Complémentaire santé d'entreprise
obligatoire :
l'enfer est toujours pavé de bonnes
intentions
Elle
a été l'argument principal qui a justifié la ratification par la CFDT, la CFTC
et la CGC du texte de l'ANI du 11 janvier 2013 d'inspiration patronale instaurant
les premiers axes d'une flexicurité à la française. Présentée comme une
victoire syndicale et de justice sociale face à la pression patronale, la
création d'une assurance complémentaire d'entreprise obligatoire (santé et
prévoyance) est en réalité lourde de dangers pour les salariés assurés. Elle
ouvre la porte à un renforcement des inégalités de couverture au sein de la
population accompagnant une réduction du périmètre de la solidarité. Mais
surtout, elle s'inscrit parfaitement dans le dispositif patronal de recherche
d'une baisse généralisée du coût du travail et dans l'ambition des politiques
d'austérité mises en œuvre par le gouvernement.
Complémentaire santé d'entreprise obligatoire :
de quoi parle-t-on ?
Disposition
inscrite dans les articles 1 et 2 de l'ANI du 11 janvier 2013 transposés dans
l'article 1 de la loi dite de « sécurisation de l'emploi »
promulguée le 14 juin 2013, la création d'une complémentaire santé d'entreprise
obligatoire à l'horizon 2016 impose le principe d'une couverture sociale
professionnelle obligatoire des risques santé des salariés du privé parallèle à
la sécurité sociale.
Selon ses défenseurs, il s'agit par
ce moyen de faire entrer dans le champs des complémentaires 600 000 salariés
aujourd'hui couverts uniquement par la sécurité sociale et d'améliorer ainsi
leur niveau de couverture face à une réduction de la prise en charge par la
sécurité sociale.
Concrètement,
la loi dispose que les branches non couvertes par un accord doivent engager des
négociations sur la mise en œuvre d'une couverture maladie complémentaire
collective et obligatoire dès le 1er juin 2013, ou à partir du 1er
juillet 2014 dans les entreprises disposant d'un délégué syndical, en vue
d'obtenir un accord définitif à compter du 1er janvier 2016.
Pour les négociations engagées dès
le 1er juin 2013, l'accord de branche peut recommander[1]
un ou plusieurs organismes complémentaires qui s'imposeront aux entreprises de
la branche. A défaut d'accord de branche avant le 1er juillet 2014,
les entreprises non couvertes devront, dans le cadre de la négociation annuelle
obligatoire, négocier un accord d'entreprise mettant en place la couverture
complémentaire. Et à défaut d'accord d'entreprise, les entreprises sont tenues
avant le 1er janvier 2016, de faire bénéficier leurs salariés d'une
complémentaire collective répondant à un panier de soins minimal défini par
l'article L. 911-7 du code de la sécurité sociale répondant au cahier des
charges des contrats dits responsables et solidaires. A savoir, un panier
incluant le remboursement des prestations maladies couvertes par les régimes de
base (inclus le forfait journalier hospitalier) et la participation des assurés
aux frais en sus des tarifs de responsabilité pour les soins dentaires et
d'optique, financé à minima à 50 % par l'employeur, et dont le plafond de
prise en charge est défini par décret.
93 % des français étant déjà couvert par
une complémentaire, la mise en œuvre de ces mesures suscite débats et
interrogations de la part des organismes d'assurance complémentaire, des
organisations patronales comme syndicales, dans un secteur déjà travaillé par
des mutations profondes et dans un contexte de refondation de la politique de
santé française.
C'est pourquoi,
avec l'ambition déclarée d'accroître le niveau de solidarité de ces contrats
collectifs et de renforcer le poids de la négociation collective, la LFSS 2014
a précisé certains termes de cette procédure.
Ainsi, son
article 12ter a défini les modalités de la recommandation par les branches des
organismes complémentaires[2].
