« REORGANISER LE SYSTEME DE SANTE AUTOUR DE L’USAGER ET DE SON PARCOURS DE SANTE ». C’est le sujet du Rapport du comité des« sages » présidé par Alain Cordier : UN PROJET GLOBAL POUR LA STRATEGIE NATIONALE DE SANTE finalisé le 21 juin 2013.
Ce comité des sages
constitué à l’initiative du Premier Ministre et chargé par la ministre de la Santé
de cette étude, est constitué, outre son président , de Geneviève Chêne, Gilles
Duhamel, Pierre de Hass, Emmanuel Hirsh, Françoise Parisot-Lavillonnière,
Dominique Perrotin, aidés par des inspecteurs de l’IGAS et un auditeur de la
cour des comptes.
Ce rapport intéressant,
original dans sa démarche et ses objectifs, riche de nombreuses propositions
organisationnelles et s’appuyant sur des valeurs humaines et sanitaires risque
d’être malheureusement sans suite…Faute d’un consensus entre la Ministre de la
santé et les acteurs de ce rapport, il n’y aura probablement pas de remise
officielle ni de publication de celui-ci. Seules des fuites ont permis que nous
puissions en prendre connaissances. Enfin l’équipe qui avait porté ce dossier
est « partie »…
Pourtant ils s’appuient
sur des valeurs sanitaires et humanistes, critiquent le paiement à l’acte et
par T2A, préconisent l’exercice regroupé pluri-professionnel de proximité,
socialement accessible tels les Centres de Santé.
Un rapport et 19 recommandations basées sur des valeurs.
Citons quelques uns des principes qui ont présidés aux choix
et propositions faites dans ce document :
- Définir une stratégie nationale de
santé, non par rapport aux seuls soins, mais bien par rapport à la notion
globale de santé
- Reconstruire notre système de santé,
bâti de façon empirique et par empilement, autour du malade, avec une
organisation repensée au plus près des usagers,
- Poser le pari stratégique qu’une
organisation mieux coordonnée et plus collaborative permettra de mieux
dépenser,
- Fixer le décloisonnement entre les compétences et entre soins et accompagnements comme
priorité,
- Etablir une stratégie nationale pour la santé de toute la population, respectant la démocratie
sanitaire et posant comme objectif prioritaire l’accessibilité économique,
culturelle, géographique à la prévention et au soin,
- Prendre en compte l’ensemble des
déterminants sociaux et environnementaux pour la santé,
- Mieux adapter la formation
professionnelle aux défis actuels,
- Favoriser le travail collaboratif entre
acteurs sanitaires et sociaux, entre aidants professionnels et familiaux,
- Investir dans la recherche en
particulier en santé publique,
- Réguler de manière plus cohérente le
pilotage du système de santé,
- Gérer à l’équilibre et réorganiser nos
flux de dépenses,
- Rechercher les meilleurs soins possibles
pour tous.
Les défis et les objectifs
- Six défis principaux sont recensés :
- L’accès aux soins, en particulier pour
les plus fragilisés (socialement, sur le plan éducatif, linguistiquement), qui
est aggravé par la carence et l’hétérogénéité de l’offre de soins et
d’accompagnement.
- La transition démographique et épidémiologique,
- Les évolutions scientifiques et
techniques,
- Le financement durable,
- L’égalité de traitement associée à la
réponse personnalisée,
- L’impact des différentes politiques
publiques sur la santé collective et les inégalités sociales de santé.
- Les objectifs
-
Améliorer
l’efficience des parcours de soins et de santé : mieux soigner et
mieux prendre soin, savoir intervenir en complémentarité, renforcer la sécurité
des soins, améliorer la communication et la collaboration entre professionnels,
développer une médecine de parcours incluant la prévention, développer des
compétences permettant une complémentarité d’offre de soins et d’accompagnement
sur un territoire donné.
- Arriver à une gestion à l’équilibre des
dépenses de santé, sans oublier que celles-ci contribuent à la croissance de la
richesse nationale, à la bonne santé de la population, à l’activité économique
du pays ainsi qu’à la recherche et l’innovation. Mieux dépenser mais pour mieux
soigner et mieux prendre soin.
- Développer la médecine de proximité et le
maintien à domicile et favoriser le financement de l’exercice
pluri-professionnel de proximité.
- Envisager des modes de rémunérations de
prise en charge des patients nouveaux et lutter contre les dépenses
inappropriées.
