La Fédération Japonaise des Institutions Médicales et Démocratiques (Min-Iren) a fêté son 60ème anniversaire le 23 aout dernier à Tokyo. A cette occasion, ses dirigeants avaient invité des représentants d’autres organisations médicales internationales dont la Fédération Nationale de Formation Continue et d’Evaluation des Pratiques Professionnelles de Centres de Santé (FNFCEPPCS) et l’Union Syndicale des Médecins de Centres de Santé (USMCS) pour un travail d’analyses et d’échanges qui aura duré une semaine. Une semaine intense et riche d’enseignements.
Quelques
éléments sur l’assurance maladie au Japon
Au Japon, il existe depuis 1961 un système
d’assurance maladie universelle. Toute personne résidant au Japon a obligation
de s’affilier à un des trois régimes d’assurance maladie qui le composent en
fonction de sa situation :
• Le régime d’assurance
maladie des salariés financé par des cotisations partagées à parts égales
entre les employeurs et les salariés. Il concerne 56% de la population. Il est géré par l’Etat pour les
entreprises de 5 à 700 employés et par des sociétés d’assurance maladie privée
(plus de 700 employés).
• Le régime public
d’assurance maladie pour les
personnes de moins de 75 ans ne relevant pas d’un régime de salarié.
Géré dans la majorité des cas (90% des assurés relevant de ce régime) par les
municipalités, il est financé par les cotisations prélevées sur les revenus de
l’assuré ou par l’impôt (90 % des autorités municipales ont opté pour la
solution de l’impôt affecté)
• Le régime d’assurance
maladie pour personnes âgées de plus de 75 ans (65 ans si l’intéressé présente
un certain degré d’incapacité). Ce système est géré par les municipalités et a
été mis en place en 2000. Toute personne résidant au Japon pendant au minimum 1
an, âgée de 40 ans ou plus, doit verser des cotisations en faveur du système
d’assurance des soins de longue durée. Une partie du système est financée par
ces cotisations. L’autre partie est financée par la fiscalité (nationale ou
locale).
• Les deux régimes
précédents concernent 34% de la population japonaise.
Les japonais doivent régler pour chaque acte
médical, chaque soin, chaque prestation un reste à charge de 1 à 30% selon le
type de la prestation, l’âge et les revenus (pour les patients de plus de 70
ans). Il est en moyenne de 20 à 30%. Une augmentation de ce reste à charge est
programmée en 2013 par le gouvernement néolibéral japonais.
Démographie
japonaise et démographie médicale japonaise, le contraste :
Le
Japon compte une population de 127
368 088 habitants pour une densité de 339,7 habitants
/ km² sur l’ensemble du
Japon en 2009 et de 1 523 habitants
/ km² en ne considérant
que les zones habitables. Plus de 50 % de la population vit sur 2 %
du pays.
La démographie médicale est l’une des plus basses dans
les pays développés : 184 médecins pour 100 000 habitants! Pour
rappel elle est en France au 1er janvier 2013 de 299 médecins/100000
habitants (199 419 médecins en activité régulière).
L’espérance de vie y est de 81 ans pour les hommes,
presque 88 ans pour les femmes (la plus élevée au monde).
Le système
de soins japonais
Il repose sur la coexistence de 3 formes d’exercice
médicale :
• La pratique
ambulatoire solo en cabinet (environ 30% des médecins) : avec des
particularités puisque le médecin est aussi propharmacien et en tire une part
non négligeable de ses revenus (15%), le médecin généraliste, médecin traitant
coordonnateur du parcours de soins n’existe pas au Japon. Les médecins ont une
formation commune de type interniste qu’ils complètent par une ou plusieurs
spécialités.
• L’hôpital (62% des médecins) : seulement 30%
des lits sont en hôpital public. Il est à noter la place
particulière, au regard d’autres pays développés, que tient l’hospitalisation
au sein du système de soins japonais qui contrairement aux autres pays de
l’OCDE, continue de s’élever au Japon.
