Assurance
professionnelle, risque et responsabilité médicale.
Différents aspects, Un tour d’horizon illustré[1]
Dr J.L.Godier, Dr P.Brodard (2013)
Si l’accident médical
demeure exceptionnel au regard du nombre d’actes médicaux effectués chaque
année, la mise en cause des professionnels est par contre un phénomène
grandissant. Et cette mise en cause, lorsqu’il existe une erreur médicale,
engage la responsabilité du professionnel, donne lieu à reconnaissance de
sinistre, débouche sur une procédure et éventuellement une indemnisation,
toutes choses pour lesquelles le praticien a tout intérêt a être bien assuré.
Mais nous le verrons, ce n’est pas le seul aspect pour lequel l’assurance
professionnelle a un intérêt certain, et les chances d’y recourir pour d’autres
raisons sont infiniment plus importantes pour chacun d’entre nous.
Tout d’abord, qu’en
est il de la responsabilité médicale ?
Le praticien, dans le cadre de son exercice professionnel, à chaque
acte effectué, engage sa responsabilité morale, mais également sa
responsabilité juridique, qui peut revêtir différentes formes:
- civile,
- pénale,
- administrative
- et disciplinaire.
Sans remonter à la genèse, il nous semble utile de rappeler que
cette responsabilité a été établie par « l’arrêt Mercier » rendu par la Cour de cassation le 20 mai
1936, où il a été admis que les relations intervenant entre le praticien
libéral et son patient s'inscrivent dans un contrat, et que par conséquent la
responsabilité éventuelle du premier est de nature contractuelle. Ce contrat
tacite comporte « pour le praticien
l'engagement, sinon bien évidemment de guérir le malade, (…), du moins de lui
donner des soins (…) consciencieux, attentifs et, conformes aux données
acquises de la science; que la violation, même involontaire, de cette
obligation contractuelle est sanctionnée par une responsabilité de même nature,
également contractuelle ». Depuis lors, la Cour de cassation a
maintenu de façon constante sa position, même si elle a substitué [2]
la formule « les données acquises de la
science » à celle des « données
actuelles » de la science.
La mise en cause du praticien commence dès que le patient
formule une réclamation ou dépose une plainte.
Auprès
de qui ? :
- Recours devant les
juridictions civiles au but d’indemnisation,
- Réclamation par le biais de
la Commission régionale de conciliation et d’indemnisation des actes médicaux
- Dépôt d’une plainte au pénal
devant les juridictions répressives,
- Plainte ordinale (avec
l’aspect responsabilité disciplinaire)
LES
CRCI ont été créées par un décret du 3 mai 2002 en application des articles L.
1142-6 et L. 1143-1 du code de la santé publique. Ces commissions sont présidées
par un magistrat de l'ordre administratif ou de l'ordre judiciaire, assisté de
collaborateurs, juristes et administratifs. Ces Commissions sont composées de
20 membres (outre le président) représentant les usagers, les professionnels de
santé, les établissements de santé, les assureurs, l'ONIAM (Office National
d’indemnisation des accidents médicaux), ainsi
que de personnalités qualifiées.
Il
existe quatre pôles inter régionaux:
- Bagnolet (pour les régions Ile-de-France, Centre, Pays de la Loire,
Bretagne, Basse-Normandie, Haute-Normandie, Picardie, Nord-Pas-de-Calais, La
Réunion);
-
Lyon (pour les régions Bourgogne, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte
d'Azur, Languedoc-Roussillon, Auvergne, Corse);
- Bordeaux (pour les régions Aquitaine, Midi-Pyrénées, Limousin,
Poitou-Charentes);
-
Nancy (pour les régions Lorraine, Alsace,
Champagne-Ardenne, Franche-Comté, Guadeloupe, Martinique, Guyane).
Les
missions des CRCI :
1) Favoriser la résolution des conflits par la conciliation.
Les
commissions, directement ou en désignant un médiateur, peuvent organiser des
conciliations destinées à résoudre les conflits entre usagers et professionnels
de santé. Cette fonction de la commission se substitue aux anciennes commissions
de conciliation installées dans les établissements de santé.
2)
Permettre l'indemnisation des victimes d'accidents médicaux dont le préjudice
présente un degré de gravité supérieur à un seuil fixé par le décret du 4 avril
2003.
Qu'il y ait faute ou absence de faute, toutes les victimes d'un accident
médical grave, qu'il ait pour origine un acte de prévention, un acte de diagnostic
ou un acte thérapeutique, peuvent bénéficier de ce dispositif à condition que
l'acte en question ait été réalisé à compter du 5 septembre 2001.
La
commission, qui reçoit une demande, a pour mission d'instruire cette demande,
sur le plan administratif mais aussi médical. La durée légale de l'instruction
est fixée à 6 mois, à partir du moment où le dossier est complet.
Au
décours de l'instruction, la commission émettra un avis qui, s'il aboutit à une
proposition d'indemnisation, sera transmis soit à l'assureur, soit à l'ONIAM,
en fonction des situations.
