jeudi 14 janvier 2016

Centres de Santé du GCM des Bouches du Rhône: "Circulez, il n'y a presque plus rien à voir..."


Le 6 Décembre 2012, le Grand Conseil de la Mutualité des Bouches du Rhône licenciait 39 médecins généralistes exerçant dans les 11 centres de santé mutualistes : ceux-ci refusaient de transformer leur contrat à la fonction en un contrat à l’acte et la médecine sociale en une pratique vouée aux ambitions assurancielles de la Mutualité. (voir article 02/2015)
L’USMCS qui a soutenu les médecins licenciés et leur combat pendant deux ans, continue de s’intéresser aux conséquences de cette casse programmée et assumée.
Revue générale donc….

1.     Je ne reviendrai pas sur les situations individuelles des médecins généralistes licenciés : retraite, exercice libéral, réorientation et formation, tous ceux qui ont repris une activité l’ont fait en équipe et en pratiquant le tiers payant sécurité sociale. Pour information syndicale, les indemnités ont été versées aux 3/5 et les procédures prudhommales de réparation s’éternisent de renvois en appels dont les dates ne sont pas encore fixées le plus souvent.
2.     La situation du GCM :
*extraits d’une lettre du directeur général , monsieur Fréminet, adressée aux salariés du GCM le 6 Juillet 2015 :
«  La dynamique de redressement que nous avons tous ensemble fait naître dans l’entreprise nous a permis de mobiliser largement autour d’elle : collectivités territoriales, élus locaux, partenaires mutualistes, habitants et usagers de nos centres… »
Et de terminer cette missive par un  « Bel été à toutes et tous ».

Extrait d’un entretien de monsieur Marc Becker, Président du GCM le 15/10/2015 au Journal La Marseillaise :
« … dans 3 mois on sera en cessation de paiement. »
Le 27/10, Marc Becker, encore :
« La dette à rembourser sur 10 ans est devenue insoutenable ( 13 millions)…elle est en cause, mais pas uniquement, la réduction du chiffre d’affaire passé de 85 à 40 millions d’Euros ».
La  « dynamique de redressement » dont parle le Directeur du GCM  fait  référence à l’engagement de Marisol Touraine et Michel SAPIN de valider une remise de 50% des dettes publiques rémissibles du GCM (cotisations sociales , taxes sur les salaires).
Et puisque l’état montrait « l’exemple », le GCM engageait une action devant le TGI pour « restructurer la dette », c'est-à-dire demander au Tribunal l’abandon par les créanciers de 85% de leurs créances  contre paiement immédiat de 15%  de la dette ou, variante : abandon de 50% et paiement du solde à partir de 2020…
Deux audiences ont eu lieu.  Nouvelle audience le 27/01/2016.
D’ ores et déjà, on peut dresser un bilan de cette tentative de renflouement financier par effacement  des dettes sociales (l’état) ou réduction des créances  privées, soit 13 millions en tout.
Le ministère a confirmé 1.5 Millions de subvention immédiate et 50% de la dette sociale.
Le rééchelonnement de la dette privée reste à valider par le TGI de Marseille.
Certain personnage proche du Dossier comme le rapporte La Marseillaise du 27/10/2015… n’a pu s’empêcher d’éructer anonymement contre les Médecins salariés : « quand on se targue du social il faut aller jusqu’au bout, mais pas à géométrie variable…» et la journaliste de  rajouter malignement que les médecins « partis » avaient généré de fortes indemnités de licenciement (qui à ce jour ont été versés pour 3 annuités sur 5)… Satané Code du Travail !  Pour compléter le florilège, madame Cathy Pinatel, de la CGT , ne « comprend pas comment on en est arrivé là » ( c'est-à-dire la menace de cessation de paiement) … le GCM a passé les médecins à l’acte et beaucoup sont partis… ». Pour info chère Camarade, les médecins ont été LICENCIES : c’est un vilain mot mais c’est celui qui s’applique à cette histoire et qui explique pour une bonne partie  la situation qu’elle ne comprend toujours pas. La réduction du Chiffre d’affaire en est évidemment une des conséquences, la masse salariale restant conséquente.