• Les
« clinics » : forme intermédiaire entre hôpital et structure
ambulatoire, elles sont gérées par des médecins ou des associations. Présentes
sur tout le territoire, constituant quantitativement 85% des établissements de
santé, elles ne représentant que 13% de l’offre d’hospitalisation au Japon.
Elles évoluent en réduisant leurs activités d’hospitalisation et en développant
l’offre de soins ambulatoires en particulier la chirurgie ambulatoire. Les « clinics » peuvent
s’apparenter à nos centres de santé.
Histoire de Min-Iren
Au lendemain de la seconde guerre
mondiale, le Japon traverse une
période de crise économique, sociale et sanitaire qui touche une majorité
de la population : pauvreté, famine, chômage. Les conditions sanitaires se
dégradent avec pour conséquence une augmentation considérable des maladies
épidémiques.
C’est dans ce contexte que s’est organisé un mouvement qui
rassembla médecins, infirmières, citoyens. Fondé sur les valeurs de la
solidarité et de la démocratie, il se donna pour objectif le développement
d’une médecine sociale pour les travailleurs, les agriculteurs et tous les citoyens
japonais. Min-Iren était ainsi créé officiellement en 1953, réunissant 117
hôpitaux et structures médico-sociales dans un regroupement fédératif à but non
lucratif qui s’apparente par ses statuts à une association de type coopérative
ou aux mutuelles à leur origine (voir le manifeste de 1961ci-après).
Program of the Japan Federation of Democratic Medical
Institutions (MIN-IREN)
(October 29, 1961)
Our hospitals and clinics are medical institutions for
working people.
1. We provide medical care characterized by its
quality and the kindness with which we treat our patients, and we participate
in efforts to protect the lives and health of working people.
2. We always respect academic freedom, study the
latest achievements of medicine, promote international exchanges, and endeavor
constantly to improve and develop medical care.
3. We defend the livelihood and rights of the staff,
work to democratize management, strengthen cooperation with the people of the
community and in the workplace, and push ahead with the movement to protect
health.
4. We struggle for the establishment of a
comprehensive social security system with the State and capitalists bearing all
costs, and to democratize the whole medical system.
5. We oppose war, which destroys lives and the health
of humankind. In order to realize these goals, we build solidarity, work for a
united medical front, and carry on activities in cooperation with all
democratic forces which aim at independence, democracy, peace, neutrality and
the improvement of living.
Min-Iren connut depuis 1953 un
développement qui l’amena à intervenir sur une grande partie du territoire
japonais avec une implantation importante dans les régions de Tokyo, Kyoto,
Kobe, Osaka. Au fil de l’histoire de la deuxième moitié du 20ème siècle
et de ce début de 21ème siècle, les équipes médicosociales de Min
Iren sont intervenues lors des nombreuses catastrophes sanitaires qu’a connues
le Japon :
• 1956, elles participèrent à
l’identification de l’origine industrielle de l’intoxication mercurielle, cause
de la maladie dite de Minamata qui a touché la population de la Baie du même
nom. Min-Iren participa à la prise en charge des victimes et à leur combat pour
leur reconnaissance par l’Etat japonais, à ce jour 15 000 victimes indemnisées,
25 000 en attente de reconnaissance…
• En 1995, Min-Iren est avec ses équipes
auprès des populations touchées par le tremblement de terre de Kobe (près de 6
500 morts, des dizaines de milliers de blessés).
• En mars 2011, les équipes de Min-Iren
sont à pied d’œuvre pour secourir les populations touchées par le séisme et le
tsunami à l’origine de 18 000 morts et disparus et de l’accident nucléaire de
Fukushima (près de 200 000 personnes évacuées et aujourd’hui toujours
déplacées d’un rayon de 30 km autour de la centrale).
Min Iren en 2013
• Min Iren en chiffres :
La Fédération
Min-Iren gère aujourd’hui des associations à l’exemple de l’association
Toto à l’est de Tokyo ; elles gèrent plus de 1735 établissements :
hospitaliers (155), « clinics » ( 600), médicosociaux (400),
pharmacies (310) et de formation professionnelle dans le champ sanitaire et
social ( plus de 300).