Ces organismes ne seraient recommandables que dans la mesure où la couverture
complémentaire qu'ils proposent présente un « degré élevé de solidarité ».
Ce caractère solidaire, précisé par décret, prenant alors la forme de « prestations
à caractère non directement contributif », de politiques de prévention
et d'action sociale. Afin de rester dans les clous des traités européens et de
pousser à la mutualisation des organismes, cette clause de recommandation
ferait alors l'objet d'une mise en concurrence préalable au choix définitif par
les entreprises de l'organisme.
Dans le même
temps, l'article 45 de la LFSS annonce la refonte pour le 1er
janvier 2015 du contenu des contrats responsables et solidaires, en
introduisant le principe de nouvelles règles de prise en charge des
dépassements tarifaires des consultations, du dentaire, de l'optique et de
certains dispositifs médicaux, visant l'instauration de plafonds et de
planchers dans la prise en charge des remboursements complémentaires. Ce
principe devant donner lieu à la publication d'un décret pour sa mise en œuvre
concrète, qui n'est toujours pas connu. Dispositions complétées par l'article
15ter qui prévoit une surtaxe des contrats non responsables.
Engagée depuis
janvier 2013, cette bataille du gouvernement et de certaines organisations
syndicales pour instituer la complémentaire santé obligatoire d'entreprise
n'est toujours pas achevée. Le décret définissant les nouveaux contrats
responsables, clé de voûte du dispositif, n'est toujours pas sorti ; la
première mouture ayant été retoquée ; le combat des lobbys de médecins et
des professionnels de l'optique et du dentaire n'y est sans doute pas pour
rien. De plus, l'annonce dans le cadre de la loi de finance rectificative pour
2014 d'une fiscalisation des contributions employeurs et de CE aux
complémentaires santé et prévoyance au détriment des salariés a rajouté de
l'huile sur le feu et dévoilé un peu plus la réalité des intentions
gouvernementales sur ce dossier.
« Généreuse mesure » … qui renforce
l'inégalité d'accès aux soins
Généreuse
mesure a priori, cette complémentaire santé collective obligatoire est à y
regarder de plus près un moyen « efficace » de renforcer l'inégalité
d'accès au soins.
En
effet, le dispositif de la complémentaire pour tous repose sur la mise en place
d'une prise en charge des frais d'un « panier de soins minimum »
dont le minimum et le plafond de garanties seront calibrés par les contenus des
contrats responsables.
La non parution du décret promis
par la LFSS 2014 refondant les contenus des contrats responsables et solidaires
interdit aujourd'hui encore de donner avec certitude le niveau de la prise en
charge complémentaire. Mais l'inquiétude est légitime quand on sait que le
panier de soins initial prévu par l'ANI prévoyait à ce moment un niveau de
prise en charge inférieur à celui de la CMU-complémentaire (100 euros pour
les lunettes dans l'ANI contre 178 à 428 euros pour les verres et 131 euros
pour les montures dans la CMU-c ; 136 euros pour les prothèses dentaires
dans l'ANI contre 154 euros par la CMU-c). Et que les informations filtrant sur
le futur décret ne semblent revaloriser qu'à la marge ce niveau de prise en
charge (ex : 150 euros pour les lunettes au lieu de 100 euros
initialement).
En revanche, il est clair que ce
« panier minimum de soins » sera le cœur de la négociation des
futurs contrats collectifs dans la mesure où le gouvernement a acté qu'il
donnera lieu à exonération de cotisations sociales patronales pour l'employeur.
Or, en France, 64 % des
salariés sont d'ores et déjà couverts par des contrats collectifs de branche ou
d'entreprise, dont le niveau de prise en charge dépasse souvent celui de la
prise en charge par les contrats responsables.