- Les réponses actuelles sont insuffisantes
Beaucoup de difficultés ont
déjà été relevées mais les réponses sont lentes et insuffisantes comme celles
ébauchées pour le rôle central du médecin généraliste et du médecin traitant,
la place des réseaux, le développement de l’exercice regroupé en ville,
l’amélioration des échanges d’informations entre professionnels, la mise en
place d’un dossier médical partagé, le pilotage des hôpitaux, l’articulation
entre ministères, la place excessive de l’hyperspécialisation, le pilotage de la
démographie des professions de santé, le déséquilibre entre le prendre soin et
le soin, les difficultés d’accès aux soins, les hospitalisations et recours aux
urgences inappropriées, la place des thérapeutiques ambulatoires sous estimée,…
Les 19 recommandations
Celles-ci sont prioritaires et
devraient être mises en place dès maintenant de manière réfléchie et concertée.
1-Promouvoir la santé de chacun et de tous
Enfin un rapport qui propose
comme première recommandation stratégique l’organisation, la coordination, le
développement et le financement de la promotion de la santé.
2-Impliquer et accompagner la personne malade, soutenir l’entourage
…en prenant en compte les inégalité sociales de santé.
3-Créer une instance représentative des associations des usagers du système de santé
…et soutenir la démocratie
sanitaire dans son implication territoriale.
4-Favoriser la constitution d’équipes de soins de santé primaire
Cette recommandation et les 5
suivantes doivent contribuer à passer d’une logique de structures et de moyens
à une logique de services.
Ainsi, les rapporteurs
constatent que l’exercice libéral en solitaire est de moins en moins adapté,
il faut donc favoriser l’installation d’équipes de soins de santé primaires.
Pour cela il faut : mettre en place une grille d’autoévaluation des
structures de soins de santé primaire adaptée au modèle des maisons, pôle et
centres de santé ;
contractualiser ceux-ci sur des objectifs définis, favoriser la
rémunération de consultations spécialisées avancées ; engager l’assurance maladie et les
complémentaires à développer le tiers payant pour tout le secteur 1. Il faut
repenser les dispositifs de prévention
et de soins en santé mentale. Il faut engager l’HAS à produire des
référentiels prenant en compte les aspects médicaux mais aussi d’environnement
social et économique. Il faut poursuivre la simplification administrative.
5-Garantir pour les malades chroniques une coordination des professionnels de santé, sous la responsabilité du médecin traitant
6-Renforcer les outils d’appui à l’intégration des acteurs territoriaux
7-Créer in service public de l’information pour la santé
8-Se donner les outils de la coordination et de la continuité ville-hôpital
Redéfinir la fonction de
l’hôpital avec une organisation centrée sur le parcours du patient sur le
territoire et en interne. Réfléchir au service public territorial.
9-Optimiser la place de l’hôpital dans le territoire de santé
La coordination soignante
relève de la médecine de proximité et les établissements de santé doivent lui
fournir l’apport de compétences dont le parcours d’un malade peut avoir besoin.
10-Aider à la transmission d’informations entre professionnels de santé
11-Développer la télémédecine à bon escient
12-Mieux garantir la pertinence des organisations et des actes
Développer des indicateurs de
pertinence, tenir compte des besoins sociaux et humains dans la définition du
parcours de soins personnalisé et élaborer des recommandations « de ne pas
faire ».
13-Réformer les modalités de rémunération et de tarification
La médecine de parcours passe par des tarifications incitant
à un travail soignant plus transversal et plus coopératif entre hôpital, soins
de ville et médico-social, avec des formes d’exercice pluri-appartenantes et
pluri-professionnelles et valorisant la prévention. Ils préconisent :
- d’envisager le financement d’organisations de prises
en charges mieux coordonnées et plus efficientes sur des critères
simples.
- de pérenniser les nouveaux modes de rémunération en
ambulatoire contractualisés à partir d’un contrat type basé sur le
nombre de patients suivis et sur les matrices de maturité.
- de prendre en compte le temps clinique et le temps
de coordination sur les rémunérations des équipes tout en confortant le
mécanisme d’intéressement sur objectifs de santé publique.
- d’identifier une dotation en sus pour la coordination
de la prise en charge des personnes atteintes de maladies chroniques.
Il
pourrait être envisagé une tarification à l’activité et une
allocation de moyens négociés sur objectifs.
14-Repenser la formation pour répondre aux nouveaux enjeux
Celle-ci doit garantir la
compétence, les valeurs humanistes, le regard critique et la capacité de
travailler en équipe.