Le modèle économique
de Min-Iren est original puisqu’il repose sur la mise en commun des recettes de
toutes les activités du groupe auxquelles s’ajoute la contribution des 3
millions de « supporters ». Ainsi, si beaucoup des activités d’hospitalisation et surtout
médicosociales sont déficitaires, le réseau des pharmacies de Min-Iren, excédentaire,
participe efficacement à l’équilibre de la fédération. Ce sont plus de
100 000 personnes, dont 3 500 médecins, 23 000 infirmières qui travaillent
chaque jour dans les établissements de Min-Iren.
Dans l’offre de soins japonaise, Min-Iren a la charge de 1,5% du nombre
de lits d’hospitalisation du Japon. Elle emploie près de 2% des médecins et
infirmières du Japon. Chaque jour, 90 000 patients sont pris en charge par Min
Iren dont 25 000 dans ses hôpitaux.
Min Iren, c’est aussi près
de 3 millions de « supporters », membres de la fédération, contribuant
à ses activités, soit en participation directe dans un cadre coopératif (via par exemple des associations de
quartier) soit en les finançant par leurs dons.
• Des valeurs, un modèle de démocratie sanitaire, de formation
et éducation populaire, et médecine
sociale :
La fédération Min-Iren est à but non lucratif. Elle porte avec ses
équipes des valeurs de solidarité et milite pour un système social et sanitaire
qui assure l’accès à la santé et aux soins de qualité pour tous les japonais.
Dans un pays où le secteur privé lucratif est en pleine expansion y compris
dans les hôpitaux publics et où l’assurance maladie laisse un reste à charge
considérable aux usagers,
Min-Iren a mis en place à
travers les œuvres sociales qu’elle gère, les conditions d’une accessibilité
sociale aux soins de qualité pour tous en contribuant par exemple à réduire
parfois totalement la part du ticket modérateur à la charge des patients.
Elle a mis en œuvre un modèle sans doute unique dans les pays de l’OCDE
de fonctionnement démocratique de ses institutions et de ses structures. Cela
débute par la réalisation des structures sur des territoires, des quartiers,
qui ne se fait que par la contribution directe et initiale des citoyens en
réponse à leurs demandes et à leurs besoins. Cela se poursuit par la place
donnée aux militants supporters présents à tous les niveaux de gouvernance
de l’organisation et des structures.
Il faut souligner la place de
la formation et de l’éducation populaire dans les missions de Min-Iren : politique
active de formation médicale initiale par l’attribution de bourses d’études aux
étudiants, internes en médecine, élèves infirmières qui font leur cursus dans
leurs hôpitaux et écoles. En contrepartie, ces étudiants exercent dans les
établissements de Min-Iren l’équivalent du nombre d’années d’études financées.
Min-Iren
accueille aussi les étudiants étrangers du Viet Nam et de la Corée du sud en
particulier dans le cadre d’une coopération qui s’enrichit un peu plus chaque
année.
L’éducation
populaire sanitaire et sociale est organisée par toutes les associations de
quartiers affiliées à Min-Iren. Elle est une des traductions les plus
significatives du modèle de démocratie sanitaire prôné par Min-Iren : il n’y pas d’exercice démocratique possible
dans le champ sanitaire sans savoirs…
Enfin,
le modèle démocratique et les valeurs portées par Min-Iren se traduisent par la
promotion et la pratique d’une médecine sociale et globale centrée sur le
patients et fondée sur l’échange coopératif soignant –usager.
•Pratiques
médicales de Min-Iren :
qualité, objectif « bien être »
La qualité du service à l’usager est une exigence pour toutes les
équipes de Min-Iren. Elle est obtenue par un niveau de formation des soignants
qui n’a rien à envier à celui des médecins et soignants français. Le niveau des
équipements des établissements de Min-Iren est aussi impressionnant : par
exemple un hôpital de proximité de Tokyo géré par l’association Toto assurant
consultations externes et hospitalisation (médecine et chirurgie générale, 90
lits) est équipé d’un scanner et
d’une IRM.
