mardi 30 juillet 2013

Rapport cordier "réorganiser le système de santé autour de l'usager et de son parcours de santé"


« REORGANISER LE SYSTEME DE SANTE AUTOUR DE L’USAGER ET DE SON PARCOURS DE SANTE ». C’est le sujet  du Rapport du comité des« sages » présidé par Alain Cordier : UN PROJET GLOBAL POUR LA STRATEGIE NATIONALE  DE SANTE finalisé le 21 juin 2013.


Ce comité des sages constitué à l’initiative du Premier Ministre et chargé par la ministre de la Santé de cette étude, est constitué, outre son président , de Geneviève Chêne, Gilles Duhamel, Pierre de Hass, Emmanuel Hirsh, Françoise Parisot-Lavillonnière, Dominique Perrotin, aidés par des inspecteurs de l’IGAS et un auditeur de la cour des comptes.
Ce rapport intéressant, original dans sa démarche et ses objectifs, riche de nombreuses propositions organisationnelles et s’appuyant sur des valeurs humaines et sanitaires risque d’être malheureusement sans suite…Faute d’un consensus entre la Ministre de la santé et les acteurs de ce rapport, il n’y aura probablement pas de remise officielle ni de publication de celui-ci. Seules des fuites ont permis que nous puissions en prendre connaissances. Enfin l’équipe qui avait porté ce dossier est « partie »…
Pourtant ils s’appuient sur des valeurs sanitaires et humanistes, critiquent le paiement à l’acte et par T2A, préconisent l’exercice regroupé pluri-professionnel de proximité, socialement accessible tels les Centres de Santé.

Un rapport et 19 recommandations basées sur des valeurs.

Citons quelques uns des principes qui ont présidés aux choix et propositions faites dans ce document :
- Définir une stratégie nationale de santé, non par rapport aux seuls soins, mais bien par rapport à la notion globale de santé
- Reconstruire notre système de santé, bâti de façon empirique et par empilement, autour du malade, avec une organisation repensée au plus près des usagers,
- Poser le pari stratégique qu’une organisation mieux coordonnée et plus collaborative permettra de mieux dépenser,
- Fixer le décloisonnement  entre les compétences  et entre soins et accompagnements comme priorité,
- Etablir une  stratégie nationale pour la santé de toute la  population, respectant la démocratie sanitaire et posant comme objectif prioritaire l’accessibilité économique, culturelle, géographique à la prévention et au soin,
- Prendre en compte l’ensemble des déterminants sociaux et environnementaux pour la santé,
- Mieux adapter la formation professionnelle aux défis actuels,
- Favoriser le travail collaboratif entre acteurs sanitaires et sociaux, entre aidants professionnels et familiaux,
- Investir dans la recherche en particulier en santé publique,
- Réguler de manière plus cohérente le pilotage du système de santé,
- Gérer à l’équilibre et réorganiser nos flux de dépenses,
- Rechercher les meilleurs soins possibles pour tous.

Les défis et les objectifs

     - Six défis principaux sont recensés :

- L’accès aux soins, en particulier pour les plus fragilisés (socialement, sur le plan éducatif, linguistiquement), qui est aggravé par la carence et l’hétérogénéité de l’offre de soins et d’accompagnement.
- La transition démographique et épidémiologique,
- Les évolutions scientifiques et techniques,
- Le financement durable,
- L’égalité de traitement associée à la réponse personnalisée,
- L’impact des différentes politiques publiques sur la santé collective et les inégalités sociales de santé.

     - Les objectifs

             - Améliorer l’efficience des parcours de soins et de santé : mieux soigner et mieux prendre soin, savoir intervenir en complémentarité, renforcer la sécurité des soins, améliorer la communication et la collaboration entre professionnels, développer une médecine de parcours incluant la prévention, développer des compétences permettant une complémentarité d’offre de soins et d’accompagnement sur un territoire donné.
- Arriver à une gestion à l’équilibre des dépenses de santé, sans oublier que celles-ci contribuent à la croissance de la richesse nationale, à la bonne santé de la population, à l’activité économique du pays ainsi qu’à la recherche et l’innovation. Mieux dépenser mais pour mieux soigner et mieux prendre soin.
- Développer la médecine de proximité et le maintien à domicile et favoriser le financement de l’exercice pluri-professionnel de proximité.
- Envisager des modes de rémunérations de prise en charge des patients nouveaux et lutter contre les dépenses inappropriées.