Attention,
cet avis est un acte préparatoire facilitant la procédure d'indemnisation. La
décision d'indemnisation incombe aux payeurs. Si ces derniers ne font pas
d'offre, leur décision peut être contestée devant le juge dans des conditions
précisées par les textes.
Les
limites des compétences des CRCI tiennent :
1) d'une part à la date de l'acte en cause, qui doit être postérieur au 4
septembre 2001
2) d'autre part à un seuil de gravité fixé ainsi qu'il suit :
- un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique (AIPP)
supérieur à 24 %,
- ou un arrêt temporaire des activités professionnelles (ATAP) pendant une durée au moins
égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de
douze mois,
- ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire
(DFT) supérieur ou égal à un taux de 50 % pendant une durée au moins égale à
six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze
mois,
Ou à titre exceptionnel :
- lorsque la victime est déclarée
définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait
avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de
l'infection nosocomiale ;
- lorsque l'accident médical,
l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles
particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions
d'existence (TPGCE).
Le
dossier pourra être déclaré irrecevable par la commission si ce seuil n'est pas
atteint.
La saisine de la commission est une facilité
supplémentaire mise à disposition par la solidarité nationale pour les
personnes s'estimant victimes d'un accident médical. Elle n'a aucun caractère
obligatoire. L’intéressé peut toujours directement s’adresser au juge, ou
chercher un règlement amiable avec l'acteur de santé concerné, ou encore son
assureur.
Nous avons envisagé les
lieux de dépôts de réclamation, mais la juridiction a saisir est fonction du
mode d’exercice : salarié d’un établissement public, salarié d’un
établissement privé, libéral.
En cas de demande de dommages et intérêts,
- la mise en cause d’un
praticien salarié d’un établissement public, se fera devant la juridiction
administrative, sauf en cas de faute détachable de ses fonctions.
- Dans le cas d’un praticien
salarié d’un établissement privé, c’est l’employeur qui répondra de ses fautes
devant la juridiction civile, si son employé a agi dans les limitées de sa
mission.
- Quant au professionnel
libéral, ce sera la juridiction civile qui sera saisie.
Au pénal, quelque soit le
mode d’exercice, le professionnel devra répondre personnellement de ses
actes sans pouvoir se retrancher
derrière l’établissement employeur.
La mise en cause de la responsabilité du praticien suppose que soit
établie contre lui l’existence d'une faute, d'un préjudice et d'une relation de
cause à effet entre cette faute et ce préjudice. Cette relation est un élément
essentiel de la responsabilité médicale. A ce propos, la Cour de cassation a
introduit en 1965 la notion de « perte de chance » qui constitue
désormais en elle-même un préjudice. Ce qu’il s’agit d’indemniser, selon la
Haute Cour, c’est la perte de chance de survie ou de guérison et non plus
seulement le dommage physique.
L’affaire Perruche[3],
point de départ d’une longue controverse qui a entraîné une modification de la
loi, est l’illustration presque récente de cette interprétation
jurisprudentielle. Dans cette affaire qui opposait les parents – agissant tant
en leur nom personnel qu’au nom de leur enfant dont le handicap n’a été
découvert qu’après sa naissance – à un médecin et à un laboratoire, on peut
distinguer deux sortes d’actions même si elles sont confondues : celle qui tend
à l’indemnisation du préjudice des parents et l’autre, engagée pour le compte
du mineur, qui vise à réparer le préjudice correspondant à l’atteinte à la
qualité de sa vie.
Devant l'ampleur des
réactions suscitées par cet arrêt, l'Assemblée plénière de la Cour de Cassation
a décidé de circonscrire la portée de sa décision[4], tout en
confirmant le "principe" selon lequel l'enfant né avec un handicap
doit être indemnisé dès lors qu'en raison d'une faute médicale, sa mère n'a pu
recourir à l'avortement afin d'éviter sa naissance.
Sur un plan pratique, ces
arrêts ont eu un retentissement très direct sur les sociétés d’assurance qui
ont décidé, soit de réévaluer de façon massive les primes des échographistes
pratiquant l’écho fœtale, soit de ne plus couvrir ce risque au fil du
renouvellement des contrats, contraignant, dans les deux cas, les intéressés à
suspendre cette activité. Une modification législative[5] a été introduite le 4 mars 2002 pour,
d’une part, corriger la dérive jurisprudentielle et l’inflation indemnitaire et
d’autre part, restaurer une pratique « sereine » de l’échographie
obstétricale en France.
D’une manière générale, et
selon la gravité de la faute commise, les actions judiciaires sont limitées
dans le temps puisqu’elles disposent d’un délai maximum de 10 ans, pour obtenir
une indemnisation.
La
responsabilité disciplinaire est engagée lorsqu’il y a manquement au Code de
déontologie (décret 95-1000 du 6/9/1955) qui régit les rapports entre médecins et patients, mais aussi avec les
autres professionnels de santé. Les juridictions ordinales prononcent des
sanctions (avertissement, blâme, interdiction d’exercice). Les actions ne sont pas exclusives des
autres poursuites pénales ou indemnitaires, ne sont pas nécessairement liées ni
automatiques.