De
sorte que, l'incitation financière à la généralisation de la complémentaire
santé obligatoire, appuyée par un mode de négociation et de désignation des
organismes complémentaires reposant en pratique sur les négociations
d'entreprise (et non des branches dans les faits), tout cela va encourager les
employeurs à renégocier à la baisse leurs contrats collectifs si ce « panier
de soins minimum » offre un niveau de couverture inférieur au leur, au
seul motif d'une mise en conformité avec les avantages fiscaux et sociaux
offerts par la nouvelle réglementation. Le résultat de l'opération pourrait
alors être l'inverse de celui escompté par le gouvernement : une baisse
généralisée du niveau de la prise en charge complémentaire collective des
salariés !
Dès
lors, face à cette baisse du niveau de leur prise en charge collective
d'entreprise, les salariés auront alors intérêt à compléter leur couverture
obligatoire par une sur-complémentaire individuelle, que sauront leur offrir
les assureurs privés et qui pourrait même faire partie du paquet de la négociation
d'entreprise sur les complémentaires. Il va sans dire que cette capacité à
contracter une sur-complémentaire individuelle dépendant fortement du revenu
des salariés, tous n'en n'auront pas les moyens. Le risque est grand alors,
qu'avec une baisse généralisée de la couverture santé obligatoire, le modèle
proposé génère aussi le développement d'une iniquité dans la prise en charge
des dépenses de santé de la population. Une iniquité qui sera déjà bien
travaillée par la mise en concurrence des assureurs complémentaires et des
niveaux de couverture différenciés selon les entreprises. Et dans laquelle,
n'en doutons pas, les assurances sauront trouver leur bonheur ...
Au
total, le bilan potentiel mais prévisible de cette réforme de la complémentaire
d'entreprise montre que si, par la démarche choisie, 600 000 salariés pourront
bénéficier d'une complémentaire santé et donc d'une amélioration de leur
couverture santé, cela se fera en contrepartie d'une réduction du niveau
général de la couverture complémentaire santé des salariés et d'un
développement des inégalités de prise en charge face au risque santé entre
salariés.
Un choix politique et syndical aux
effets pervers, qui cependant pourrait très bien être évité en tablant sur une
amélioration de la prise en charge de base par la sécurité sociale ...
Un pas de plus vers une réforme structurelle de la
protection sociale en France qui réponde aux injonctions du capital
Mais
c'est peut-être là justement l'essentiel de l'analyse à faire de cette
complémentaire santé obligatoire. Pourquoi développer le principe d'une prise
en charge complémentaire obligatoire pour améliorer la prise en charge des
salariés, là où l'amélioration du niveau de prise en charge du risque santé par
la sécurité sociale permettrait de répondre au besoin de prise en charge des
salariés de manière universelle, égalitaire et solidaire ?
La réponse à cette question se loge
dans le changement de paradigme de notre système de protection sociale opéré
par le gouvernement depuis 2012, en appui des ambitions patronales formalisées
dans le projet de Refondation sociale du Medef de 2000, et dans le prolongement
des politiques engagées par la droite depuis cette date, qui donne forme à la
perspective d'un « nouveau modèle social français ». Et dont la complémentaire
santé obligatoire d'entreprise est un élément.
Pour
bien le mesurer, il faut replacer la création de cette complémentaire dans son
contexte d'ensemble. Elle répond en effet à la conjonction de 3 impératifs
posés par le gouvernement et le patronat :
- Politique de baisse du coût du travail par la réduction des cotisations sociales patronales.
C'est le sens de la politique de
l'offre prônée par F Hollande lors de son allocution à l'ouverture de la
Conférence sociale de juillet 2012, confirmée plus explicitement lors de son
annonce du Pacte de responsabilité en début d'année. Selon lui, et le Medef,
les entreprises perdraient en compétitivité parce que leurs marges
(bénéfices/valeur ajoutée) seraient amoindries par un coût du travail trop
élevé.
