samedi 2 novembre 2013

Voyage au pays de Min-Iren et des centres de santé : l'USMCS au Japon


 La Fédération Japonaise des Institutions Médicales et Démocratiques (Min-Iren) a fêté son 60ème anniversaire le 23 aout dernier à Tokyo. A cette occasion, ses dirigeants avaient invité des représentants d’autres organisations médicales internationales dont la Fédération Nationale de Formation Continue et d’Evaluation des Pratiques Professionnelles de Centres de Santé (FNFCEPPCS) et l’Union Syndicale des Médecins de Centres de Santé (USMCS) pour un travail d’analyses et d’échanges qui aura duré une semaine. Une semaine intense et riche d’enseignements. 

Quelques éléments sur l’assurance maladie au Japon
Au Japon, il existe depuis 1961 un système d’assurance maladie universelle. Toute personne résidant au Japon a obligation de s’affilier à un des trois régimes d’assurance maladie qui le composent en fonction de sa situation :
• Le régime d’assurance maladie des salariés financé par des cotisations partagées à parts égales entre les employeurs et les salariés. Il concerne  56% de la population. Il est géré par l’Etat pour les entreprises de 5 à 700 employés et par des sociétés d’assurance maladie privée (plus de 700 employés).
• Le régime public d’assurance maladie pour les  personnes de moins de 75 ans ne relevant pas d’un régime de salarié. Géré dans la majorité des cas (90% des assurés relevant de ce régime) par les municipalités, il est financé par les cotisations prélevées sur les revenus de l’assuré ou par l’impôt (90 % des autorités municipales ont opté pour la solution de l’impôt affecté)
• Le régime d’assurance maladie pour personnes âgées de plus de 75 ans (65 ans si l’intéressé présente un certain degré d’incapacité). Ce système est géré par les municipalités et a été mis en place en 2000. Toute personne résidant au Japon pendant au minimum 1 an, âgée de 40 ans ou plus, doit verser des cotisations en faveur du système d’assurance des soins de longue durée. Une partie du système est financée par ces cotisations. L’autre partie est financée par la fiscalité (nationale ou locale).
• Les deux régimes précédents concernent 34% de la population japonaise.
Les japonais doivent régler pour chaque acte médical, chaque soin, chaque prestation un reste à charge de 1 à 30% selon le type de la prestation, l’âge et les revenus (pour les patients de plus de 70 ans). Il est en moyenne de 20 à 30%. Une augmentation de ce reste à charge est programmée en 2013 par le gouvernement néolibéral japonais.

Démographie japonaise et démographie médicale japonaise, le contraste :
Le Japon compte une population de 127 368 088 habitants pour une densité de 339,7 habitants / km² sur l’ensemble du Japon en 2009 et de 1 523 habitants / km² en ne considérant que les zones habitables. Plus de 50 % de la population vit sur 2 % du pays.  

La démographie médicale est l’une des plus basses dans les pays développés : 184 médecins pour 100 000 habitants! Pour rappel elle est en France au 1er janvier 2013 de 299 médecins/100000 habitants (199 419 médecins en activité régulière).

L’espérance de vie y est de 81 ans pour les hommes, presque 88 ans pour les femmes (la plus élevée au monde).

Le système de soins japonais
Il repose sur la coexistence de 3 formes d’exercice médicale :
• La pratique ambulatoire solo en cabinet (environ 30% des médecins) : avec des particularités puisque le médecin est aussi propharmacien et en tire une part non négligeable de ses revenus (15%), le médecin généraliste, médecin traitant coordonnateur du parcours de soins n’existe pas au Japon. Les médecins ont une formation commune de type interniste qu’ils complètent par une ou plusieurs spécialités.
• L’hôpital (62% des médecins) : seulement 30% des lits sont en hôpital public. Il est à noter la place particulière, au regard d’autres pays développés, que tient l’hospitalisation au sein du système de soins japonais qui contrairement aux autres pays de l’OCDE, continue de s’élever au Japon.
Les « clinics » : forme intermédiaire entre hôpital et structure ambulatoire, elles sont gérées par des médecins ou des associations. Présentes sur tout le territoire, constituant quantitativement 85% des établissements de santé, elles ne représentant que 13% de l’offre d’hospitalisation au Japon. Elles évoluent en réduisant leurs activités d’hospitalisation et en développant l’offre de soins ambulatoires en particulier la chirurgie ambulatoire. Les « clinics » peuvent s’apparenter à nos centres de santé.