La plainte
pénale, est simple à déclencher (une simple plainte) et n’est pas assurable au
niveau des conséquences. Ces plaintes s ’appuient le plus souvent sur la violation
d’un texte précis et un lien de causalité total entre la faute et le résultat,
et ceci d’autant plus que l’on assiste régulièrement à un accroissement des
textes réglementaires prévoyant des infractions spécifiques dans le domaine de
la santé.
Les
infractions reprochées le plus souvent sont la violation du secret médical,
l’abstention de porter secours, les blessures et les homicides involontaires.
La mise en
danger d’autrui[6] définie par
le Code Pénal (art 221-6 alinéa 2) est engagée « en cas de violation manifestement délibérée d’une
obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le
règlement »
Que disent les textes
actuellement ?
La
Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité
du système de santé (J.O. Numéro 54 du 5 Mars
2002 page 4118),
« I.
- Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit
de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent
code,
ainsi que tout établissement,
service ou organisme dans lesquels sont
réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne
sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de
diagnostic ou de soins qu'en cas de
faute.
A ce propos, cette recherche de faute ne porte pour les praticiens, que
sur l’obligation de moyens et non l’obligation de résultats. Cette faute peut
être technique, porter sur le diagnostic (erreur ou insuffisance de moyens pour
y parvenir) sur l’indication médicale d’un acte ou d’un traitement, la
prescription de celui-ci en tenant compte du bénéfice/risque, et sur sa
surveillance – exemple des anticoagulants). La faute porte également sur le
défaut d’information (diagnostic, traitement, conséquences, risques,
conséquences en cas de refus, etc), informations qui nécessitent rappelons le,
de pouvoir être prouvées et d’être conservées.
« Les établissements,
services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections
nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.
« II. - Lorsque la
responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme
mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical,
une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la
réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit
au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à
des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le
patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de
l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé
par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des
conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment
compte du taux d'incapacité permanente ou de la durée de l'incapacité
temporaire de travail.
« Ouvre droit à
réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux
d'incapacité permanente supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé
par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit
décret.
« Sans préjudice des dispositions
du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre
de la solidarité nationale :
« 1° Les dommages
résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou
organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1
correspondant à un taux d'incapacité permanente supérieur à 25 % déterminé par
référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès
provoqués par ces infections nosocomiales ;
« 2° Les dommages
résultant de l'intervention, en cas de circonstances exceptionnelles, d'un
professionnel, d'un établissement, service ou organisme en dehors du champ
de son activité de prévention, de diagnostic ou de soins.
« Les professionnels
de santé exerçant à titre libéral, les établissements de santé, services de
santé et organismes mentionnés à l'article L. 1142-1, et toute autre personne
morale, autre que l'Etat, exerçant des activités de prévention, de diagnostic
ou de soins ainsi que les producteurs, exploitants et
fournisseurs de produits de santé, à l'état de produits finis, mentionnés à
l'article L. 5311-1 à l'exclusion du 5°, sous réserve des dispositions de
l'article L. 1222-9, et des 11°, 14° et 15°, utilisés à l'occasion de ces activités, sont tenus de
souscrire une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile
ou administrative susceptible d'être engagée en raison de dommages subis par
des tiers et résultant d'atteintes à la personne, survenant dans le cadre de l'ensemble
de cette activité.
« Une
dérogation à l'obligation d'assurance prévue au premier alinéa peut être
accordée par arrêté du ministre chargé de la santé aux établissements publics
de santé disposant des ressources financières leur permettant d'indemniser les
dommages dans des conditions équivalentes à celles qui résulteraient d'un
contrat d'assurance.
« Les contrats
d'assurance souscrits en application du premier alinéa peuvent prévoir des
plafonds de garantie. Les conditions dans lesquelles le montant de la garantie
peut être plafonné pour les professionnels de santé exerçant à titre libéral
sont fixées par décret en Conseil d'Etat.
« L'assurance des
établissements, services et organismes mentionnés au premier alinéa couvre
leurs salariés agissant dans la limite de la mission qui leur a été impartie,
même si ceux-ci disposent d'une indépendance dans l'exercice de l'art médical.
(…)
« En cas de manquement
à l'obligation d'assurance prévue au présent article, l'instance disciplinaire
compétente peut prononcer des sanctions disciplinaires ».
L’obligation d’information
L’obligation
d’information des patients, figure également dans le texte de loi décembre
2002. L’absence ou l’insuffisance de respect de cette disposition sert de
support à de nombreuses plaintes, et constitue un indice annonciateur de
l’augmentation régulière des primes d’assurance. En effet, en cas de séquelles
liées à la réalisation d’un acte médical, l’insuffisance d’information, qui a[7] entraîné une
perte de chance parce que le malade n’a pas été mis en mesure de récuser
éventuellement l’acte ou la thérapeutique envisagé, constitue en elle-même le
fondement d’une responsabilité.
