jeudi 31 mai 2012

Journée mondiale sans tabac : Interview du docteur Osman, directeur de l'OFT


La journée mondiale sans tabac, 31 mai 2012, les enjeux.
A l’occasion de la journée mondiale sans tabac, Claire Meignan, médecin tabacologue en centre de santé et à l’Institut Gustave Roussy a questionné le docteur Joseph Osman, directeur de l’Office Français deprévention du Tabagisme (OFT)

1. Mr Joseph Osman, vous êtes directeur de l’OFT (Office français de prévention du tabagisme). Pouvez-vous nous rappeler en quelques chiffres les effets du tabagisme sur la santé (morbi-mortalité), en France, dans le monde ? 
Votre question tombe à pic. Les derniers chiffres officiels de la mortalité liée à la consommation de tabac en France sont tombés au mois d’avril, au beau milieu de la campagne électorale et c’est pourquoi malheureusement on en a peu fait la publicité jusque là auprès du grand public. Ces chiffres sont extrêmement préoccupants. En France, nous sommes passés en moins de vingt ans de 60 000 morts directement dus au tabagisme à 73 000. C’est sensiblement 21 fois plus que les décès sur la route. C’est de loin la première cause de mortalité évitable dans notre pays. Les jeunes fument de plus en plus tôt, dès 12/13 ans, les filles plus que les garçons à 16/17 ans et l’explosion du tabagisme féminin depuis la fin des années 60 et le début des années 70 explique que la mortalité tabagique féminine est passée dans le même temps de 3000 à 14 000 décès ! Le tabac tue un Français toutes les 7 minutes, un Européen toutes les 20 secondes et un être humain toutes les 6 secondes. Un fumeur sur deux meurt prématurément de son tabagisme. Un décès sur dix, en France, est lié à une consommation tabagique régulière.
Mais il faut aussi avoir à l’esprit que quand il ne tue pas, le tabac peut aussi engendrer de terribles maladies, notamment pulmonaires et des handicaps lourds. Ces handicaps sont parfois difficilement réversibles et concernent des millions de personnes.
2. L’OMS (Organisation Mondiale  de la Santé) a créé la journée mondiale sans tabac  en 1987. Elle est fixée au 31 Mai de chaque année. Le thème de 2012 en est : « L’ingérence de l’industrie du tabac ». Pourquoi ce sujet ? Cette industrie freine-t-elle les politiques de santé publique des gouvernements ? Comment ?
Les intérêts commerciaux de l’industrie du tabac sont en totale contradiction avec les impératifs de santé publique. 173 pays se sont engagés à ce jour dans le cadre d’une convention internationale mise en œuvre par l’OMS à ne pas faire le jeu de cette industrie qui véhicule par un marketing élaboré, insidieux et cynique, au mépris de la vie, la maladie tabagique, comme le moustique véhicule le paludisme.

Si les produits du tabac voyaient le jour aujourd’hui, ils seraient interdits à la vente.
L’industrie du tabac a connu son développement à un moment où les effets nocifs du tabagisme sur la santé étaient encore peu ou mal connus, ce qui lui a permis d’échapper à la vigilance des organismes de contrôle jusqu’au début des années soixante. Le mal était alors fait.
Aujourd’hui, alors que les méfaits du tabac sont clairement démontrés, des intérêts financiers opaques s’opposent aux principes édictés par l’OMS, avec souvent la complicité des états eux-mêmes, qui n’appliquent pas systématiquement les principes auxquels ils se sont engagés.
Cette industrie parvient à remettre en cause les données scientifiques indiscutables en bénéficiant de complicités au plus haut niveau.  
En 2003, Jacques Chirac avait décidé de fermer la porte aux lobbies du tabac ; le tabagisme avait alors décru de près de 35 % grâce à une augmentation des prix des cigarettes en un peu plus d’un an de près de 40 %. Son successeur a choisi d’autres orientations et les diverses augmentations des prix ont toujours été symboliques, trop faibles pour avoir un impact sur la santé public. L’industrie du tabac a continué à s’enrichir au détriment de la santé des fumeurs.

3. Alors qu’en France, une nouvelle équipe gouvernementale est constituée, quelles principales décisions en matière de lutte contre le tabagisme et ses conséquences, l’OFT souhaiterait voir prises ?
Justement, l’OFT souhaiterait que les nouvelles autorités politiques appliquent les points sur lesquels le pays qu’elles représentent s’est engagés, qu’elles écoutent plus attentivement les associations qui luttent contre les méfaits du tabac, qu’elles les soutiennent et les suivent, qu’elles consacrent plus d’argent à la prévention auprès des jeunes et fixent comme c’est déjà le cas en Australie ou en Finlande un objectif zéro tabac à l’horizon 2040.
A partir d’un certain point, le tabagisme est une maladie chronique qu’on peut combattre efficacement grâce aux substituts nicotiniques, à quelques molécules efficaces et des techniques de nature psychologique, mais c’est aussi une maladie récidivante qui exige des efforts de tous les instants pour être combattue, en attendant l’arrivée peut-être un jour d’un traitement qui permettra d’y mettre fin définitivement sans traumatisme.