Pourquoi et comment enregistrer
la situation sociale d’un patient en médecine générale?
Intérêt du recueil de la position
sociale en consultation de médecine générale : un consensus entre
chercheurs et médecins généralistes.
La déclaration d’Alma Alta en 1978 dénonçait déjà les inégalités
sociales de santé (ISS) comme « politiquement,
socialement et économiquement inacceptables ». Elles sont des
différences d’état de santé entre des groupes sociaux. Avec le concept d’ISS
existe le concept de gradient social, c’est-à-dire que les différences d’état
de santé existent entre chaque groupe social, pas seulement entre les plus
défavorisés et les plus favorisés. Beaucoup de pays ont reconnu les ISS comme
un enjeu de santé publique. Un environnement socioéconomique pauvre affecte la
santé sociale, psychologique et physique d’un individu.
Les soins primaires constituent le terrain privilégié de prise en charge
des ISS car les acteurs de « premier recours » sont en lien avec la
communauté de façon quotidienne.
Le problème du repérage et du recueil systématique des indicateurs
sociaux se pose puisque si la volonté politique de réduire les ISS existe, les
chiffres de l’état de santé de la population sont peu rassurants et de ce fait
montrent bien les difficultés de prise en charge des ISS. Tous les médecins
généralistes perçoivent une augmentation des problèmes de santé des personnes
les plus précaires.
Mais il est difficile de caractériser un gradient social en santé dans
la patientèle.
Depuis deux ans un groupe composé
de chercheurs INSERM spécialisés dans les ISS, de médecins généralistes et
d’universitaires en médecine générale, de membres de réseaux spécialisés,
coordonné par le Département Universitaire de Médecine Générale de Paris6, se
réunit de façon mensuelle afin d’établir des recommandations opérationnelles
sur le recueil systématique des indicateurs sociaux en pratique de médecine
générale.
Les réunions se sont opérées selon un schéma strict de processus de consensus
Delphi.
L’objectif principal était de réunir les indicateurs les plus pertinents
déjà décrits dans la littérature et exploitable selon trois niveaux. Le premier
niveau constitue le temps de la consultation, pendant laquelle le médecin peut
recueillir des informations jugées indispensables pour prendre en charge le
patient. Le deuxième niveau est le niveau communautaire : connaître les
caractéristiques sociales de sa patientèle permet de mieux décrire son activité
et de l’adapter à des besoins spécifiques. Enfin le troisième niveau est le
niveau de santé publique et de recherche en épidémiologie. Le groupe a ainsi
classé dans ces 3 niveaux 33 types d’informations utilisées pour décrire la
situation sociale retrouvés dans la littérature.
Les indicateurs retenus comme indispensables
à recueillir lors de la première consultation et à réactualiser régulièrement
sont : la date de naissance, le sexe, l’adresse, le statut par rapport à
l’emploi, la profession, l’assurance maladie, la capacité de compréhension du
langage parlé et écrit. Les indicateurs jugés utiles et pas indispensables sur le plan
individuel sont : le pays de naissance, le fait de vivre seul(e), la
situation de famille, le nombre d’enfants à charge, le niveau d’études, la
catégorie socio-profesionnelle INSEE, les minima sociaux, le statut vis-à-vis
du logement, la situation financière perçue.
Ces indicateurs sont rappelés dans les recommandations du groupe qui
seront publiées sous l’égide du collège de la médecine générale. Avec les
indicateurs se trouvent un « mode d’emploi » : des questions
simples à poser lors d’une première consultation et en routine.
La communication orale lors du 53ème congrès des centres de
santé a suscité de nombreuses réactions. Tout le monde s’accordait à dire que
la problématique des ISS était en lien avec l’approche bio-psycho-sociale de la
médecine générale. Les problèmes techniques étaient rappelés : le problème
du dossier médical informatisé, le recueil longitudinal de ces données,
l’extraction des données. Certains se posaient la question de l’utilité de ce
genre de démarche car ils exprimaient leur impuissance à prendre en charge ces
problèmes une fois dépistés.
Ce travail n’est effectivement pas révolutionnaire mais permet de poser
un cadre cohérent, rationnel et pragmatique pour décrire au mieux les ISS en
France, qui reste malgré les efforts politiques dans les pays européens les
moins bien classés dans la capacité de réduction du gradient social.
La collaboration entre universitaires, chercheurs et médecins
généralistes de façon consensuelle est en revanche innovante et stimulante.
Jean Sébastien
Cadwallader,
Médecin généraliste,
CMS Aubervilliers
Chef de clinique
en médecine générale, université de Tours