Direction des Centres de santé:
médecin directeur ? direction administrative ? binôme ?
Interview du Docteur Pierre
Etienne Manuellan, médecin directeur des Centres municipaux de Santé de
Montreuil
Les missions diverses des centres de santé,
les équipes de professionnels qui
les composent, la connaissance des
textes réglementaires, la gestion budgétaire, la prise en compte des tutelles,
autant d'impératifs qui justifient une direction pertinente, compétente et
efficace pour chaque centre de santé, qu'en penses-tu ?
Il est clair que
la direction d’un centre de santé nécessite de plus en plus de connaissances
pointues comme tu le dis médicales, législatives et règlementaires, financières, et j’ajouterai humaines et techniques.
Depuis plus d’une
dizaine d’années, les évolutions sont très nombreuses, et même incessantes !
-l’accord national
et ses récentes déclinaisons
-la mise en place
de Sesam Vital, de la CCAM, de l’informatisation du dossier médical, la gestion
des systèmes d’informations
-la mise en place
des ARS, et son cortège règlementaire (projet de santé, règlement intérieur),
et les modes de financements des appels à projets pour les actions de santé publique,
Il faut suivre au
quotidien, se former en permanence, réagir aux modifications techniques, …
Et il faut assurer
le cœur du métier, la coordination des équipes. On ne chôme pas !!
Vu les différents rôles - tu viens de les
rappeler- que doit jouer cette direction, penses-tu essentiel que celle-ci soit
composée d'un binôme médical et administratif?
Historiquement,
les centres de santé ont été dirigés par un médecin chef, on dit médecin
directeur maintenant, secondé par une direction administrative. Ce n’est pas un
hasard !
Les médecins, nous
sommes formés en milieu hospitalier (même si maintenant les stages en
ambulatoire sont obligatoires, ce qui est une excellente chose), nous apprenons
essentiellement à diagnostiquer et à soigner. Peu à gérer des équipes, des
finances, des projets, peu à prévenir…
Or un centre de
santé est un lieu de soins, mais aussi un lieu de prévention, dans lequel il
faut gérer des équipes, un budget, … Des tâches auxquelles nous ne sommes pas
préparés en sortant de l’Université !
Et puis, il y a la
question fondamentale du système d’information (SI) qui est devenu un outil
indispensable pour ‘piloter’ dans de bonnes conditions. Il ne peut pas, il ne
doit pas être dans les uniques mains des techniciens informatiques. Depuis leur
mise en place, j’ai toujours dit qu’il fallait un équivalent des DIM des
hôpitaux dans les CMS (Département de l’Information Médicale, dirigé par un
médecin). Je suis convaincu que les données du SI doivent être analysées et
restituées par les professionnels de santé sauf à être aveugle sur ce qui se
passe !
Personne, à mon
avis, ne peut avoir l’ensemble des compétences de métiers aussi variées !
D’où la nécessité d‘une
équipe de direction (je dirai un collectif) aux compétences complémentaires et
qui travaille en complémentarité.
Dans certains centres les deux termes de ce
binôme sont équivalents hiérarchiquement, dans d'autres le médical est
prééminent. Quoiqu'il en soit, quels sont, selon toi, les champs spécifiques de
chacun des membres de ce duo et quels sont leurs champs communs de
préoccupations?
Ah !! Si l’on est d’accord sur la nécessité
du binôme, la question de la hiérarchie arrive de suite !Je prends toujours
l’exemple d’un code CCAM : c’est une information à la fois médicale
couverte pas le secret médicale, administrative et financière. Qui et comment
on la gère ?!!
La gestion d’un planning
des secrétaires médicales par exemple doit être en lien avec le médical, le
type de consultation, le type de praticien… Il y a plein d’exemple où au
quotidien, il faut avoir la double vision, voir la triple…
Complémentarité,
partage de l’information sont absolument indispensables pour assurer un bon
fonctionnement.
Le positionnement
hiérarchique est certes important, mais à mon avis, il ne doit pas prendre le
pas, dans la gestion au quotidien. La complémentarité et le partage me semblent
le plus important. Chacun doit « nourrir » l’autre, chacun doit
partager ses compétences avec l’autre.
C’est peut être
une vision idéaliste, car on me pose toujours la question, « et en cas de
désaccord, qui tranche» ?? Je
t ‘avoue que je ne me suis jamais retrouvé dans une situation de
confrontation insoluble. D’ailleurs, la confrontation des positionnements me
semble une source d’évolution, mais c’est vrai que cela dépend beaucoup des
individus… Il peut arriver que l’on se marche sur les pieds… Il faut avoir ‘envie’ de partager, être
humble dans ses capacités, ses connaissances, et ouvert sur des domaines que l’on ne maitrise pas! J’apprends
tous les jours dans des domaines parfois très éloignés de la médecine. Mais, pour
moi, ce qui prime par-dessus tout, c’est l’intérêt du patient dans sa globalité.
En particulier ne crois-tu pas qu'un
médecin directeur est indispensable à la tête d'un centre de santé, afin que
cette direction soit entendue des professionnels soignants, qu'elle porte
efficacement les projets de soins, qu'elle élabore les initiatives de santé
publique et aussi qu'elle soit un interlocuteur respecté des tutelles ?
Un médecin est
absolument indispensable, d’abord parce qu’un CdS est un lieu de santé !
Et puis, il y a la question de la légitimité vis à vis des équipes soignantes.
Ca va faire grincer des dents, je reste convaincu que seul un professionnel de
santé peut avoir autorité sur un autre professionnel de santé. On parle santé
en premier, et après des conséquences administratives et financières. Ce n’est
pas tant une question de pouvoir que de sens des priorités et de l’action.
Les promoteurs des centres de santé peuvent
changer d'orientation ou de couleurs politiques. Dans certains de ces cas
l'existence du centre de santé peut-être remise en cause en totalité ou partie.
Dans ces cas regrettables, le médecin directeur ne représente-t-il pas une des
meilleures garanties pour défendre les intérêts en matière de santé des
populations locales? Peux tu préciser pourquoi il peut-être un des meilleurs
défenseurs du centre de santé qu'il dirige?
Je le
croyais…. Jusqu’à le vivre… pour y perdre mes illusions…. Cela a été et reste
une expérience douloureuse… Ceci dit, d’autres ont réussi ! Comme médecin
directeur, tu connais le terrain, la population qui fréquente le centre, les
besoins du territoire, les projets en cours. Si ton supérieur hiérarchique ne
partage pas le constat et que tu n’arrives pas à le convaincre, au point qu’il
t’entrave dans ton action… tu prends tes dispositions…
Enfin, au travers de tes expériences
personnelles et de ton parcours, quels sont les points importants qui militent
pour la nécessité d'un médecin directeur, plutôt que simplement coordinateur?
Dans mon parcours,
j’ai croisé la situation de plusieurs médecins coordinateurs.
Beaucoup d’échecs,
à cause justement du positionnement des priorités…
Propos recueillis par Alain
Brémaud