Histoire de Min-Iren
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le Japon  traverse une période de crise économique, sociale et sanitaire qui touche une majorité de la population : pauvreté, famine, chômage. Les conditions sanitaires se dégradent avec pour conséquence une augmentation considérable des maladies épidémiques.

C’est dans ce contexte que  s’est organisé un mouvement qui rassembla médecins, infirmières, citoyens. Fondé sur les valeurs de la solidarité et de la démocratie, il se donna pour objectif le développement d’une médecine sociale pour les travailleurs, les agriculteurs et tous les citoyens japonais. Min-Iren était ainsi créé officiellement en 1953, réunissant 117 hôpitaux et structures médico-sociales dans un regroupement fédératif à but non lucratif qui s’apparente par ses statuts à une association de type coopérative ou aux mutuelles à leur origine (voir le manifeste de 1961ci-après).  


Program of the Japan Federation of Democratic Medical Institutions (MIN-IREN)
(October 29, 1961)

Our hospitals and clinics are medical institutions for working people.

1. We provide medical care characterized by its quality and the kindness with which we treat our patients, and we participate in efforts to protect the lives and health of working people.
2. We always respect academic freedom, study the latest achievements of medicine, promote international exchanges, and endeavor constantly to improve and develop medical care.
3. We defend the livelihood and rights of the staff, work to democratize management, strengthen cooperation with the people of the community and in the workplace, and push ahead with the movement to protect health.
4. We struggle for the establishment of a comprehensive social security system with the State and capitalists bearing all costs, and to democratize the whole medical system.
5. We oppose war, which destroys lives and the health of humankind. In order to realize these goals, we build solidarity, work for a united medical front, and carry on activities in cooperation with all democratic forces which aim at independence, democracy, peace, neutrality and the improvement of living.

Min-Iren connut depuis 1953 un développement qui l’amena à intervenir sur une grande partie du territoire japonais avec une implantation importante dans les régions de Tokyo, Kyoto, Kobe, Osaka. Au fil de l’histoire de la deuxième moitié du 20ème siècle et de ce début de 21ème siècle, les équipes médicosociales de Min Iren sont intervenues lors des nombreuses catastrophes sanitaires qu’a connues le Japon :
• 1956, elles participèrent à l’identification de l’origine industrielle de l’intoxication mercurielle, cause de la maladie dite de Minamata qui a touché la population de la Baie du même nom. Min-Iren participa à la prise en charge des victimes et à leur combat pour leur reconnaissance par l’Etat japonais, à ce jour 15 000 victimes indemnisées, 25 000 en attente de reconnaissance… 
• En 1995, Min-Iren est avec ses équipes auprès des populations touchées par le tremblement de terre de Kobe (près de 6 500 morts, des dizaines de milliers de blessés).
• En mars 2011, les équipes de Min-Iren sont à pied d’œuvre pour secourir les populations touchées par le séisme et le tsunami à l’origine de 18 000 morts et disparus et de l’accident nucléaire de Fukushima (près de 200 000 personnes évacuées et aujourd’hui toujours déplacées d’un rayon de 30 km autour de la centrale).