Peu importe que les données
statistiques disponibles montrent que ce qui pèse sur les entreprises n'est pas
le coût du travail mais le coût du capital, qu'elles soient prélevées deux fois
plus en charges financières (intérêts d'emprunt et dividendes : 299 Mds
d'euros en 2013) qu'en cotisations sociales patronales (154 Mds d'euros en
2013), que le crédit pour les investissements dans l'économie réelle soit
asséché par les banques et les marchés et réorienté en masse vers le
financement des opérations spéculatives. Pour « redonner de l'air aux
entreprises », les pouvoirs publiques auraient désormais pour mission
principale de réduire ce coût du travail en réduisant notamment la part des
cotisations sociales patronales.
Mission traduite en acte dans le
Pacte de responsabilité par la suppression annoncée à l'horizon 2017 des
cotisations patronales pour la branche famille, qui s'ajoutera à la réduction
du coût global du travail initiée par le crédit d'impôt compétitivité-emploi,
ainsi qu'à quelques réductions fiscales dont la plus emblématique est
suppression de la C3S qui finance le régime de sécurité sociale des
travailleurs indépendants. Ainsi, selon les chiffres du Medef, les entreprises
bénéficieront de 41 Mds d'euros de réduction de leurs prélèvements obligatoires
en période de croisière, dont 30 de baisse de cotisations sociales.
- Politique d'austérité et de réduction de la dépense publique et sociale.
Ces politiques de
déresponsabilisation sociale et fiscale des entreprises pèsent lourd sur les
finances publiques et sociales par effet de compensation. Par exemple, depuis
leur création en 1990, les exonérations de cotisations patronales ont permis
aux entreprises d'économiser 376,3 Mds d'euros cumulés, que l’État a du
compenser à la sécurité sociale sur son budget dans un premier temps, par un
abandon de taxes et d'impôts (les ITAF) à son profit dans un deuxième temps, et
par un impôt nouveau, la CSG, dans un troisième temps. Et tout cela sans
qu'aucun élément ne permette de confirmer que cet « allègement de charges
des entreprises » se soit traduit en contre-parties par des créations
d'emplois nouvelles.
Généralisé avec la suppression de
la taxe professionnelle, la baisse de l'impôt sur les sociétés, les niches
d'optimisation fiscale, le CI-CE, …, cette déresponsabilisation sociale et
fiscale des entreprises siphonne donc une part toujours plus grande de la
dépense publique au profit des entreprises, qui se perd dans les coûts du
capital, au détriment de la réponse aux besoins sociaux des populations et contribue
au transfert vers les ménages d'une part toujours plus grande du financement de
la sécurité sociale.
Alors même que la crise frappe
durement et nécessiterait un développement massif des investissements publics
et de services publics pour relancer l'économie, l'emploi et les
investissements matériels, et un élargissement de la prise en charge socialisée
des dépenses de sécurité sociale, ce siphonnage mine les possibilités d'un
retour de la croissance et plombe les recettes fiscales et sociales. Il participe
de l'accroissement des déficits et dettes publics et sociaux, et contribue à
accentuer les politiques d'austérité et de réduction des dépenses publiques et
sociales. En témoigne le plan Valls de 21 Mds d'euros d'économies d'ici à 2017
sur la sécurité sociale, dont 10 Mds sur la branche maladie ; ce qui, pour
cette dernière, réduira encore un peu plus le périmètre de prise en charge
socialisé des malades, au grand bonheur des opérateurs privés et au grand
malheur des malades désargentés.
- Projet patronal de reprise en main de l'offre de soins décliné précisément dans son projet de Refondation sociale en 2000[3].
C'est la grande ambition du Medef,
revenir sur la gestion par la sécurité sociale de la couverture des soins
acquise en 1945. L'idée est simple : si le patronat veut bien laisser aux
pouvoirs publics la maîtrise des objectifs de santé publique et des moyens de
la mettre en œuvre (formation des professionnels de santé, recherche médicale,
couverture universelle, définition du panier de soins qui donne lieu à prise en
charge, ...), il revendique en revanche la maîtrise totale de l'offre du
panier de soins par des « opérateurs de soins » (autrement
dit par des assureurs) qui définiraient et contrôleraient la coordination entre
offre de soins et demande de soins, et qui en assumeraient la gestion.