Le législateur a toutefois
introduit une limitation à l’action en responsabilité en mettant fin à la prescription
trentenaire au profit d’une prescription décennale : « les actions
tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des
établissements de santé publics ou privés à l'occasion d'actes de prévention,
de diagnostic ou de soins se prescrivent par dix ans à compter de la
consolidation du dommage » (article L. 1142-28). En conséquence, pour
faire face aux éventuelles procédures intentées, les gestionnaires et les
praticiens devront garder une trace de leur souscription d’assurance
responsabilité civile pendant des années, comme d’ailleurs doivent être
conservés et accessibles, rappelons le, les dossiers des malades pris en charge
par les structures.
La responsabilité des agents de droit public à
travers le Code administratif
L’article 11 de la Loi du 13 juillet 1983 stipule que « les fonctionnaires bénéficient à l’occasion de leurs fonctions, d’une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le Code pénal et les lois spéciales ». « Lorsqu’un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour une faute de service et que le conflit d’attribution n’a pas été levé, la collectivité publique doit, dans la mesure ou une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputable à ce fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui.
La collectivité publique est tenue d’accorder
sa protection au fonctionnaire ou à l’ancien fonctionnaire dans le cas où il
fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le
caractère d’une faute personnelle [8].
Les dispositions du présent article sont applicables aux agents publics non
titulaires[9] ».
C’est
ainsi que, depuis un jugement de 1957, les juges considèrent que le patient
n’est pas lié par un contrat tacite au médecin hospitalier, et que, de ce fait,
il ne peut rechercher la responsabilité personnelle du praticien s’il prétend à
des dommages et intérêts, mais celle de la structure qui emploie ce dernier, et
devant le tribunal administratif. Seule, la faute détachable du service engage
la responsabilité personnelle de l’agent public qui l’a commise et justifie, là
aussi, la souscription d’une assurance personnelle.
Cependant, en cas de faute
détachable du service, le soignant est responsable directement et supporte
l’intégralité de la procédure et de l’indemnisation, en absence d’assurance
personnelle.
La faute détachable de la fonction
(source MACSF)
Auteur : Béatrice COURGEON, Juriste –
mars 2007
Qu'est-ce qu'une faute détachable ?
Elle s’oppose à la faute de service. C’est une faute d’une gravité exceptionnelle
et qui, de fait, ne peut raisonnablement être rattachée au fonctionnement du
service. Il existe quatre types de fautes détachables :
- L'acte se détache matériellement
de la fonction et ressort de la vie privée de l’agent
- L’acte révèle chez l’agent une intention malveillante avec volonté de nuire
- La recherche d’un intérêt personnel peut être constatée
- La faute est inadmissible, inexcusable au regard de la déontologie de la
profession.
Quelles en sont les conséquences ?
Alors que la faute de service engage la responsabilité de l’établissement,
la faute détachable engage la responsabilité personnelle du praticien,
ce qui implique la prise en charge d’une condamnation à des dommages et
intérêts sur ses deniers personnels et une sanction possible (amende) si la
faute est en même temps constitutive d’une infraction pénale.
Ce sont les
tribunaux de l’ordre judiciaire qui sont compétents pour la caractériser
et la sanctionner.
Quelques illustrations
Ont été qualifiées de fautes détachables :
- Le fait pour un chirurgien de se tromper de côté en retirant le rein
droit d’un patient alors qu’il devait extraire le rein gauche. Le chirurgien
avait procédé à l’intervention sans relire préalablement le dossier de son
patient et sans même le faire apporter en salle d’opération. Les juges ont
considéré que cette faute constituait un manquement inexcusable à une obligation
d’ordre professionnel et déontologique, même si l’ablation du rein droit s’est
révélée en réalité justifiée par la découverte d’une tumeur en cours
d’opération.
- Le fait pour un médecin de manquer à son obligation au secret
professionnel. Dans cette affaire, le praticien avait fait preuve
d’indiscrétion en faisant courir des rumeurs sur les causes du décès d’une
personnalité en laissant suspecter un suicide. Cette malveillance avait conduit
le mari de la victime, médecin, à changer de région.
Le fait pour un chirurgien de garde à domicile de refuser de se déplacer au
chevet d’une patiente blessée par balle à l’abdomen, alors que l’interne
l’avait appelé à deux reprises en soulignant l’état inquiétant de la malade.
- Le fait d’entreprendre une expérimentation thérapeutique sans intérêt
pour le malade. - Le fait d’abandonner une malade anesthésiée sur la table
d’opération à l’occasion d’un incendie. Dans cette affaire, l’incendie
provenait d’une explosion provoquée par un flacon d’éther qu’une sage-femme
avait laissé tomber auprès d’une parturiente sur le point d’accoucher. Le
gynécologue et la sage-femme s’étaient alors enfuis en laissant la jeune femme
brûler sur son lit (elle fut sauvée par la suite par un infirmer de passage sur
les lieux): une non-assistance à personne en danger est donc constitutive
d’une faute détachable du service.
- Le fait pour un pédiatre d’astreinte de refuser de venir examiner un enfant
qui décèdera en quelques heures d’une hémorragie cérébro-méningée par rupture
d’un anévrisme cérébelleux, sans que l’on puisse affirmer que la lésion aurait
été accessible à un traitement neurochirurgical.