Min Iren en 2013

• Min Iren en chiffres :
La Fédération Min-Iren gère aujourd’hui  des associations à l’exemple de l’association Toto à l’est de Tokyo ; elles gèrent plus de 1735 établissements : hospitaliers (155), « clinics » ( 600), médicosociaux (400), pharmacies (310) et de formation professionnelle dans le champ sanitaire et social ( plus de 300).
Le modèle économique de Min-Iren est original puisqu’il repose sur la mise en commun des recettes de toutes les activités du groupe auxquelles s’ajoute la contribution des 3 millions de « supporters ». Ainsi, si beaucoup des  activités d’hospitalisation et surtout médicosociales sont déficitaires, le réseau des pharmacies de Min-Iren, excédentaire, participe efficacement à l’équilibre de la fédération. Ce sont plus de 100 000 personnes, dont 3 500 médecins, 23 000 infirmières qui travaillent chaque jour dans les établissements de Min-Iren.

Dans l’offre de soins japonaise, Min-Iren a la charge de 1,5% du nombre de lits d’hospitalisation du Japon. Elle emploie près de 2% des médecins et infirmières du Japon. Chaque jour, 90 000 patients sont pris en charge par Min Iren dont 25 000 dans ses hôpitaux.
Min Iren, c’est aussi  près de 3 millions de « supporters », membres de la fédération, contribuant à ses activités, soit en participation directe dans un cadre coopératif  (via par exemple des associations de quartier) soit en les finançant par leurs dons.

• Des valeurs, un modèle de démocratie sanitaire, de formation et éducation populaire,  et médecine sociale :
La fédération Min-Iren est à but non lucratif. Elle porte avec ses équipes des valeurs de solidarité et milite pour un système social et sanitaire qui assure l’accès à la santé et aux soins de qualité pour tous les japonais. Dans un pays où le secteur privé lucratif est en pleine expansion y compris dans les hôpitaux publics et où l’assurance maladie laisse un reste à charge considérable aux usagers,  Min-Iren  a mis en place à travers les œuvres sociales qu’elle gère, les conditions d’une accessibilité sociale aux soins de qualité pour tous en contribuant par exemple à réduire parfois totalement la part du ticket modérateur à la charge des patients.
Elle a mis en œuvre un modèle sans doute unique dans les pays de l’OCDE de fonctionnement démocratique de ses institutions et de ses structures. Cela débute par la réalisation des structures sur des territoires, des quartiers, qui ne se fait que par la contribution directe et initiale des citoyens en réponse à leurs demandes et à leurs besoins. Cela se poursuit par la place donnée aux militants supporters présents à tous les niveaux de gouvernance de l’organisation et des structures.

Il faut souligner la place de la formation et de l’éducation populaire dans les missions de Min-Iren : politique active de formation médicale initiale par l’attribution de bourses d’études aux étudiants, internes en médecine, élèves infirmières qui font leur cursus dans leurs hôpitaux et écoles. En contrepartie, ces étudiants exercent dans les établissements de Min-Iren l’équivalent du nombre d’années d’études financées.
Min-Iren accueille aussi les étudiants étrangers du Viet Nam et de la Corée du sud en particulier dans le cadre d’une coopération qui s’enrichit un peu plus chaque année.
L’éducation populaire sanitaire et sociale est organisée par toutes les associations de quartiers affiliées à Min-Iren. Elle est une des traductions les plus significatives du modèle de démocratie sanitaire prôné par Min-Iren : il n’y pas d’exercice démocratique possible dans le champ sanitaire sans savoirs…

Enfin, le modèle démocratique et les valeurs portées par Min-Iren se traduisent par la promotion et la pratique d’une médecine sociale et globale centrée sur le patients et fondée sur l’échange coopératif soignant –usager.