Dans ce schéma de fonctionnement,
calqué sur le modèle anglo-saxon, où la sécurité sociale ne serait qu'un organe
financeur sur fonds publics de prestataires de services privés et forfaitisés
chargés d'assurer de manière décentralisée sa mission actuelle de service
public, assurés et professionnels de santé passeraient sous la coupe de ces
opérateurs de soins, via des contrats d'assurance collectifs les inscrivant
dans des réseaux de soins, qui chercheraient alors à maximiser leurs résultats
économiques en optimisant la gestion du forfait par assuré au regard de l'offre
de soins.
Le rôle dévolu aux partenaires
sociaux se résumerait alors à celui du choix « au niveau de
l'entreprise de l'opérateur de soins, des paniers de soins additionnels, et de
la surveillance des résultats »[4].
Quel lien entre tout cela et la
complémentaire santé obligatoire d'entreprise ? Cette dernière répond dans
le fond, la forme et les objectifs à ces 3 impératifs.
- Bien que par construction elle soit financée à 50 % par le salarié et par l'employeur, elle ne grève pas le coût du travail de l'entreprise. Équité de façade, son financement sera en réalité intégralement assumé par les salariés. D'abord, parce que la contribution des salariés sera tirée de son salaire net. Le coût moyen estimé à ce jour est de 500 euros par an et par salarié, soit à peu près le montant de la hausse de salaire net correspondant à la mesure de réduction des cotisations salariales pour un smicard inscrite dans le plan Valls. Ensuite, parce que la contribution employeur s'inscrira dans la masse salariale de l'entreprise et sera à ce titre récupérable via les dispositifs d'exonérations fiscale sur les salaires (exonération de cotisations sociales patronales, CI-CE, réduction de l'impôt sur les sociétés, …). Enfin, parce que le gouvernement a obtenu en loi de finance pour 2014 (article 4), que la contribution employeur au financement des complémentaires santé et prévoyance soit intégrée au calcul de l'impôt sur le revenu de son bénéficiaire à compter de 2014. Ainsi un salarié qui bénéficie d'une complémentaire santé dont la cotisation mensuelle est de 100 euros, 50 euros payé par lui et 50 euros payés par son employeur, devra ajouté à sa déclaration de revenu 600 euros au titre de la contribution de son employeur.
- Payée essentiellement par le salarié sur ces revenus, elle ne participe pas de la dépense sociale. Inscrite dans la déclaration de revenu des salariés, elle participe même directement à la résorption des déficits publics !
- Mieux encore, ce mode de financement qui fait du salarié son propre finançeur construit les bases d'un système de protection sociale totalement déconnecté du mode de financement de la sécurité sociale. En effet, là où la cotisation sociale pose un principe de mutualisation de la richesse produite dans l'entreprise par prélèvements sur les profits des entreprises[5], le mode de financement de la complémentaire santé par les salariés eux-mêmes fait basculer le prélèvement sur les revenus des ménages. C'est toute la philosophie des ordonnances de 1945 qui est ainsi remise en cause. Non seulement le principe de socialisation de la richesse produite est balayé, et avec lui l'idée du « chacun selon ses moyens et chacun selon ses besoins ». Mais asseoir le financement de la prise en charge des dépenses sociales sur les seuls revenus des salariés, c'est soumettre les conditions et le niveau du financement, et donc de la couverture, aux arbitrages salariaux des employeurs, eux-mêmes tributaires des logiques de gestion des entreprises.