Quelles sont les prestations
de l’assureur dans le cadre d’une assurance RCP :
ü Conseils d’un juriste et
d’un médecin conseil, et en cas de procédure,
ü Proposition d’une liste
d’avocats,
ü Accompagnement personnalisé
dispensé par un avocat distinct de celui de son employeur,
ü Frais d’expertise,
ü Défense et recours, avec
prise en charge des frais juridiques jusqu’à un certain plafond, pour chaque
procédure,
ü Indemnisation.
Que dit le Code des
Assurances ?
La LOI n° 2002-1577 du 30 décembre 2002 relative à
la responsabilité civile médicale a introduit un article (L. 251-2 le chapitre Ier du
titre V du livre II) au code des assurances ainsi rédigé
« Constitue
un sinistre, pour les risques mentionnés à l'article L. 1142-2 du code de la
santé publique, tout dommage ou ensemble de dommages causés à des tiers,
engageant la responsabilité de l'assuré, résultant d'un fait générateur ou d'un
ensemble de faits générateurs ayant la même cause technique, imputable aux
activités de l'assuré garanties par le contrat, et ayant donné lieu à une ou
plusieurs réclamations ».
« Constitue une réclamation toute demande en réparation amiable ou contentieuse formée par la victime d'un dommage ou ses ayants droit, et adressée à l'assuré ou à son assureur ».
« Tout contrat d'assurance conclu en application de l'article L. 1142-2 du même code garantit l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres pour lesquels la première réclamation est formée pendant la période de validité du contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs du sinistre, dès lors que le fait générateur est survenu dans le cadre des activités de l'assuré garanties au moment de la première réclamation.
« Le contrat d'assurance garantit également les sinistres dont la première réclamation est formulée pendant un délai fixé par le contrat, à partir de la date d'expiration ou de résiliation de tout ou partie des garanties[10], si ces sinistres sont imputables aux activités garanties à cette date, et s'ils résultent d'un fait générateur survenu pendant la période de validité du contrat. Ce délai ne peut être inférieur à cinq ans.
« Le dernier contrat conclu, avant sa cessation d'activité professionnelle ou son décès, par un professionnel de santé mentionné à la quatrième partie du code de la santé publique exerçant à titre libéral, garantit également les sinistres pour lesquels la première réclamation est formulée pendant un délai fixé par le contrat, à partir de la date de résiliation ou d'expiration de tout ou partie des garanties, dès lors que le fait générateur est survenu pendant la période de validité du contrat ou antérieurement à cette période dans le cadre des activités de l'assuré garanties au moment de la première réclamation. Ce délai ne peut être inférieur à dix ans. Cette garantie ne couvre pas les sinistres dont la première réclamation est postérieure à une éventuelle reprise d'activité. Le contrat ne peut prévoir pour cette garantie un plafond inférieur à celui de l'année précédant la fin du contrat. »
« Le contrat ne garantit pas les sinistres dont le fait générateur était connu de l'assuré à la date de la souscription.
« Lorsqu'un même sinistre est susceptible de mettre en jeu la garantie apportée par plusieurs contrats successifs, il est couvert en priorité par le contrat en vigueur au moment de la première réclamation, sans qu'il soit fait application des dispositions des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 121-4. »
Article 5
« L'article
L. 251-2 du code des assurances s'applique aux contrats conclus ou renouvelés à
compter de la date de publication de la présente loi.
Sans préjudice
de l'application des clauses contractuelles stipulant une période de garantie
plus longue, tout contrat d'assurance de responsabilité civile garantissant les
risques mentionnés à l'article L. 1142-2 du code de la santé publique, conclu
antérieurement à cette date, garantit les sinistres dont la première réclamation
est formulée postérieurement à cette date et moins de cinq ans après
l'expiration ou la résiliation de tout ou partie des garanties, si ces
sinistres sont imputables aux activités garanties à la date d'expiration ou de
résiliation et s'ils résultent d'un fait générateur survenu pendant la période
de validité du contrat ».
Cependant, cette législation a été mise à mal par un arrêt de
2011 de la Cour de Cassation, et qui est citée par le Concours Médical -
Tome 133 [n°9] novembre 2011.
Un chirurgien est mis en cause
par l’une de ses patientes six ans après l’avoir opérée. Ce médecin a changé
d'assureur entre l'opération et le déclenchement de la procédure. Qui va
prendre en charge ce sinistre ?
Sans l’affaire jugée par la Cour
de cassation le 7 juillet 2011, une procédure avait été engagée en 2006 avec la
désignation d’un expert et la mise en cause des deux assureurs successifs de ce
chirurgien.
Dans un arrêt du 11 septembre
2009, la cour d’appel de Paris a condamné ce praticien et l’assureur qui le
couvrait au déclenchement de la procédure, mettant ainsi hors de cause
l’assureur qui couvrait sa responsabilité civile professionnelle au moment des
faits.
Saisie en dernier recours par
l’assureur condamné, la Cour de cassation devait lui donner tort et approuver,
en ces termes, la décision prise par la cour d’appel de Paris : "Ce
n’est plus la date du fait générateur qui détermine la police applicable, mais
celle de la réclamation, avec une garantie subséquente minimale de cinq ans et
une priorité du contrat en vigueur au jour de la réclamation en cas de contrats
successifs".
