vendredi 6 septembre 2013

Demandes de soins non programmés et services d'urgences, le cas du projet de Nouvel Hôtel-Dieu à paris


Roselyne Bachelot est entrée dans l’histoire en 2009 pour sa gestion de la grippe et pour avoir créé ses fameux vaccinodromes. Le projet de consultodrome de l’Hôtel-Dieu hissera-t-il Marisol Touraine et Claude Evin au niveau de notoriété de Roselyne Bachelot ? Telle est la question que nous nous proposons de discuter.


1 - Médecins de ville et urgentistes : différents et complémentaires


Les urgentistes disposent d’une forte notoriété au sein de la population, ils sont légitimement fiers du travail qu’ils accomplissent, ils commencent à être mieux reconnus au sein de la communauté médicale hospitalière, ils sont devenus  des spécialistes à part entière, exerçant une spécialité distincte de la médecine générale, les caractéristiques de leur patientelle font l'objet de travaux périodiques (Journée d'enquête nationalesur les structures des urgences hospitalières du 11 juin 2013, DRESS 2013) Ils prennent en charge des urgences, parfois vitales, et organisent l’entrée dans le circuit hospitalier. Ils contribuent à rassurer des patients venus à l’hôpital avec la crainte, infondée a posteriori, d’avoir quelque chose de grave. Ils sont salariés et disposent depuis Jack Ralite d’un statut de praticien hospitalier convenable.

Les généralistes sont eux aussi désormais des spécialistes. La médecine de premier recours, celle qu’ils exercent, a été reconnue par la Loi. Ils ont réussi à se doter d’un collège qui représente leur discipline.  Ils voient leur métier profondément évoluer. Avec ce qu’il est convenu d’appeler la transition épidémiologique ils consacrent la majorité de leur action à la prise en charge des patients porteurs de maladies chroniques. La notion de médecin traitant s’applique à eux au premier chef. Leur profession a été profondément remaniée par deux évolutions sociologiques : la féminisation, et les nouveaux arbitrages entre vie personnelle et vie professionnelle.  Les généralistes sont désormais confrontés au décalage croissant entre leurs besoins professionnels et l’archaïsme des conditions d’exercice. L’exercice isolé selon un mode dit libéral, ainsi que la rémunération essentiellement à l’acte, forment des obstacles sur le chemin des évolutions en cours.
Spécialités différentes, soins de premier recours d'un côté, parfois imprévus, urgences perçues, parfois vitales, de l'autre, généralistes et urgentistes exercent des métiers différents et prennent en charge des populations différentes par la prévalence des pathologies rencontrées. Ils inscrivent leur action, comme on va le voir, dans des cadres distincts et bien définis.

2 – Du médecin de garde à la permanence des soins ambulatoires (PDSA)


La représentation mentale du métier de généraliste chez ses membres comme auprès de la plupart des institutions de la santé ou des patients  reste pour l’essentiel fondée sur un modèle en voie d’extinction, le médecin de sexe masculin dont l’épouse répond au téléphone, exerçant seul du lundi au samedi, assurant les urgences à domicile au sein d’un tour de garde ancêtre de la permanence des soins ambulatoire (PDSA). On se gardera bien ici de reprocher aux généralistes leur réticence à entrer dans la modernité, lorsque celle ci prend la forme de réseaux de soins assurantiels, de démarches qualité normatives et autres organisations inefficaces voir La revanche du rameur, Dominique Dupagne, Michel Lafond éd., février 2012).
Année après année les rapports s’accumulent, les réformes se succèdent, et la médecine de ville, malgré tous ses efforts, réduit son influence dans le domaine de la permanence des soins (voir Permanences des soins et système des urgences médicales en France, Patrice Blemont, Christian Favier, Collection les indispensables, Berger-Levrault éditeur, 2012). A Paris un appel au centre 15 pour un souci sérieux se solde souvent par l’envoi d’une ambulance, rouge ou blanche, quand on se satisfaisait, il y a encore quelques décennies, de voir arriver dans l’heure un médecin de ville. Les services d’urgences accueillent de plus en plus de patients, pour la plus grande satisfaction des gestionnaires hospitaliers qui engrangent toujours plus d’actes. Il est un fait bien établi : les médecins de premier recours sont de moins en moins confrontés aux urgences vitales, tandis que la fréquentation des urgences hospitalières s’accroit régulièrement. Les explications de cette évolution sont multiples.  Elles tiennent probablement à l'élévation du niveau d'exigence de la population, mais aussi à la disponibilité des services d’urgences, à l’accessibilité financière, et à la compétence perçue. Ajoutons que malgré leur bonne volonté, les maisons médicales de garde, dont on attendait qu'elles freinent le phénomène, ont eu un impact mitigé sur le nombre de passage aux urgences, y compris lorsqu'elles sont hébergées au sein d'un hôpital.