- Enfin, sur un plan plus institutionnel, on ne manquera pas d'être frappé par le parallélisme entre l'instauration de la complémentaire santé obligatoire avec ses conséquences et la construction institutionnelle d'un système de retraite multi-piliers qui a prévalu lors de la réforme des retraites de 2013. Toutes deux institutionnalisent un système de sécurité sociale à 3 niveaux (pilier public obligatoire, pilier d'entreprise obligatoire, pilier privé individuel), qui restructure dans son fonctionnement et ses principes la sécurité sociale et raffermit le pouvoir du patronat sur la protection sociale du travailleur, et cela à partir de l'entreprise ; l'employeur reprenant la main sur une part du financement de la sécurité sociale, via la complémentaire retraite et santé obligatoire d'entreprise, directement à partir de la négociation salariale.
Cette évolution
proposée est d'ailleurs parfaitement conforme à la philosophie de l'ANI du 11
janvier 2013, dont l'adoption a été qualifiée par le patronat de victoire
historique. Texte d'inspiration patronale qui a opéré un renversement de
logique de l'ordre public social construit par les luttes sociales depuis
maintenant 130 ans, celui d'un ordre public construit autour de la protection
du travailleur face à son employeur et aux aléas de la vie compte tenu du
déséquilibre naturel en défaveur du travailleur intrinsèque au capitalisme.
Cela s’est fait au moyen de la flexibilisation de l’emploi comme nouvelle norme
et le renversement de la hiérarchie des normes législatives faisant de l’accord
d’entreprise la norme ultime. En procédant comme ceci, l’ANI a fait glisser le
droit social d’une fonction de protection du travailleur à celle de protection
de l’entreprise, et notamment de sa compétitivité et de ses marges.
L'introduction de la complémentaire santé et la complémentaire retraite
d'entreprise complètent le dispositif en s'attaquant à la sécurité sociale,
dans une optique de baisse du coût du travail.
Ainsi, le travail de
déconstruction des acquis de 1945 engagé par la droite depuis 2002, et en
particulier depuis la Présidence Sarkozy, trouve désormais un écho dans la
construction du « nouveau modèle social » prôné par le Président
Hollande et son gouvernement.
Face à la régression, promouvoir les alternatives
Tout
est donc en place pour que la complémentaire santé obligatoire d'entreprise
aboutisse non à ouvrir de nouveaux droits, mais bien à installer toute une
partie de la population dans un carcan de soins minimum remboursés, qui se
traduira par une augmentation du renoncement au soins de qualité et à un
démantèlement de la branche maladie de la sécurité sociale.
Cela ne peut être accepté. C'est
pourquoi des contre-propositions doivent être formulées pour servir à changer
la donne.
Si l'on veut réellement répondre
au besoin de
prise en charge
socialisée de la
santé des travailleurs français, alors il
faut créer les conditions d'une
négociation entre "partenaires sociaux" menant vers la
prise en charge
à 100% par
la sécurité sociale
des dépenses de
santé des malades.
Une ambition
politique qui suppose
de mettre à
plat les modalités de financement de
la sécurité sociale
et en dépasser
les insuffisances actuelles par un financement en
dynamique de la
sécurité sociale à
partir :
- de la suppression des exonérations de cotisations sociales patronales et de la réorientation des compensations publiques de ces exonérations vers un fond public national pour l'emploi et la formation afin de lutter contre le coût du capital supporter par les entreprises et non de les aider à lutter contre le « coût du travail », en prenant en charge de façon sélective les intérêts d'emprunts des investissements matériels et de recherche développant l'emploi et les salaires : plus l'investissement programmerait d'emplois et de formations correctement rémunérés, et plus son taux d'intérêt baisserait ;
- de la modulation des cotisations sociales patronales en fonction de la politique d'emploi et de salaire de l'entreprise, de sorte que plus une entreprise accroît sa valeur ajoutée relativement à sa masse salariale en licenciant, et plus ses taux de cotisation patronale sont élevés ;
- de la création d'une cotisation sociale additionnelle sur les revenus financiers des entreprises et des banques, qui leur appliquerait les taux des cotisations patronales de chaque branche de la sécurité sociale.