L’exercice médical salarié à la fonction des équipes de Min-Iren est
garante de cette qualité. Il est fondé sur les pratiques d’équipe, coordonnée,
dans un rapport non hiérarchisé avec le patient. Il est guidé par une exigence,
permanente, celle du consentement éclairé et de l’alliance thérapeutique :
les équipes de Min-Iren ont fait leur, le principe du « patient
acteur de sa santé » et mieux, le mettent concrètement en œuvre.
Toutes les pratiques et l’organisation de la prise en charge des
usagers des services de Min-Iren
sont sous-tendues par un seul objectif : la recherche du « bien
être » des usagers, des patients en prenant en compte toutes les
composantes qui impactent leur santé, sociales, professionnelles, familiales,
environnementales… Un objectif décliné de façon originale mais tout à fait
comparable aux objectifs portés par le mouvement des centres de santé français.
•Les clinics de Min-Iren et les centres de santé
français : d’évidentes convergences
Min-Iren s’est approprié le modèle des clinics japonaises pour mieux
les transformer en structures innovantes s’articulant, dans le cadre d’un
service social et solidaire que l’on qualifierait de service public en France,
entre l’hôpital et l’offre ambulatoire japonaise traditionnelle dont
l’archaïsme n’a rien à envier à la médecine libérale française.
Si les clinics de Min-Iren ont pour certaines d’entre elles encore des
lits de courte hospitalisation, elles s’orientent aujourd’hui vers le
développement d’une offre polyvalente, associant médecine de premiers recours
(basée sur un médecin traitant coordonnateur des soins), chirurgie dentaire et
services de soins infirmiers intervenant à domicile. Ces clinics ne diffèrent
pas dans leur champ d’action ambulatoire du modèle des centres de santé
français polyvalents. Elles en partagent les valeurs, les pratiques, les
missions et les objectifs. Confrontées aux mêmes enjeux de santé publique que
les centres de santé français (crise économique et sociale, vieillissement de
la population, démographie médicale en baisse), elles ont adopté les mêmes
modes d’organisation pour offrir l’accès aux soins de qualité pour tous.
•Min-Iren, une organisation militante à l’action politique
nationale et internationale :
C’est d’abord un acteur qui intervient dans la vie politique japonaise
et promeut un système de sécurité sociale plus solidaire dont la référence
clairement affichée est la Sécurité sociale française de 1945.
Mais l’action de Min-Iren ne se limite pas au seul champ sanitaire et
social. Elle inscrit son action dans le mouvement japonais et international
pour la paix dans le monde et contre le nucléaire tant civil que militaire.
Aujourd’hui, pour les membres de Min-Iren, après Hiroshima, Tchernobyl et Fukushima,
la question de la pertinence du nucléaire ne se pose plus : il n’y pas
d’autres choix pour eux que l’abandon total de technologies non maitrisées qui
menacent l’humanité.
Conclusion : vers une
Fédération Internationale des associations démocratique de médecine sociale…
Ces 7 jours passés avec les dirigeants de Min-Iren, les membres de
leurs équipes hospitalières, de leurs établissements de formation, de leurs
clinics, avec les « supporters » et les militants, mais aussi avec
les élus progressistes qui les soutiennent ont fait naitre au décours de nos
échanges le besoin partagé de rassembler au sein d’un mouvement identifié,
d’une Fédération internationale par exemple, toutes les organisations et
acteurs promoteurs d’une médecine sociale et humaniste dans le monde. Les
dirigeants de Min-Iren et nous-mêmes nous sommes donnés l’horizon 2014/2015
pour créer ensemble cette organisation qui aura pour objectif la promotion des
pratiques médicales globales et sociales, des projets de recherche communs, les
échanges d’information, la formation des équipes… Une première étape à la
construction de cette fédération est déjà fixée : cela sera la venue d’une
délégation de Min-Iren au Congrès National des Centres de Santé en octobre
2014.