3 - Le réalisme de l'ARS Ile-de-France en matière d'urgences et de soins non programmés


L'Agence Régionale de Santé d'Ile de France distingue clairement structures d'urgences des adultes ou des enfants et organisation des soins non programmés. Le volet hospitalier du schéma régional d'organisation des soins (SROS) envisage notamment à Paris une stabilité du nombre des structures des urgences adultes, tandis qu'une valorisation de la PDSA est envisagée par le volet ambulatoire.
La réponse aux demandes de soins non programmés est en effet peu lisible par les usagers. Elle est très variable selon le lieu et l’heure de formulation de la demande. Selon les circonstances, la permanence sera assurée (ou non) par une maison médicale de garde, un service d’aide médicale initiale jusqu’à minuit, une antenne de SOS médecins ou des services analogues. Elle sera régulée ou pas. Un médecin exerçant en station de sports d’hiver devra être prêt à gérer des situations aigües, en lien avec le SAMU, lorsque les conditions météo interdisent tout transport terrestre ou aérien, un médecin de centre de santé de Guyane sera confronté à des accouchements, tandis que son homologue parisien exercera exclusivement en consultation au cabinet, aux heures ouvrables.
Les missions respectives de la PDSA et des services d'urgence sont donc clairement distinctes. Elles sont assurées par des professionnels aux qualifications différentes. Lorsque la PDSA élargit ses attributions vers la prise en charge des urgences vitales, c'est dans un cadre bien défini, habituellement marqué par l'isolement géographique.  Donc    rien à voir avec la situation du centre de la ville capitale.


4 - Le projet de nouvel Hôtel-Dieu, le consultodrome


Un mot sur la situation sanitaire dans la capitale. Le constat n’est pas discuté : l’offre de soins de ville à Paris est insuffisante, les perspectives démographiques médicales sont sombres, l’articulation avec l’hôpital indigente. Conséquences pour la population : impossibilité d’accéder à certains soins aux tarifs de la sécurité sociale, creusement des inégalités sociales de santé, circuits de soins erratiques, omissions d’informations médicales utiles à la bonne prise en charge des patients. Au mieux des désagréments et du gaspillage de moyens aux frais de l’assurance maladie, au pire des pertes de chance et des  « évènements indésirables, » comme il est convenu de dire en langage déshumanisé.
C’est dans ce contexte que l’AP-HP décide de fermer les urgences de l’Hôtel-Dieu, très fréquentées et irréprochables à tous points de vue, médical, technique ou organisationnel. L’AP-HP ferme l’une des activités piliers de l’hôpital public l’accueil des urgences. Ce faisant, elle reporte sur d’autres services d’urgences parisiens l’importante activité des urgences de l’hôtel Dieu. En contre partie, elle annonce l’ouverture d’une consultation médicale ouverte 24 heures sur 24. Cette consultation ne serait pas dédiée à l’accueil d'urgences. Elle relèverait selon l’AP-HP de la "permanence de soins ambulatoires"  Elle consisterait en « une présence médicale tous les jours, toute la journée et toute la nuit, » sous forme de « consultations sans rendez-vous de médecine générale avec une garde médicale de nuit. Ces activités sont assurées par des médecins ayant une expérience des urgences et des médecins généralistes»
La promesse est sans ambigüité, il s’agit de proposer « un accès rapide et modernisé aux soins, 24h/24, 7j/7 au tarif de la sécurité socialeid. ». L'initiative est présentée par ses promoteurs comme particulièrement innovante. Innovant, c'est le terme qui convient puisqu'il s'agirait de confier à l'AP-HP, c'est à dire à l'hôpital, l'organisation de la PDSA, responsabilité historique de la médecine de ville, avec la participation de libéraux volontaires. Sans préjuger du bien fondé éventuel d'une telle rupture conceptuelle, on peut se demander si ses promoteurs en ont mesuré toutes les conséquences. Le SROS lui même, pourtant issu d'une très large concertation associant tous les acteurs, toutes les expertises et toutes les bonnes volontés n'a pas envisagé un tel cas de figure, tant dans son volet ambulatoire que dans son volet hospitalier.

