dimanche 4 décembre 2016

Tiers-payant : réalités, enjeux et perspectives

Retour sur la table-ronde « actualité du tiers payant » du 56ème  Congrès National des Centres de Santé
 La thématique du Tiers Payant s’est imposée d’elle-même cette année au Congrès, compte tenu de sa brûlante actualité. En effet, la Loi de modernisation de notre système de santé adoptée en janvier 2016 prévoit de généraliser cette pratique à  tous les professionnels de santé libéraux à compter de 2017. Les représentants des centres de santé s’en sont félicités. Outre l’amélioration attendue en matière d’accès aux soins, cette extension du tiers-payant à de nouveaux acteurs impose enfin aux organismes de sécurité sociale et aux complémentaires d’améliorer un système dont la gestion est lourde et coûteuse pour les gestionnaires de Centres de Santé.

L’objectif de ce temps d’échange était double : d’une part, permettre aux acteurs des centres de santé d’obtenir toutes les informations utiles sur les évolutions qui sont en cours ou qui interviendront dans un futur proche. D’autre part, nous assurer, que les difficultés que nous rencontrons aujourd’hui dans la pratique quotidienne et massive du tiers-payant (TP), sont bien prises en compte par les pilotes qui sont aux commandes de cette généralisation, invités de la table-ronde.

Que retenir de leurs interventions ?
Tout d’abord, la volonté intacte du Ministère de mener cette réforme à bien, avec la mise en place d’un comité de pilotage rassemblant tous les acteurs. François Godineau, Adjoint au Directeur de la DSS, a rappelé  que l’avance de frais constitue un frein à l’accès aux soins, pouvant concerner jusqu’à 1/3 des Français selon certaines études.
Les étapes prévues pour la généralisation du tiers-payant sont les suivantes : le tiers payant sur la part remboursée par la sécurité sociale sera possible pour tous les assurés à compter du 1er janvier 2017, et rendu obligatoire le 30 novembre 2017. Toutefois, Mr Godineau a confirmé qu’aucune sanction n’est prévue, le Ministère comptant sur l’incitation, la pédagogie et l’amélioration technique pour assurer le déploiement du tiers payant.
Les garanties accordées aux professionnels de santé sont un point clé du dispositif : garantie de paiement dès lors que la FSE a été faite avec la carte vitale, délai maximal de paiement à 7 jours et mécanisme de pénalité en cas de non-respect.
Enfin, le tiers payant est déjà pratiqué par certaines professions de santé : il concerne environ 40 % des actes pour les généralistes (secteur 1), et monte à 98.2% des actes pour les infirmiers et les laboratoires. En revanche, il ne représente que 25.5% des actes facturés par les chirurgiens-dentistes.

Du côté des centres de santé, cette table-ronde a été l’occasion de dresser un état des lieux. Agnès Borgia, Directrice Générale de l’association AGECSA, gestionnaire des Centres de santé de Grenoble, a ainsi listé les points noirs du TP :
-       Des fragilités internes, que l’on retrouve dans de nombreux centres de santé : diversité des pratiques / manque de formation continue des secrétariats, manque de temps pour vérifier et décrypter les droits, manque de formation des médecins sur la codification des actes, logiciels de facturation pas optimals.
-       Pour le volet Régime Obligatoire : disparité des traitements de rejet suivant les caisses, faible impact de la PUMa (Protection Universelle Maladie) à ce jour en terme de diminution de rejets, contrairement à ce qui avait été espéré, problème récurrent d’information sur le médecin traitant, notamment lorsqu’il a été déclaré en centre de santé.
-        Pour le volet régimes complémentaires : la difficulté de lecture et de compréhension des cartes de mutuelle, de traitement des rejets dans les DRE (Demande de Remboursement Electronique), d’identification des garanties accordés pour les CDS (ni soins externes hospitaliers, ni médecine de ville). Une attente forte a été exprimée pour bénéficier d’un interlocuteur RC unique, d’une lisibilité de carte, et d’une gestion améliorée des rejets, et encore beaucoup de gestion papier.

Très attendue, Mathilde Lignot Leloup, Directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins à la caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), a fait un point sur les évolutions techniques en cours. L’objectif, sur 2016-2017, est de décliner de façon opérationnelle les engagements pris par les organismes obligatoires et complémentaires dans leur rapport conjoint AMO-AMC (remis à la Ministre le 19 février 2016).
De nombreux travaux inter-régimes devraient donc améliorer, à moyen terme, le quotidien de services administratifs et financiers de nos centres.
L’objectif pour l’assurance maladie est de répondre aux attentes des professionnels de santé, à savoir :
-        Préserver le temps médical
-        Ne pas faire supporter le risque financier lié au tiers payant au professionnel de santé
-        Garantir un paiement rapide, et un suivi simple
-        Organiser un accompagnement individualisé du professionnel de santé

