sont la prévention, l'éducation pour la santé, la coordination des soins ou encore plus récemment l'éducation thérapeutique des patients. Ces pratiques échappent à la rémunération à l'acte, ne génèrent aucune recette directe pour le praticien dans le cadre d'une rémunération à l'activité. C'est la conception même de l'approche de la santé qui est portée par les centres de santé qui se trouve fragilisée et mise en danger lorsqu'un gestionnaire opte pour ce type de rémunération.


Les centres de santé portent le salariat dans leurs gènes, comme ils offrent le tiers payant, la dispense d'avance des frais et les tarifs conventionnés du secteur 1 depuis toujours.

Ils revendiquent le droit d'effectuer des consultations longues quand cela le nécessite et nombre de jeunes praticiens ne s'y trompent pas et aspirent de fait à ce type d'exercice.



En conclusion, la  préconisation de faire rentrer la rémunération à l'activité dans les structures salariées, à l'heure où certains revendiquent la sortie de la rémunération à l'acte au profit d'une dotation globale des structures, prenant en charge une population pour la totalité de leurs missions (coordination, soin, prévention, pratique du tiers payant), est bien une idée, en plus d'être contre-productive, qui va à contre-courant de l'évolution d'une médecine qui se modernise.
Et pour tout dire une idée obsolète.