 

5 - Un échec annoncé


Il n’entre pas dans notre domaine de compétence de livrer une quelconque prédiction sur le devenir de la prestation imaginée par l’AP-HP. Il est cependant de notre devoir d’attirer l’attention sur quelques questions fondamentales soulevées par le concept, et d’identifier les effets pervers les plus prévisibles, y compris collatéraux.

Le risque de perte de chance

Le premier risque, le plus immédiatement apparent, est celui de la perte de chance pour des patients relevant de l’urgence médicale qui se présentent par erreur dans ce lieu de consultation. Ce risque est de même nature que celui du patient qui se rend au cabinet de son médecin ou dans un centre de santé. Il faut réorienter le patient, si besoin en faisant appel à un transport médicalisé. Se pose évidemment la question du délai nécessaire à l’identification du caractère urgent de la demande notamment en cas d’affluence. Un tri médicalisé gèrerait ce risque, mais alors le service commencerait à s'apparenter à un véritable service d’urgence.
Ce risque est évidemment significatif pour toute structure offrant des soins dans un cadre organisé. On peut penser que l’affichage d’une ouverture 24/24 et 7/7 accroit le risque de confusion avec un véritable service d’urgences hospitalier, surtout si ce service est hébergé dans un prestigieux hôpital. A beaucoup promettre on s’expose à générer des attentes infondées et des prestations inadaptées.

Une belle vitrine, mais un magasin vide

Seconde difficulté, elle tient à la nature des examens complémentaires disponibles dans le cadre de cette permanence de soins ambulatoires. L’imagerie et la biologie ont en effet profondément modifié la performance d’une médecine qui s’exerce de moins en moins à mains nues. Encore faut-il que ces examens complémentaires soient disponibles dans un délai compatible avec l’état de santé des patients. A défaut, une fois encore, le patient serait exposé à une perte de chance. On nous répondra peut-être que tous les examens seront disponibles 24/24 et 7/7, imagerie plane ou en coupe, ultrasons, biologie médicale. Mais alors on se rapprocherait à nouveau d’un service d’urgences hospitalier.

l’aspirateur à consultations

Le troisième risque serait de constituer un aspirateur à consultants, déséquilibrant le déjà fragile dispositif de soins de premier recours parisien. Du point de vue des exigences de la médecine de parcours, avec le médecin traitant comme pivot, c’est probablement le péril le plus sérieux, impactant négativement la santé publique. Dans notre pays, un des enjeux est en effet de mieux aider les patients à se repérer dans le système de soins pour être mieux pris en charge. A bon droit, l'axe numéro 5 du SROS ambulatoire préconise de "développer la transversalité et favoriser la fluidité du parcours de soins" A la clé, on attend une diminution des recours multiples, répétitifs et parcellaires, au profit de prises en charge qui s’inscrivent dans la durée, à travers toutes les composantes, éducatives, thérapeutiques et préventives, d’une bonne démarche médicale.
Si l’on se place du point de vue d’un patient confronté à un besoin ressenti, présumé peu grave, pourquoi devrait il attendre le lendemain matin, voire prendre un rendez-vous ou même attendre en salle d’attente si on lui offre à l’Hôpital Universitaire de Santé Publique une consultation immédiate « au tarif de la sécurité sociale » donc gratuit s’il est bénéficiaire de la CMU, d’une exonération au titre d’une Affection de Longue Durée (100 %), ou encore d’une assurance maladie complémentaire ?
Et tant pis pour le travail des professionnels et des équipes qui s'efforcent d'éduquer les patients au bon usage des soins.