Quelques enseignements à tirer :
- Trois Millions d’Euros accordés par l’état au GCM : c’est le prix à payer par l’état pour sauver les centres du GCM et les emplois. Sans compter le rééchelonnement et la réduction des créances privées sur les 10 millions restant. Il s’agît d’éviter une « catastrophe sanitaire et sociale » imminente. C’est oublier que la catastrophe sanitaire a déjà eu lieu, mais amortie par la réactivité des médecins licenciés qui ont souvent repris du service dans des structures libérales. Les Centres restent certes utiles mais sont dans un état de détérioration fonctionnelle ( peu de MG) et sociale. Ces apports financiers reposent sur la qualité du travail collectif médical et social accomplis depuis 50 ans, et usurpé depuis 3 ans. Le GCM s’appuie sur la réputation acquise sur les bases de notre projet médical, du temps où il était aussi et  encore  mutualiste.
- Certains utilisent les médecins  LICENCIES comme bouc émissaire des difficultés et des échecs patents de leur stratégie, quand la menace de cessation de paiement réapparaît. Ceux-ci resteront dignes et se contenteront de rappeler que ce qu’ils avaient prédit se réalise malheureusement : perte des repères politiques, recrutement médical difficile et insuffisant, production sanitaire quantitative en chute. Et la population reste très en colère contre le GCM. La stratégie engagée il y a 3 ans a produit la pénurie et la casse de la médecine sociale. Il n’y a plus que les emplois à sauver.

3.     Les projets de médecine sociale initiés par les médecins licenciés du GCM.
Le Centre de consultations, porté par le CH de Martigues et l’agglomération Martigues, Port de Bouc, Saint Mitre, a ouvert en Juin 2015 avec 2 généralistes. Ce n’est finalement pas un CS, c’est une réponse concertée de premier recours entre les élus locaux (mairie, agglomération), ARS, médecins et  Centre hospitalier. Il connaît, dans ce territoire touché par la crise de démographie médicale aggravée par le désengagement mutualiste une fréquentation importante par la population. Il faudra  attendre la première année pour évaluer l’avenir de cette structure.
Le projet  de centre de Santé des Quartiers Nord semble bouclé, dans le cadre d’un portage par l’Hôpital Edouard Toulouse, validé par l’ARS. Le démarrage était espéré cet Automne ;  le permis de construire n’est pas encore délivré ce qui semble repousser l’ouverture dans le cours de l’année 2016… On attend avec impatience son ouverture, symbole de l’engagement et la pugnacité de quatre médecins issus du GCM.
Le principal enseignement de ces tentatives de création  de CS, c’est que les partenaires privés ou publics se font rares et discrets ; La Mutualité a abandonné le terrain social ; Les collectivités se sont vues refiler par l’Etat Central le mistigri des dépenses publiques et sociales ; ils ne s’aventurent plus sur des projets innovants, se contentant de contribuer à réduire la crise quantitative et la désertification de la médecine générale, sans trop se pencher sur les contenus.
Il aborde la problématique de la désertification par un exemple puisé dans le centre de la France : Un maire se démène pour recruter un médecin généraliste. Après avoir rejeté une candidature roumaine, une jeune praticienne se présente. Elle exprimera une exigence incontournable : ne pas travailler seule. La médecine d’équipe oui, la médecine sociale : plus guère. La campagne contre le TPG souligne ce divorce : peu de médecins motivés par la médecine sociale, plus de partenaire politique ou territoriaux. L’hôpital serait donc le dernier partenariat disponible ?
Ce même documentaire ne cite pas les centres de santé et ignore la seule structure dont la raison d’être est la lutte contre les inégalités sanitaires!
C’est là que nous rejoignons les BDR et l’histoire des CS mutualistes.
Un large développement est consacré à l’action de l’APCME (…). Marc Andéol qui fut le cartographe et le coordinateur, aux côtés du Dr Gilbert Igonet, du développement du travail sur la santé et l’environnement professionnel  au sein de la mutualité des BDR de 1976 aux années 2000, puis comme coordonnateur de l’APCME qui a pérennisé ce travail dans un contexte associatif. Un travail de 40 ans. L’intervention de Marc Andéol est lumineuse et décrit parfaitement les carences et déviances du système qui ne permet pas à la sécurité sociale d’avoir les bons chiffres et le bon diagnostic. L’impuissance d’une responsable de la CNAMTS n’en est que plus pathétique : d’un côté le travail concret et la pauvreté de moyens qui a permis d’assainir dans les BDR de nombreuses situations à risque dans les usines, et de l’autre l’impuissance opulente du cadre de la sécu qui n’en peut mais de modifier les impasses statistiques et diagnostiques de son administration…
On peut cependant  déplorer qu’il n’apparaît pas clairement que les 25 premières années de ce travail concret s’est effectué dans le cadre de la Mutualité, celle là même qui en 2012  a sabordé la médecine sociale, et que ce sont des médecins de centres de santé qui ont participé à cette innovation : CS où se côtoyaient MG, spécialistes, élus ouvriers, avec un plateau technique, à l’époque performant, et une rémunération à la fonction.
Je garde la conviction que le Centre de Santé mutualiste était ce lieu où médecins, population et élus pouvaient construire ce modèle d’intervention sur la santé et l’environnement. Il eut été bon de le rappeler dans ce documentaire.