Citons notamment :
-        La suppression des rejets liés aux droits à partir du 1er juillet 2016, sur la base de la carte vitale. Notamment les écarts de droits entre carte vitale (non mises à jour) et droits en base, et les changements de régime pour les affiliés.
-        La suppression des rejets pour les cas de patients hors parcours début 2017 (et dès le 1er juillet 2017 pour les bénéficiaires de l’ACS).
-        Une harmonisation et une amélioration des libellés de rejets, entre régimes obligatoires.
-        La mise en œuvre progressive dans les logiciels métiers de l’Acquisition des droits en ligne (ADRi)
Toutefois, la CNAM a admis qu’un travail spécifique en direction des centres de santé devait être mené, pour vérifier que les spécificités de leur facturation sont bien prises en compte dans toutes ces réformes. Un groupe de travail a été annoncé, visant à réaliser un « mémo facturation ».

Enfin, de nombreuses évolutions supposent une mise à jour des logiciels.

Les caisses primaires qui sont par ailleurs des partenaires importants pour les CDS, peuvent développer une politique volontariste d’appui à la gestion du tiers payant.
C’est ce qui a été évoqué par Laurence Dauffy, de la CPAM de Paris (Directrice de la régulation et des relations avec les professions de santé). A ses yeux, l’accompagnement des CPAM auprès des CDS est pertinent notamment pour garantir une analyse croisée des problématiques les plus fréquemment rencontrées dans la gestion quotidienne du tiers-payant (rejets ou encore modalités de transmission des pièces justificatives par exemple).
Les commissions paritaires départementales apparaissent alors comme des espaces privilégiés permettant des échanges de proximité. Toutefois, la mise en place d’un groupe de travail spécifique permettrait de réfléchir à des réponses communes et pertinentes aux difficultés de terrain.
Par ailleurs, Laurence Dauffy évoque également le domaine de la prévention comme axe de renforcement partenarial entre CPAM et CDS.

Bien que le tiers-payant obligatoire sur la part complémentaire – initialement prévu dans la loi Santé - ait été annulé par le Conseil Constitutionnel, nous avons tenu à ce que les complémentaires soient représentées à cette table-ronde. En effet, les centres de santé sont massivement investis sur ce volet, et en attendent des améliorations. Christophe Lapierre, Directeur des Système d’information à la Mutualité Française, est venu présenter les travaux menés par l’association Inter-AMC, créée en juin 2015, dans la perspective de la généralisation du tiers payant.

Là encore, des progrès sont perceptibles, mais leur mise en œuvre concrète nous a semblé moins avancée. Il est prévu d’automatiser l’intégration des données AMC dans les logiciels via un système de flash code à biper, normalement possible à partir de 2017 sous réserve d’intégration dans les logiciels. Les données AMC pourront être fiabilisées (droits en cours) via un service en ligne, IDB-CLS. Les éditeurs ne semblent pas nombreux, pour l’instant, à vouloir inclure ce service en ligne dans leur logiciel, et un appel a été lancé aux centres de santé pour qu’ils les incitent à s’y intéresser. Concernant les conventionnements, un portail de contractualisation unique sera opérationnel début 2017. La cible prioritaire de ce portail concerne les médecins, les auxiliaires de soins et les centres de santé. Toutefois, le champ du dentaire ne sera pas systématiquement inclus dans l’offre. Pour la facturation des actes, une harmonisation des DRE /RSP (rejet signalement paiement) est attendue.

Les questions et interventions des participants du Congrès ont pointé plusieurs enjeux :
-        L’accès à Espace Pro non ouvert aux CDS, qui de fait, ne permet pas aux médecins de CDS d’effectuer en ligne les déclarations de médecin traitant. Cette question met en lumière d’une part l’obligation pour les CDS de recourir au papier (avec tout ce que cela engendre en termes de lenteur de traitement ou même de perte de documents) alors que la démarche est simplifiée pour les libéraux et d’autre part les pratiques abusives de certains professionnels libéraux.
-        Le renforcement indispensable de la communication entre CDS et CPAM, notamment en réfléchissant à des interlocuteurs privilégiés au sein des CPAM
-        La nécessaire garantie de paiement rapide par les organismes AMO mais surtout AMC, avec une meilleure lisibilité des sommes versées (il est notamment question des prises en charge de frais dentaires)
-        La nécessité de prendre en compte les réalités des CDS en terme mobilisation et de formation des personnels d’accueil sur les spécificités et complexités du Tiers-Payant

Petit clin d’œil pour terminer aux professionnels des centres de santé qui ont témoigné, sur de courtes vidéos, de leur réalité quotidienne en matière de tiers-payant, illustrant avec énergie et à propos le débat. Merci à eux !

Céline Legendre Jabri – Directrice Adjointe de la Santé de Saint-Ouen (93).
Régine Raymond – Directrice Administrative et Financière du centre de santé de Bezons (95)