la dérive vers une fast-médecine

Quand bien même ce phénomène d’attraction inappropriée ne toucherait qu’une minorité de la population exposée, il ne manquerait pas d’être préoccupant. Du point de vue sanitaire comme du point de vue des dépenses de l’assurance maladie. On ne peut s’empêcher de redouter dans le projet de consultation médicale ouverte 24/24 et 7/7 une dérive vers une forme de médecine de consommation rapide, une fast-médecine comme il existe des fast-food, pas forcément nuisibles au cas par cas, mais dont le bilan sanitaire final restera globalement négatif.

une évaluation biaisée

Conscients des insuffisances de leur projet, les promoteurs se défendent parfois en expliquant qu’il ne s’agit que d’un projet expérimental et que c’est leur faire un procès d’intention que de les critiquer avant qu’ils ne lui aient donné toute son ampleur. Si d’aventure l’expérience n’était pas concluante, veulent-ils croire, il y serait mis un terme. Mais que sait on des critères sur lesquelles l’expérience serait évaluée ? Dans un système de santé au sein duquel les économistes nous enseignent que l’offre crée le besoin, un éventuel succès de fréquentation n’influencerait-il pas le jugement dans un sens écrit par avance? Quel gestionnaire serait assez altruiste pour mettre un terme à une activité qui s’avèrerait rentable à court terme, au motif qu’elle le serait aux dépends de l’assurance maladie et au prix d’un médiocre rapport coût-bénéfice ? La mutualité française a récemment montré toute l'actualité de ce risque.

 

6 - Des effets collatéraux inattendus : un risque de déstabilisation des soins ambulatoires au niveau régional, voire national


Si l’on veut bien retenir avec nous l’hypothèse que le pari des promoteurs est gagnant à tout coup et que l’expérience sera donc jugée positive, il restera alors à passer à la phase suivante, la généralisation. Il serait en effet injuste de priver le reste de la population parisienne des bienfaits d’un tel dispositif. Tout comme il serait injuste d’en priver le reste de l’Ile de France et pour tout dire l’ensemble du territoire national. Nous n'insisterons pas.
On voit ainsi que derrière ce dossier qui pouvait apparaître comme très local, voire opportuniste, destiné à habiller une décision de restructuration hospitalière dictée par d’autres impératifs,  se dissimulent des enjeux significatifs pour l’organisation nationale des soins de ville.
Reconnaissons aux auteurs de la proposition de consultation 24/24 et 7/7 un mérite, celui d'avoir soulevé à leur manière, fautive selon nous, la question de la disponibilité et de la lisibilité de l'offre de soins non programmée. Mais cette question générale, au demeurant bien identifiée par la population, par les acteurs du premier recours et par l'ARS Ile de France mérite un débat public, posé et réfléchi, inscrit dans un cadre territorial bien défini,  avec la participation de toutes les parties prenantes.

7 – A chacun son métier

Permanence des  soins de ville et urgences hospitalières, il appartient désormais à Marisol Touraine et à Claude Evin de faire prévaloir l’intérêt général sur les quelques intérêts particuliers soutenus jusqu’ici par l’AP-HP.

Une AP-HP qui prétend se mêler de médecine générale, un métier qui n’est pas le sien, alors qu’elle a tant à faire.