Le 14/06/2014, à l'occasion des journées portes ouvertes de l'APHP, Interview du docteur geneviève Lafaye, Psychiatre Addictologue au Centre d’Enseignement, de
Recherche et de Traitement des Addictions, Responsable de l’unité Adolescents –
Jeunes Adultes / Hôpital Paul Brousse,
Villejuif (94)
Par le Dr Claire
Meignan, Médecin Généraliste, Tabacologue, Centres de Santé d’Orly (94):
Docteur Lafaye, Vous
êtes intervenue à deux reprises en tant qu’addictologue dans le cadre des formations destinées
aux médecins généralistes des centres de santé et organisées par la FNFCEPPCS
en Novembre et Mai dernier (DPC Addictions).
Vous avez ces derniers temps plus particulièrement centré vos recherches dans
le champ des Addictions chez les jeunes. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous
a motivée ?
Docteur Geneviève Lafaye : L’adolescence
est une période de maturation et d’évolution complexe accompagnée d’importants
changements physiques et physiologiques. Cette phase de transition entre l’enfance
et l’âge adulte est particulièrement propice à de nombreuses expérimentations,
dont les consommations de substances psychoactives font partie.
Les récentes études épidémiologiques reflètent non
seulement l’importance des consommations de substances psychoactives chez les
jeunes mais également certaines pratiques pouvant devenir problématiques telles
que les jeux vidéos/Internet et les jeux de hasard et d’argent.
Pour la plupart des jeunes, ces conduites ne
signeront pas un phénomène pathologique et diminueront à l’entrée dans la vie
adulte. Mais pour certains, les consommations ou comportements problématiques
impacteront sévèrement l’avenir socio-professionnel et le développement
émotionnel et cognitif. En effet, les conséquences qui en découlent peuvent
entraver gravement le parcours de vie de ces jeunes et constituent donc à
l’heure actuelle un problème majeur de santé publique.
Une prise
en charge précoce des addictions à cette période charnière est un enjeu majeur
pour désamorcer les problématiques sous-jacentes et empêcher l'installation de
conduites addictives sévères.
Malgré un développement de l’offre de soins, il
persiste toujours d’importantes difficultés quant à la prise en charge de ces
patients.
Ces
jeunes consommateurs sont un public qui accède difficilement aux dispositifs de
soins classiques. En effet, pour ces adolescents, les
conduites addictives s’accompagnent souvent d’un déni ou d’une faible
perception des risques liés à cet usage. Ainsi, les premières consultations
sont davantage à l’initiative de l’entourage du jeune, et de ses parents plus
particulièrement.
L’offre de soins s’est développée, notamment avec les
consultations jeunes consommateurs (CJC) mais il est primordial de pouvoir
continuer à former les intervenants de premier recours dans le repérage précoce
de ces conduites addictives. Repérer et évaluer précocement ces conduites
addictives est primordial, compte-tenu des enjeux propres à la période
adolescente et des conséquences sanitaires et sociales pouvant être liées à ces
conduites.
Enfin, les missions principales des CJC sont la prévention, le
repérage précoce, des interventions brèves ou orientation vers des structures
adaptées dans les cas plus sévères. Or, à l’heure actuelle, ce dispositif
d’aval pour les jeunes présentant des conduites addictives sévères avec des
conséquences sociales, scolaires, familiales, judiciaires… est nettement
insuffisant.
Et c’est dans ce cadre que j’ai souhaité développer avec les
moyens mis à ma disposition des soins proposés à ces patients plus sévèrement
touchés et nécessitant des prises en charge adaptées en milieu hospitalier.
C.M : Vous êtes à l’origine de l’ouverture d’un hôpital de jour organisé pour un accueil multidisciplinaire
adapté aux jeunes. Que permet cette structure ?
G.L : Cet hôpital de jour
destiné à la prise en charge des jeunes addicts, âgés de 15 à 23 ans. Il a
ouvert au mois d’octobre 2013. Cette structure vise à développer et complémenter
l’offre de soins actuelle pour permettre aux jeunes souffrant de conduites addictives
sévères des prises en charge plus adaptées.
Le but de
cette prise en charge multidisciplinaire spécialisée est de faciliter l’accès
aux soins de ces patients en adaptant les modalités thérapeutiques à la
sévérité des consommations ainsi qu’à la présence éventuelle de comorbidités,
notamment psychiatriques.
Même si
le motif principal d’admission est addictologique, nous proposons des prises en
charge globales (psychologique, sociale, scolaire, somatique…) au moyen d’une
palette de soins pluridisciplinaires :
-
Soins psychothérapeutiques en groupe et individuel
(groupe de parole, groupe d’information, travail motivationnel, remédiation
cognitive…)
-
Ergothérapie
-
Musicothérapie
-
Atelier d’écriture
-
Activités sportives…
Cet
hôpital permet de mieux répondre aux difficultés des jeunes présentant des
conduites addictives sévères. Les traitements proposés sont adaptés et
individualisés pour répondre de manière flexible aux besoins variables des
patients.
Le
recrutement est intersectoriel et les jeunes sont pris en charge à raison de 1
à 4 jours par semaine. Les situations sont réévaluées régulièrement, les
objectifs étant alors adaptés afin de rester dans une prise en charge
dynamique.
Enfin,
chez les patients présentant des comorbités, notamment sur le plan
psychiatrique, nous travaillons en réseau avec des partenaires médicaux, plus
spécialisés dans ces domaines, ce qui nous permet d’adapter la prise en charge
en fonction de l’évolution des symptômes.
C.M : Quels patients adolescents ou jeunes adultes confrontés à des
comportements addictifs pouvons-nous vous adresser ? En consultation, à
l’hôpital de jour ?
G.L : Le recrutement de l’hôpital de jour est intersectoriel. Ces prises en
charge sont destinées aux jeunes présentant des conduites addictives, âgés de
15 à 23 ans. Toutes les addictions sont concernées, à savoir :
- Addictions aux substances
psychoactives (cannabis, alcool, binge drinking, médicaments,
polyconsommations…)
- Addictions comportementales,
principalement aux jeux vidéos/internet
Toute prise en
charge en hôpital de jour nécessite au préalable une évaluation lors de
consultations spécialisées. Ces différentes consultations permettront d’évaluer
plus précisément la situation : addictologique, psychologique, sociale,
scolaire, professionnelle, judiciaire… Au décours de ce temps indispensable,
une prise en charge adaptée à la situation sera proposée par le médecin ayant
assuré ces consultations : les patients pourront ainsi être orientés sur
un suivi ambulatoire (consultations médicales, infirmières, psychologiques…) ou
en hôpital de jour.
L’hôpital de jour
se destine, comme précisé précédemment, à des patients présentant des
problématiques addictives sévères, et donc souvent accompagnées d’importantes
conséquences : isolement social, déscolarisation, marginalisation,
conflits familiaux majeurs… Dans ces cas, la sévérité des symptômes rend
souvent difficile l’investissement d’un suivi addictologique ambulatoire
« classique ». L’objectif est donc, pour ces jeunes, de pouvoir
investir l’hôpital de jour comme un espace de soins, d’accompagnement,
d’écoute, d’activités et de lien social.