     - Les réponses actuelles sont insuffisantes

Beaucoup de difficultés ont déjà été relevées mais les réponses sont lentes et insuffisantes comme celles ébauchées pour le rôle central du médecin généraliste et du médecin traitant, la place des réseaux, le développement de l’exercice regroupé en ville, l’amélioration des échanges d’informations entre professionnels, la mise en place d’un dossier médical partagé, le pilotage des hôpitaux, l’articulation entre ministères, la place excessive de l’hyperspécialisation, le pilotage de la démographie des professions de santé, le déséquilibre entre le prendre soin et le soin, les difficultés d’accès aux soins, les hospitalisations et recours aux urgences inappropriées, la place des thérapeutiques ambulatoires sous estimée,…

Les 19 recommandations

Celles-ci sont prioritaires et devraient être mises en place dès maintenant de manière réfléchie et concertée.

1-Promouvoir la santé de chacun et de tous

Enfin un rapport qui propose comme première recommandation stratégique l’organisation, la coordination, le développement et le financement de la promotion de la santé.

2-Impliquer et accompagner la personne malade, soutenir l’entourage

 …en prenant en compte les inégalité sociales de santé.

3-Créer une instance représentative des associations des usagers du système de santé

…et soutenir la démocratie sanitaire dans son implication territoriale.

4-Favoriser la constitution d’équipes de soins de santé primaire

Cette recommandation et les 5 suivantes doivent contribuer à passer d’une logique de structures et de moyens à une logique de services.
Ainsi, les rapporteurs constatent que l’exercice libéral en solitaire est de moins en moins adapté, il faut donc favoriser l’installation d’équipes de soins de santé primaires. Pour cela il faut : mettre en place une grille d’autoévaluation des structures de soins de santé primaire adaptée au modèle des maisons, pôle et centres de santé ;  contractualiser ceux-ci sur des objectifs définis, favoriser la rémunération de consultations spécialisées avancées ;  engager l’assurance maladie et les complémentaires à développer le tiers payant pour tout le secteur 1. Il faut repenser les dispositifs de prévention  et de soins en santé mentale. Il faut engager l’HAS à produire des référentiels prenant en compte les aspects médicaux mais aussi d’environnement social et économique. Il faut poursuivre la simplification administrative.

5-Garantir pour les malades chroniques une coordination des professionnels de santé, sous la responsabilité du médecin traitant

6-Renforcer les outils d’appui à l’intégration des acteurs territoriaux

7-Créer in service public de l’information pour la santé

8-Se donner les outils de la coordination et de la continuité ville-hôpital

Redéfinir la fonction de l’hôpital avec une organisation centrée sur le parcours du patient sur le territoire et en interne. Réfléchir au service public territorial.

9-Optimiser la place de l’hôpital dans le territoire de santé

La coordination soignante relève de la médecine de proximité et les établissements de santé doivent lui fournir l’apport de compétences dont le parcours d’un malade peut avoir besoin.

10-Aider à la transmission d’informations entre professionnels de santé

11-Développer la télémédecine à bon escient

12-Mieux garantir la pertinence des organisations et des actes

Développer des indicateurs de pertinence, tenir compte des besoins sociaux et humains dans la définition du parcours de soins personnalisé et élaborer des recommandations « de ne pas faire ».

13-Réformer les modalités de rémunération et de tarification

La médecine de parcours passe par des tarifications incitant à un travail soignant plus transversal et plus coopératif entre hôpital, soins de ville et médico-social, avec des formes d’exercice pluri-appartenantes et pluri-professionnelles et valorisant la prévention. Ils préconisent :
- d’envisager le financement d’organisations de prises en charges mieux coordonnées et plus efficientes sur des critères simples.
- de pérenniser les nouveaux modes de rémunération en ambulatoire contractualisés à partir d’un contrat type basé sur le nombre de patients suivis et sur les matrices de maturité.
- de prendre en compte le temps clinique et le temps de coordination sur les rémunérations des équipes tout en confortant le mécanisme d’intéressement sur objectifs de santé publique.
- d’identifier une dotation en sus pour la coordination de la prise en charge des personnes atteintes de maladies chroniques.
Il pourrait être envisagé une tarification à l’activité et une allocation de moyens négociés sur objectifs.

14-Repenser la formation pour répondre aux nouveaux enjeux

Celle-ci doit garantir la compétence, les valeurs humanistes, le regard critique et la capacité de travailler en équipe.