Cette décision de la Cour de
cassation ne fait qu’appliquer les dispositions de l’article L.251-2 du code
des assurances, relatif à l’obligation d’assurance RC médicale. Tirées de la
loi du 30 décembre 2002, ces dispositions sont applicables aux contrats
d’assurance conclus ou renouvelés à compter du 31 décembre 2002.
Lorsqu’un même sinistre (une faute médicale à la suite d’une opération ou des séquelles provenant
des suites d’une opération) est de nature à mettre en jeu
la garantie de plusieurs contrats successifs, il est couvert en priorité par le
contrat en vigueur au moment de la réclamation.
Mais des modulations sont
toutefois à apporter selon diverses situations. Prenons le cas d'un praticien en activité, qui change d'assureur et dont la
nouvelle assurance est saisie d'une réclamation portant sur la période couverte
par l'assureur précédent. Ce praticien est assuré et pris en charge pour le
sinistre, par son assurance en cours, si cette assurance couvre les mêmes
risques que ceux couverts par la police précédente.
Prenons maintenant le même exemple mais cette fois
avec un praticien qui change d’activité, et d’assurance. Pour illustrer notre
propos, imaginons un échographiste qui avait une assurance professionnelle (A)
couvrant les échographies obstétricales. Ce praticien abandonne ce type
d'activité (et de risque) et ne pratique plus que des échographies
"standards", et à cette occasion, change d'assureur (B) et de niveau
de couverture. Une plainte est portée contre lui portant sur un acte
d'échographie fœtale au 6ème mois, pratiqué dans le cadre de son précédent mode
d'exercice.
Deux possibilités : la réclamation survient
pendant la période de garantie subséquente de 5 ans de la première assurance
(A), et c’est dans ce cadre celle-ci qui garanti le sinistre au titre de la
subséquente.
Deuxième possibilité, la réclamation survient après la
période de garantie subséquente. Le risque ne peut être couvert par la deuxième
assurance (B), puisqu’elle ne prend pas en charge le même niveau de risque.
Dans ce cas c’est le fond de garantie créé par la Loi de Finances rectificative
du 28/12/2011 qui intervient.
La RCP des médecins directeurs de centres de
santé.
Les médecins directeurs de centres de santé ont souvent une double activité en tant que
salarié: médicale avec souvent des
consultations et des visites (couverte par l'Assurance
de l'employeur, et en deuxième rang par leur assurance personnelle, au même
titre qu'un praticien "ordinaire"), et administrative, en tant que
responsable d'établissements. Dans le cadre de cette activité, ils agissent
pour le secteur public, sous l'autorité d'un gestionnaire (maire ou autre). Toutefois le risque
d'une plainte d’un patient pour "violation manifestement
délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par
la loi ou le règlement" est toujours à craindre. Tant directement, que
secondairement par retournement de l'employeur à l'encontre de son
subordonné... Et dans ce cas, selon le but recherché par le patient plusieurs
possibilités sont à envisager.
1) les actions à visées indemnitaires
Deux arrêts de la Cour de Cassation rendus le 9 novembre 2004 ont établi
une jurisprudence constante : le professionnel salarié ne peut vois sa
responsabilité personnelle engagée dès lors qu’il a agi dans le cadre des
fonctions confiées par son employeur. Ces arrêts, décisions de principe, accordent une immunité aux
professionnels de santé salariés, médecins, chirurgiens-dentistes, paramédicaux
et quel que soit le statut de l’établissement. C’est donc à l’employeur
d’indemniser le patient au titre des fautes ou des manquements commis par le
professionnel salarié. La garantie d’assurance souscrite par celui-ci couvre
ses salariés conformément à l’article L.1142-2 du Code de la Santé Publique qui
énonce « l ‘assurance des
professionnels de santé des établissements, des services et organismes
mentionnés au premier alinéa couvre les salariés agissant dans la limite de la
mission qui leur est impartie, même si ceux-ci disposent d’une indépendance
dans l’exercice de l’art médical ». Il faut toutefois bien entendu que
le salarié ait agi dans les limites de la mission qui lui est impartie[11]…
2) les actions tendant à sanctionner le praticien
Par principe chacun demeure personnellement
responsable de ses actes sur le plan pénal et doit répondre de ses agissements,
notamment du chef d’homicide ou de blessure involontaire, de mise en danger de
la vie d’autrui, de non assistance à personne en péril, ou de violation du
secret médical.
Deux situations doivent être distinguées :
-
Dans l’hypothèse où un accident est à l’origine d’une plainte pénale, cette
mise en cause est logiquement orientée en priorité vers l’auteur direct du
dommage.
-
Cependant la mise en cause pénale
d’une personne salariée qui n’a pas directement causé le dommage, « mais qui a créé ou contribué à créer la situation
qui a permis la réalisation du dommage,
ou qui n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter »(article 121-3 du Code Pénal) peut également être
possible. Sa responsabilité pénale est engagée s’il est établi qu’elle a,
« soit violé de façon manifestement
délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la
Loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposerait
autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvait
ignorer. »
De ce fait, des poursuites sont donc possibles à
l’encontre du Directeur de Centre de Santé, même s’il n’a pas directement
participé au dommage.