4.     Le centre de santé CCAS de Manosque.
Quelques nouvelles du Centre de santé CCAS de Manosque : dans le contexte allégué d’uniformisation des statuts et de transfert de gestion à la Mutuelle d’action sociale du 04/05, la CCAS  a appliqué les potions salariales bien connues dans les Bouches du Rhône : passage à l’acte et remaniement du statut. Résultat : départ de 3 médecins en rupture conventionnelle, licenciement de 7 praticiens sur un ensemble de 12 (2 vacataires ont accepté). Audience prud’hommale fin Novembre 2015. On ne doute pas du recrutement que ces nouveaux statuts vont favoriser…


On peut   constater que  le GCM, en menace de cessation de paiement  s’était bel et bien engagé dans une stratégie perdante.  L’octroi de subvention dans cette situation désespérée ne change rien à cela, même si il change le plomb en or.
Les CS mutualistes ne sont plus à l’évidence ce qu’ils furent. Les personnels, souvent démoralisés, et découragés par les stratégies fluctuantes et la valse des cadres continuent, sans repère de politique sanitaire lisible, à espérer sauver leur emploi. Le projet sanitaire a laissé place à la chasse aux subventions qui viennent tenter de colmater les brèches financières accumulées.
Les médecins licenciés du GCM éprouve quand même une certaine amertume quand ils constatent les moyens considérables accordés à cette entreprise au moment où elle n’est plus en mesure d’assumer les missions sanitaires, faute de projet social clair et faute de recrutement sur les bases du statut qui est proposé.
N’aurait il pas été plus pertinent d’accorder ces moyens quand des professionnels étaient prêts à relever le défi  au lieu de les stigmatiser? Le pouvoir politique,  l’ARS et le GCM ont joué une partition qui n’a rien à voir ni avec l’intérêt des salariés, ni avec celui de la population à qui il coûtera, pour fréquenter des structures déclassées, 3 millions d’euros supplémentaires. 
Les médecins qui ont poursuivi une activité après leur licenciement, et créé dans l’urgence des cabinets de groupe peuvent témoigner que les patients, et la population ne sont pas dupes des discours qui tordent la vérité et stigmatisent des médecins qui n’ont eu que le tort de décrire les impasses dans laquelle la Mutualité des Bouches du Rhône s’est engagée.
Gérard Israël