vendredi 6 décembre 2013

Pourquoi et comment enregistrer la situation sociale d’un patient en médecine générale?


Pourquoi et comment enregistrer la situation sociale d’un patient en médecine générale?
Intérêt du recueil de la position sociale en consultation de médecine générale : un consensus entre chercheurs et médecins généralistes.

La déclaration d’Alma Alta en 1978 dénonçait déjà les inégalités sociales de santé (ISS) comme « politiquement, socialement et économiquement inacceptables ». Elles sont des différences d’état de santé entre des groupes sociaux. Avec le concept d’ISS existe le concept de gradient social, c’est-à-dire que les différences d’état de santé existent entre chaque groupe social, pas seulement entre les plus défavorisés et les plus favorisés. Beaucoup de pays ont reconnu les ISS comme un enjeu de santé publique. Un environnement socioéconomique pauvre affecte la santé sociale, psychologique et physique d’un individu.

Les soins primaires constituent le terrain privilégié de prise en charge des ISS car les acteurs de « premier recours » sont en lien avec la communauté de façon quotidienne.
Le problème du repérage et du recueil systématique des indicateurs sociaux se pose puisque si la volonté politique de réduire les ISS existe, les chiffres de l’état de santé de la population sont peu rassurants et de ce fait montrent bien les difficultés de prise en charge des ISS. Tous les médecins généralistes perçoivent une augmentation des problèmes de santé des personnes les plus précaires.
Mais il est difficile de caractériser un gradient social en santé dans la patientèle.
Depuis deux ans un groupe composé de chercheurs INSERM spécialisés dans les ISS, de médecins généralistes et d’universitaires en médecine générale, de membres de réseaux spécialisés, coordonné par le Département Universitaire de Médecine Générale de Paris6, se réunit de façon mensuelle afin d’établir des recommandations opérationnelles sur le recueil systématique des indicateurs sociaux en pratique de médecine générale. Les réunions se sont opérées selon un schéma strict de processus de consensus Delphi.
L’objectif principal était de réunir les indicateurs les plus pertinents déjà décrits dans la littérature et exploitable selon trois niveaux. Le premier niveau constitue le temps de la consultation, pendant laquelle le médecin peut recueillir des informations jugées indispensables pour prendre en charge le patient. Le deuxième niveau est le niveau communautaire : connaître les caractéristiques sociales de sa patientèle permet de mieux décrire son activité et de l’adapter à des besoins spécifiques. Enfin le troisième niveau est le niveau de santé publique et de recherche en épidémiologie. Le groupe a ainsi classé dans ces 3 niveaux 33 types d’informations utilisées pour décrire la situation sociale retrouvés dans la littérature.
Les indicateurs retenus comme indispensables à recueillir lors de la première consultation et à réactualiser régulièrement sont : la date de naissance, le sexe, l’adresse, le statut par rapport à l’emploi, la profession, l’assurance maladie, la capacité de compréhension du langage parlé et écrit. Les indicateurs jugés utiles et pas indispensables sur le plan individuel sont : le pays de naissance, le fait de vivre seul(e), la situation de famille, le nombre d’enfants à charge, le niveau d’études, la catégorie socio-profesionnelle INSEE, les minima sociaux, le statut vis-à-vis du logement, la situation financière perçue.
Ces indicateurs sont rappelés dans les recommandations du groupe qui seront publiées sous l’égide du collège de la médecine générale. Avec les indicateurs se trouvent un « mode d’emploi » : des questions simples à poser lors d’une première consultation et en routine.
La communication orale lors du 53ème congrès des centres de santé a suscité de nombreuses réactions. Tout le monde s’accordait à dire que la problématique des ISS était en lien avec l’approche bio-psycho-sociale de la médecine générale. Les problèmes techniques étaient rappelés : le problème du dossier médical informatisé, le recueil longitudinal de ces données, l’extraction des données. Certains se posaient la question de l’utilité de ce genre de démarche car ils exprimaient leur impuissance à prendre en charge ces problèmes une fois dépistés.
Ce travail n’est effectivement pas révolutionnaire mais permet de poser un cadre cohérent, rationnel et pragmatique pour décrire au mieux les ISS en France, qui reste malgré les efforts politiques dans les pays européens les moins bien classés dans la capacité de réduction du gradient social.
La collaboration entre universitaires, chercheurs et médecins généralistes de façon consensuelle est en revanche innovante et stimulante.

Jean Sébastien Cadwallader,
Médecin généraliste, CMS Aubervilliers
Chef de clinique en médecine générale, université de Tours