Il pourra également être envisagé des poursuites
disciplinaires à l’encontre de l’intéressé, en vertu des mêmes principes.
L’Ordre
Article L4121-2 du code de la santé - Modifié
par Loi n°2002-303 du 4 mars 2002 - art. 46 JORF 5 mars 2002
« L'ordre des
médecins, celui des chirurgiens-dentistes et celui des sages-femmes veillent au
maintien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement
indispensables à l'exercice de la médecine, de l'art dentaire, ou de la
profession de sage-femme et à l'observation, par tous leurs membres, des devoirs
professionnels, ainsi que des règles édictées par le code de déontologie prévu
à l'article L. 4127-1.
Ils assurent la défense de
l'honneur et de l'indépendance de la profession médicale, de la profession de
chirurgien-dentiste ou de celle de sage-femme.
(…) Ils accomplissent leur
mission par l'intermédiaire des conseils départementaux, des conseils régionaux
ou interrégionaux et du conseil national de l'ordre. »
et les plaintes :
« L'action
disciplinaire contre un médecin, un chirurgien-dentiste ou une sage-femme ne
peut être introduite devant la chambre disciplinaire de première instance que
par l'une des personnes ou autorités suivantes :
1° Le conseil
national ou le conseil départemental de l'ordre au tableau duquel le praticien
poursuivi est inscrit à la date de la saisine de la juridiction, agissant de
leur propre initiative ou à la suite de plaintes, formées notamment par les patients,
les organismes locaux d'assurance maladie obligatoires, les médecins-conseils
chefs ou responsables du service du contrôle médical placé auprès d'une caisse
ou d'un organisme de sécurité sociale, les associations de défense des droits
des patients, des usagers du système de santé ou des personnes en situation de
précarité, qu'ils transmettent, le cas échéant en s'y associant, dans le cadre
de la procédure prévue à l'article L. 4123-2 ;
2° Le
ministre chargé de la santé, le préfet de département dans le ressort duquel le
praticien intéressé est inscrit au tableau, le directeur général de l'agence
régionale de santé dans le ressort de laquelle le praticien intéressé est
inscrit au tableau, le procureur de la République du tribunal de grande
instance dans le ressort duquel le praticien est inscrit au tableau ;
3° Un
syndicat ou une association de praticiens.
Les plaintes
sont signées par leur auteur et, dans le cas d'une personne morale, par une
personne justifiant de sa qualité pour agir. Dans ce dernier cas, la plainte
est accompagnée, à peine d'irrecevabilité, de la délibération de l'organe statutairement
compétent pour autoriser la poursuite ou, pour le conseil départemental ou
national, de la délibération signée par le président et comportant l'avis motivé
du conseil.
Lorsque la plainte est
dirigée contre un étudiant non inscrit au tableau à la date de la saisine, le
conseil départemental ayant qualité pour saisir la chambre disciplinaire est le
conseil au tableau auquel est inscrit le praticien auprès duquel a été effectué
le remplacement ou l'assistanat.
Les plaintes sont déposées
ou adressées au greffe ».
« Les
décisions de sanctions disciplinaires prises par l'autorité hiérarchique sur le
fondement de dispositions statutaires ou contractuelles à l'encontre de
praticiens exerçant dans les établissements de santé sont transmises par le
directeur de l'établissement au directeur général de l'agence régionale de
santé intéressé ».
Article L4124-2 Modifié
par LOI n°2009-879 du 21 juillet 2009 - art. 62 (V) / Modifié
par Ordonnance n°2010-177 du 23 février 2010 - art. 14
« Les médecins, les chirurgiens-dentistes ou
les sages-femmes chargés d'un service public et inscrits
au tableau de l'ordre ne peuvent être traduits devant la chambre disciplinaire
de première instance, à l'occasion des actes de leur fonction publique, que par
le ministre chargé de la santé, le représentant de l'Etat dans le département,
le directeur général de l'agence régionale de santé, le procureur de la
République, le conseil national ou le conseil départemental au tableau duquel
le praticien est inscrit.
Lorsque les
praticiens mentionnés à l'alinéa précédent exercent une fonction de contrôle
prévue par la loi ou le règlement, ils ne peuvent être traduits devant la
chambre disciplinaire de première instance, à l'occasion des actes commis dans
l'exercice de cette fonction, que par le ministre chargé de la santé, le
représentant de l'Etat dans le département, le directeur général de l'agence
régionale de santé ou le procureur de la République.
Un patient ne peut saisir directement le
conseil régional. Il doit saisir le départemental qui transmettra la plainte au
Régional.
Un exemple de jugement
ordinal :
Accident dans un cabinet de médecin :
des leçons pour l’avenir ?