15-Œuvrer au développement de nouvelles fonctions et de nouveaux métiers de santé
Ainsi, le métier d’infirmier
clinicien.
16-Mieux cibler et mieux coordonner les programmes de recherche
17-Renforcer les capacités prospectives et stratégiques
18-Avec les ARS faire le choix de la subsidiarité
S’engager dans une réelle
stratégie régionale de santé en étant en capacité d’anticiper et d’accompagner
des projets de réorganisation des soins de proximité. Enrichir le système
conventionnel actuel par des conventions nationales cadre (maîtrise d’ouvrage)
et des conventions territoriales (maîtrise d’œuvre).
19-Réorganiser le pilotage national
Afin d’éviter l’actuelle
bipartition majeure du pilotage et de la production des politiques de
santé : promotion et prévention /sécurité sanitaire /soins
hospitaliers sous pilotage Etat et par ailleurs soins de
ville /remboursement des soins/indemnisation de l’incapacité de travail
sous pilotage assurance maladie, il faudrait asseoir la fonction stratégique et
le rôle pilote de l’Etat, créer
une direction générale de la stratégie nationale de santé, identifier un
pilotage propre à la veille et la sécurité sanitaire, réorganiser la gestion
des données de santé et identifier un acteur de la régulation par la qualité.
Et maintenant ?
Ce rapport a le mérite
d’envisager une réorganisation de notre de système de santé en le centrant
celle-ci sur l’usager, ses besoins, ses parcours, sa prévention. Il a des
limites car n’osant aller trop loin, mais déjà ainsi il est enterré vivant par
le gouvernement. En effet, on ne perçoit pas bien le maillage national et local
de réponses aux besoins de soins et de santé. Qui fait quoi reste à mieux
expliciter. On peut regretter aussi l’inégalité d’importance des sujets
envisagés dans l’énumération des termes abordés. Mais le constat des
déficiences de notre système est juste, les perspectives d’avenir à prendre en
compte sont riches et l’ensemble est basé sur des valeurs éthiques, sanitaires
et humaines qu’on ne peut que saluer.
Pour terminer
Au terme de l’étude de ce rapport j’aimerai insister sur
trois points que les auteurs soulignent :
1-Les défauts du paiement à l’acte :
selon eux, celui-ci ne garantit pas la pertinence de l’activité et ne conduit
pas aisément au travail d’équipe
et aux transferts de compétence entre professionnels de santé. En outre, il
n’est pas conçu pour rémunérer des missions, des responsabilités, du temps
d’étude ou de coordination, ni non plus l’accompagnement du malade et son
éducation thérapeutique ainsi que le suivi médical à distance de certains
patients.
Quant aux dépassements
d’honoraires, ils questionnent pour ce qui est de l’accessibilité sociale.
2-De la même manière, les
auteurs du rapport constatent que le financement des hôpitaux par la T2A
a fait progresser la productivité par augmentation de l’activité, surcodage de
certains actes et réduction des facteurs de production. Ce mode de financement
a favorisé des effets de rente, instillant la notion de malades
plus « rentables ». Elle a ajouté à l’objectif de maîtrise de la
dépense une recherche de majoration des recettes. Elle n’a en rien incité à la
prise en compte de la qualité et ne garantit pas la pertinence des
augmentations d’activité. Elle a conduit à renforcer des déséquilibres
territoriaux et une spécialisation accrue de l’activité non souhaitables.
Enfin, dernier constat : son évaluation est très insuffisante.
3-Les rémunérations
complétant ou se substituant au paiement à l’acte sont expérimentées dans les
maisons et centres de santé. Dans un grand nombre de centres de santé les
soignants sont rémunérés à la fonction. Selon les rapporteurs, l’objectif est
largement reconnu de favoriser le regroupement d’équipes pluri-professionnelles
dédiées aux soins de santé primaire. Ils observent que, la forme la plus
aboutie à ce jour en semble être le centre de santé et la maison de santé pluri-professionnelle :
ces regroupements permettent de faciliter la coopération avec les autres
secteurs du système sanitaire et social, et les élus ; ils sont attractifs
pour les jeunes professionnels, offrent plus de possibilités de transfert de compétences(
coopération) qui libèrent du temps médical permettant un meilleur suivi des
maladies chroniques ; enfin ils correspondent aux attentes des patients,
garantissant la continuité des soins et regroupant tous les professionnels sur
un seul site. Toujours selon eux, cet exercice est prometteur en France et à
l’étranger.
Voilà un rapport qui
bouscule et qui interpelle !
Alain Brémaud