En
guise de conclusion,
Le projet de complémentaire santé
obligatoire participe clairement d'un choix politique de civilisation qui
s'oppose à celui formulé il y a 60 ans par les membres du CNR. Et à ce titre,
il faut lui opposer une résistance acharnée. Mais peut-être plus encore,
faut-il s'inspirer de l'esprit de ses fondateurs pour essayer d'aller encore
plus loin.
rédacteur en chef d'Economies et politiques
[1] Le texte initial de la loi de sécurisation de
l'emploi prévoyait une clause de désignation par les accords de branche
des organismes complémentaires. Cette disposition a généré un âpre débat
opposant les organismes complémentaires entre eux (mutuelles contre assurances)
compte tenu de la distribution des cartes qu'elle impliquait, qui aurait
notamment structurellement défavorisé le secteur assurantiel face aux
mutuelles. Ces dernières étant plus présentes à l'échelle des branches du fait
des relations construites avec les organisations syndicales, alors que le monde
des assurances est plus présent au niveau de l'entreprise. Le Conseil
constitutionnel a tranché en supprimant la mesure. Encouragé par le secteur
mutualiste, le gouvernement a donc réintroduit le principe dans la LFSS 2014
avec l'idée de recommandation, pour tenir compte de l'avis du Conseil
constitutionnel, mais accompagnée de sanctions financières en cas de non
respect des choix des branches.
[2] Cet article de la LFSS 2014 présenté par le
gouvernement prévoyait aussi qu'en cas
de recommandation de leur branche, les entreprises faisant le choix d'un autre
assureur se verraient appliquer un taux majoré de TSCA pour le forfait social
dont elles s'acquittent sur le financement des prestations complémentaire de
prévoyance. Il a fait suite au rejet par le Conseil constitutionnel des
dispositions de l'article 1 de la loi dite « de sécurisation de
l'emploi » qui prévoyait la désignation par les négociations de
branche des organismes complémentaires, en tentant de détourner l'argumentation des hauts magistrats
sur la liberté de choix des employeurs par l'introduction d'une sanction
financière sur les décisions d'entreprises non conformes aux décisions de la
branche. Le Conseil constitutionnel a donc de nouveau sanctionné l'ambition
gouvernementale, en censurant cette fois la disposition de contrainte fiscale
au nom l'égalité devant les charges publiques. Par ce nouveau jugement qui
conforte sur le fond son jugement précédent, le Conseil constitutionnel a de
fait rendu caduque le principe de recommandation des organismes complémentaires
par les négociations de branche (cette recommandation n'étant plus
contraignante) et confirmé que la réalité de la désignation serait actée dans
le cadre de la négociation d'entreprise. Il résulte évidemment de tout cela que
le Conseil a conforté le secteur des assurances contre celui des mutuelles et
qu'il encourage ainsi à l'accélération du regroupement mutualiste.
[3] Pour une nouvelle architecture de la sécurité
sociale, Medef, Novembre 2001.
[4] Ibidem, p.11
[5] Lorsqu'en 1945,
le gouvernement provisoire met en place la sécurité sociale et assoit son
financement sur la cotisation sociale, il pose le principe d'une mutualisation
d'une partie de la richesse produite dans l'entreprise par le travail et en
calcule le montant à partir des salaires versés. En procédant ainsi, il affirme
deux choses capitales :
· une partie de la
valeur ajoutée produite par les salariés, sans être affectée aux salaires,
devra être soustraite du profit des entreprises pour servir au financement de la
réponse socialisée aux besoins sociaux.
· le niveau de
cette appropriation sociale est fonction de l'emploi et de la masse salariale
versée dans les entreprises.
C'est-à-dire,
d'abord, qu'il place le financement de la sécurité sociale au cœur de la bataille
de classe pour l'appropriation des richesses. Ensuite, il inscrit ce
financement dans une dynamique économique qui lui assure une croissance
régulière. Enfin, il fait de l'emploi et du salaire le levier de ce
financement.