Dans le
numéro 24
de juillet 2011 du Bulletin du Conseil
départemental de Seine Saint Denis de l’Ordre des médecins, sont rapportées
les conclusions d’une affaire récemment jugée par la Chambre Disciplinaire de
première instance de l’Ordre des Médecins d’Ile-de-France. Les attendus de ce
jugement paraissent intéressants et doivent attirer l’attention, tant des
gestionnaires que des praticiens.
« Rappel
des faits :
« Mme X consulte le Dr Y, spécialiste en médecine générale,
exerçant dans un centre de santé. Mme X est accompagnée de sa fille B, âgée de
20 mois.
« A la fin de la consultation, alors que le Dr Y est en train
de rédiger une ordonnance, la jeune B est soudain descendue des genoux de sa
mère sur lesquels elle était assise et s’est emparé d’un flacon d’acide
trichloacétique posé sur un chariot à proximité immédiate de l’enfant. Avant
que la mère ou le médecin n’aient eu le temps d’intervenir, l’enfant a réussi à
avaler une partie du contenu. Les conséquences ont été sérieuses pour l’enfant
puisque transportée par SAMU dans un hôpital parisien, elle a du subir une
résection-anastomose de l’œsophage cervical.
« Mme X reproche au Dr Y la présence d’un produit toxique dans
le cabinet, à la portée de l’enfant. Le Dr Y se défend en expliquant la
présence de ce produit par le fait qu’il partage ce cabinet de consultation
avec un médecin dermatologue qui utilise ce produit régulièrement. Il précise
que le flacon incriminé est toujours fermé et placé sur un chariot en arrière
de tout matériel médical.
« Les juges n’ont pas retenu ces arguments. Ils ont considéré
que si un enfant de 20 mois a pu ingérer le produit durant un temps très court
(le temps que la mère et le médecin se précipitent vers l’enfant), cela
signifie que le flacon n’était pas correctement fermé et largement accessible.
Ils ont également rejeté 2 autres arguments avancés par le Dr Y. le premier qui
consistait à dire que la mère avait manqué à un devoir de surveillance de son
enfant et le second qui arguait du fait qu’exerçant dans un centre de santé en
qualité de salarié, le Dr Y n’avait pas autorité sur l’organisation de
l’établissement (et donc le rangement de la salle de consultation).
Le
jugement :
« Les juges ont considéré que le Dr Y était personnellement
responsable de l’accident survenu en application des articles suivants du Code
de la Santé Publique :
• R 4127-32 «
Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à
assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés
sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à
l’aide de tiers compétents. »
• R 4127-33 «
Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y
consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans toute la mesure du possible
des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours
appropriés. »
• R 4127-49 «
Le médecin appelé à donner ses soins dans une famille ou une collectivité doit
tout mettre en œuvre pour obtenir le respect des règles d’hygiène et de
prophylaxie. Il doit informer le patient de ses responsabilités et devoirs
vis-à-vis de lui-même et des tiers ainsi que des précautions qu’il doit prendre.
»
Le praticien a reçu la sanction de l’avertissement.
« Les leçons à
tirer de cette affaire sont multiples », poursuit l’auteur de l’article :
« Le médecin est responsable de ce qui se passe dans le
cabinet où il consulte et ce y compris si un enfant échappe au contrôle du
parent qui l’accompagne.
« Tous les produits ou objets potentiellement dangereux
doivent être sous contrôle strict. Et ce y compris si le médecin exerce dans
une salle dont il n’a pas la responsabilité de l’organisation. Ici, il
s’agissait d’un centre de santé, mais il pourrait tout aussi bien s’être agit
d’une salle pluridisciplinaire dans un hôpital par exemple, ou seraient reçus à
tour de rôle des patients de médecine, de chirurgie, etc.. Le Juge considère,
en quelque sorte, que le médecin, à l’instar du pilote de ligne, a le devoir de
faire une « check list » des points dangereux de son cabinet avant de commencer
sa consultation ».
Octobre 2012 / février
2013
Jean-Louis Godier/Pierre
Brodard
[1]
Nous reproduisons dans ce dossier le texte de l’intervention
présentée lors du 52ème
Congrès des Médecins de Centres de Santé en octobre 2012.
[2] Arrêt de la Cour du 23 juin
1992
[3] arrêt du 17 novembre 2000
[4] Arrêts du 17 juillet 2001
[5] Loi
n° 2002-303 du 4 mars 2002 - Article 1er – I « Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa
naissance. La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut
obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué
directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les
mesures susceptibles de l'atténuer ».
« Lorsque
la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée
vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la
grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une
indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les
charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce
handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale ».
[7] Arrêt de la Cour de
cassation du 25 février 1997 (dit
« arrêt Cousin »), où la Cour
« innove » en renversant la preuve de l'exécution de cette
obligation d'information. La
responsabilité du médecin est engagée s'il n'a pas donné à son patient
l'information nécessaire. Il peut
alors être condamné à indemniser le patient, non pas de l'ensemble du dommage
corporel dont il est atteint, mais de la perte de la chance qu'il avait
d'échapper au risque encouru et dont il a été finalement victime.
[8] Loi 93-1093 du 16/12/1996,
art.50-I.
[9] Loi 93-1093 du 16/12/1996,
art.50-II
[10] ou garantie subséquente