15-Œuvrer au développement de nouvelles fonctions et de nouveaux métiers de santé

Ainsi, le métier d’infirmier clinicien.

16-Mieux cibler et mieux coordonner les programmes de recherche

17-Renforcer les capacités prospectives et stratégiques

18-Avec les ARS faire le choix de la subsidiarité

S’engager dans une réelle stratégie régionale de santé en étant en capacité d’anticiper et d’accompagner des projets de réorganisation des soins de proximité. Enrichir le système conventionnel actuel par des conventions nationales cadre (maîtrise d’ouvrage) et des conventions territoriales (maîtrise d’œuvre).

19-Réorganiser le pilotage national

Afin d’éviter l’actuelle bipartition majeure du pilotage et de la production des politiques de santé : promotion et prévention /sécurité sanitaire /soins hospitaliers sous pilotage Etat et par ailleurs soins de ville /remboursement des soins/indemnisation de l’incapacité de travail sous pilotage assurance maladie, il faudrait asseoir la fonction stratégique et le rôle pilote de l’Etat,  créer une direction générale de la stratégie nationale de santé, identifier un pilotage propre à la veille et la sécurité sanitaire, réorganiser la gestion des données de santé et identifier un acteur de la régulation par la qualité.

Et maintenant ?

Ce rapport a le mérite d’envisager une réorganisation de notre de système de santé en le centrant celle-ci sur l’usager, ses besoins, ses parcours, sa prévention. Il a des limites car n’osant aller trop loin, mais déjà ainsi il est enterré vivant par le gouvernement. En effet, on ne perçoit pas bien le maillage national et local de réponses aux besoins de soins et de santé. Qui fait quoi reste à mieux expliciter. On peut regretter aussi l’inégalité d’importance des sujets envisagés dans l’énumération des termes abordés. Mais le constat des déficiences de notre système est juste, les perspectives d’avenir à prendre en compte sont riches et l’ensemble est basé sur des valeurs éthiques, sanitaires et humaines qu’on ne peut que saluer.

Pour terminer

 Au terme de l’étude de ce rapport j’aimerai insister sur trois points que les auteurs soulignent :
1-Les défauts du paiement à l’acte : selon eux, celui-ci ne garantit pas la pertinence de l’activité et ne conduit pas aisément  au travail d’équipe et aux transferts de compétence entre professionnels de santé. En outre, il n’est pas conçu pour rémunérer des missions, des responsabilités, du temps d’étude ou de coordination, ni non plus l’accompagnement du malade et son éducation thérapeutique ainsi que le suivi médical à distance de certains patients.
Quant aux dépassements d’honoraires, ils questionnent pour ce qui est de l’accessibilité sociale.
2-De la même manière, les auteurs du rapport constatent que le financement des hôpitaux par la T2A a fait progresser la productivité par augmentation de l’activité, surcodage de certains actes et réduction des facteurs de production. Ce mode de financement a favorisé des effets de rente, instillant la notion de malades plus « rentables ». Elle a ajouté à l’objectif de maîtrise de la dépense une recherche de majoration des recettes. Elle n’a en rien incité à la prise en compte de la qualité et ne garantit pas la pertinence des augmentations d’activité. Elle a conduit à renforcer des déséquilibres territoriaux et une spécialisation accrue de l’activité non souhaitables. Enfin, dernier constat : son évaluation est très insuffisante.
3-Les rémunérations complétant ou se substituant au paiement à l’acte sont expérimentées dans les maisons et centres de santé. Dans un grand nombre de centres de santé les soignants sont rémunérés à la fonction. Selon les rapporteurs, l’objectif est largement reconnu de favoriser le regroupement d’équipes pluri-professionnelles dédiées aux soins de santé primaire. Ils observent que, la forme la plus aboutie à ce jour en semble être le centre de santé et la maison de santé pluri-professionnelle : ces regroupements permettent de faciliter la coopération avec les autres secteurs du système sanitaire et social, et les élus ; ils sont attractifs pour les jeunes professionnels, offrent plus de possibilités de transfert de compétences( coopération) qui libèrent du temps médical permettant un meilleur suivi des maladies chroniques ; enfin ils correspondent aux attentes des patients, garantissant la continuité des soins et regroupant tous les professionnels sur un seul site. Toujours selon eux, cet exercice est prometteur en France et à l’étranger.

Voilà un rapport qui bouscule et qui interpelle !

Alain Brémaud