mardi 26 janvier 2016

Mercantilisation de la santé ou l’obsolescence programmée de la solidarité


Pauvre France, ou l'on continue de faire des "bonnes" affaires et des "bons" coups sur le dos du plus grand nombre. Dans le domaine de la santé, comme dans d'autres,  ces mauvaises actions se développent et se multiplient et cela toujours avec le faux alibi de rendre service à la population  alors qu'il s'agit de faire fructifier des intérêts particuliers ou de favoriser des politiques nocives pour les citoyens de notre pays. Prenons trois exemples aussi variés que néfastes.

La mise en place de la Complémentaire Santé Obligatoire

C'est l'exemple type d'une mesure affublée d'un déguisement la faisant passer pour une bonne action. Elle serait voulue par notre gouvernement, si soucieux du bien être de ses électeurs, pour, nous dit-on, contribuer à réduire les inégalités sociales de santé en empêchant qu'une partie de la population continue d'être sans assurance complémentaire ce qui participe au renoncement aux soins. Mais alors pourquoi ne pas utiliser pour cela l'outil privilégié que devrait-être la Sécurité Sociale solidaire?
Au contraire, le dispositif voulu par nos gouvernants réduit le périmètre de la sécurité sociale, privilégie un système d'assurance complémentaire obligatoire par le biais des entreprises, s'inscrivant dans un dispositif patronal ou les entreprises auront à gagner sur deux tableaux : possibles réductions de cotisations sociales d'une part et, d'autre part,  profiter des négociations avec les prestataires d'assurances complémentaires pour substituer aux complémentaires antérieures en place dans nombre d'entreprises de nouveaux contrats pour tous les salariés. En recul sur les acquis des anciens bénéficiaires d'assurances complémentaires et n'offrant qu'un panier de soins remboursés réduit pour  tous (nouveaux et anciens). Il faudra s'offrir un supplément pour une couverture correcte. Mais, non seulement cette nouvelle assurance complémentaire est imposée à tous, mais elle est aussi imposable puisque les salariés seront fiscalisés sur les cotisations salariales et patronales de cette prestation obligatoire. Moins bonne couverture complémentaire pour beaucoup, surcoût pour tous via la fiscalisation, panier de soins réduit, dépenses supplémentaires pour qui voudra maintenir sa couverture : tout cela favorisera les intérêts de quelques uns, développera une « stratégie anti sécurité sociale » et aboutira, hélas, à une aggravation des inégalités sociales de santé.

La mise en place d'une plate-forme  dite de" 2ème avis" à 295 € l'avis au lieu de 23

Là encore,  la démarche est pavée de bonnes intentions pour satisfaire les besoins et interrogations des patients et leurs familles qui désireraient un avis éclairé d'une sommité médicale concernant leur  pathologie grave et complexe. Et sans voir le patient,  mais en consultant un dossier étayé, les experts  rendront un avis coûteux et non remboursé. Comme on dit, mieux vaut être riche et bien portant que pauvre et malade...
Pourquoi ne pas utiliser les dispositifs existants de consultations auprès de consultants spécialisés, ou le patient est adressé par son médecin généraliste avec des questionnements pertinents et pour le prix d'une consultation remboursée? Pourquoi ne pas chercher à améliorer l'existant pour tous plutôt que de créer des espaces pour quelques uns en aggravant les inégalités sociales de santé? Mauvais coup pour la santé, mauvais coup pour l'accès aux soins, mauvais coup contre la sécurité sociale.
Il y a, parmi ceux qui s'engagent dans ce dispositif, né avec la bénédiction du Ministère, de l'ARS Ile de France, du CNOM et l'accord de la CNIL, des sommités médicales, réputées pour leurs parcours, présidents de ceci ou cela. Mais ces titres, ces passés, ces renommées peuvent-ils être suffisants pour témoigner, pour le présent, de l'absence de conflit d'intérêt?  Nos gouvernants ne voient-ils pas là une pierre de plus pour édifier leur stratégie anti Sécurité Sociale quelles qu’en soient les conséquences pour le plus grand nombre des usagers?

Conventions de revitalisation des Maisons et Pôles de Santé

Tout comme les Centres de Santé, les Maisons et Pôles de Santé ont des problèmes financiers. Les entraves budgétaires freinent ou empêchent la réalisation de projets innovants ou tout simplement  gênent le bon fonctionnement de leurs structures.
Pour résoudre ce problème, la Fédération Française des Maisons et Pôles de Santé accepte de bénéficier d'apports financiers issus d'acteurs privés, leur permettant ainsi d'améliorer leurs prestations. C'est ainsi qu'ils viennent de signer une convention de revitalisation avec le laboratoire pharmaceutique PFIZER qui leur versera, via la Caisse des Dépôts et après validation par le Ministère, des dotations contribuant à la création de 100 postes (en particulier de coordinateurs d'équipes ou de médecins DIM [département d'information médicale]) au sein des MSP pour faciliter travail administratif, gestion des réunions, des projets, des locaux. En fait, sera versé pour un équivalent temps plein : 5000 €, puis...?
Mais n'y a-t-il pas un gros conflit d'intérêt pour un établissement de soins de recevoir des dotations issues d'un groupe pharmaceutique? N'y a-t-il pas à terme des risques d'ingérence et de subordination?
Le comble dans cette affaire est, peut-être,  la disposition décidée  par le gouvernement et qui aboutit à cette forme de déviance. En effet ce type de conventions concerne des entreprises qui, comme PFIZER, ont procédé à des licenciements collectifs et doivent se racheter une bonne conduite en signant ces conventions et en réinvestissant dans d'autres emplois!!!  On marche sur la tête... mais c’est pour eux assurément rentable. Un bel investissement.
Avec le même raisonnement, et pour les exonérer de toute faute ou responsabilité, on pourrait demander aux pollueurs de payer quelques masques à gaz pour être quittes, et aux assassins de mettre leur obole dans une bonne œuvre pour être innocentés.
Pauvre France, pauvre République où les valeurs d’intégrité, honnêteté, désintéressement se perdent au plus haut niveau. C’est peut être ça aussi l’obsolescence programmée.

Alain Brémaud