•Pratiques  médicales  de Min-Iren : qualité, objectif « bien être »
La qualité du service à l’usager est une exigence pour toutes les équipes de Min-Iren. Elle est obtenue par un niveau de formation des soignants qui n’a rien à envier à celui des médecins et soignants français. Le niveau des équipements des établissements de Min-Iren est aussi impressionnant : par exemple un hôpital de proximité de Tokyo géré par l’association Toto assurant consultations externes et hospitalisation (médecine et chirurgie générale, 90 lits)  est équipé d’un scanner et d’une IRM.  
L’exercice médical salarié à la fonction des équipes de Min-Iren est garante de cette qualité. Il est fondé sur les pratiques d’équipe, coordonnée, dans un rapport non hiérarchisé avec le patient. Il est guidé par une exigence, permanente, celle du consentement éclairé et de l’alliance thérapeutique : les équipes de Min-Iren ont fait leur, le principe du  « patient  acteur de sa santé » et mieux, le mettent concrètement en œuvre.

Toutes les pratiques et l’organisation de la prise en charge des usagers des services de  Min-Iren sont sous-tendues par un seul objectif : la recherche du « bien être » des usagers, des patients en prenant en compte toutes les composantes qui impactent leur santé, sociales, professionnelles, familiales, environnementales… Un objectif décliné de façon originale mais tout à fait comparable aux objectifs portés par le mouvement des centres de santé français.

•Les clinics de Min-Iren et les centres de santé français : d’évidentes convergences
Min-Iren s’est approprié le modèle des clinics japonaises pour mieux les transformer en structures innovantes s’articulant, dans le cadre d’un service social et solidaire que l’on qualifierait de service public en France, entre l’hôpital et l’offre ambulatoire japonaise traditionnelle dont l’archaïsme n’a rien à envier à la médecine libérale  française.

Si les clinics de Min-Iren ont pour certaines d’entre elles encore des lits de courte hospitalisation, elles s’orientent aujourd’hui vers le développement d’une offre polyvalente, associant médecine de premiers recours (basée sur un médecin traitant coordonnateur des soins), chirurgie dentaire et services de soins infirmiers intervenant à domicile. Ces clinics ne diffèrent pas dans leur champ d’action ambulatoire du modèle des centres de santé français polyvalents. Elles en partagent les valeurs, les pratiques, les missions et les objectifs. Confrontées aux mêmes enjeux de santé publique que les centres de santé français (crise économique et sociale, vieillissement de la population, démographie médicale en baisse), elles ont adopté les mêmes modes d’organisation pour offrir l’accès aux soins de qualité pour tous.

•Min-Iren, une organisation militante à l’action politique nationale et internationale :
C’est d’abord un acteur qui intervient dans la vie politique japonaise et promeut un système de sécurité sociale plus solidaire dont la référence clairement affichée est la Sécurité sociale française de 1945.
Mais l’action de Min-Iren ne se limite pas au seul champ sanitaire et social. Elle inscrit son action dans le mouvement japonais et international pour la paix dans le monde et contre le nucléaire tant civil que militaire. Aujourd’hui, pour les membres de Min-Iren, après Hiroshima, Tchernobyl et Fukushima, la question de la pertinence du nucléaire ne se pose plus : il n’y pas d’autres choix pour eux que l’abandon total de technologies non maitrisées qui menacent l’humanité.

Conclusion : vers une Fédération Internationale des associations démocratique de médecine sociale…
Ces 7 jours passés avec les dirigeants de Min-Iren, les membres de leurs équipes hospitalières, de leurs établissements de formation, de leurs clinics, avec les « supporters » et les militants, mais aussi avec les élus progressistes qui les soutiennent ont fait naitre au décours de nos échanges le besoin partagé de rassembler au sein d’un mouvement identifié, d’une Fédération internationale par exemple, toutes les organisations et acteurs promoteurs d’une médecine sociale et humaniste dans le monde. Les dirigeants de Min-Iren et nous-mêmes nous sommes donnés l’horizon 2014/2015 pour créer ensemble cette organisation qui aura pour objectif la promotion des pratiques médicales globales et sociales, des projets de recherche communs, les échanges d’information, la formation des équipes… Une première étape à la construction de cette fédération est déjà fixée : cela sera la venue d’une délégation de Min-Iren au Congrès National des Centres de Santé en octobre 2014.

 

Dr Eric May