Le 6 Décembre
2012, le Grand Conseil de la Mutualité des Bouches du Rhône licenciait 39
médecins généralistes exerçant dans les 11 centres de santé mutualistes :
ceux-ci refusaient de transformer leur contrat à la fonction en un contrat à
l’acte et la médecine sociale en une pratique vouée aux ambitions
assurancielles de la Mutualité. (voir article 02/2015)
L’USMCS qui a
soutenu les médecins licenciés et leur combat pendant deux ans, continue de
s’intéresser aux conséquences de cette casse programmée et assumée.
Revue générale
donc….
1.
Je
ne reviendrai pas sur les situations
individuelles des médecins généralistes licenciés : retraite, exercice
libéral, réorientation et formation, tous ceux qui ont repris une activité
l’ont fait en équipe et en pratiquant le tiers payant sécurité sociale. Pour
information syndicale, les indemnités ont été versées aux 3/5 et les procédures
prudhommales de réparation s’éternisent de renvois en appels dont les dates ne
sont pas encore fixées le plus souvent.
2.
La
situation du GCM :
*extraits
d’une lettre du directeur général , monsieur Fréminet, adressée aux salariés du
GCM le 6 Juillet 2015 :
« La dynamique de redressement que
nous avons tous ensemble fait naître dans l’entreprise nous a permis de
mobiliser largement autour d’elle : collectivités territoriales, élus locaux,
partenaires mutualistes, habitants et usagers de nos centres… »
Et
de terminer cette missive par un
« Bel été à toutes et
tous ».
Extrait
d’un entretien de monsieur Marc Becker, Président du GCM le 15/10/2015 au
Journal La Marseillaise :
« …
dans 3 mois on sera en cessation de
paiement. »
Le
27/10, Marc Becker, encore :
« La dette à rembourser sur 10 ans est devenue
insoutenable ( 13 millions)…elle est en cause, mais pas uniquement, la
réduction du chiffre d’affaire passé de 85 à 40 millions d’Euros ».
La
« dynamique de redressement »
dont parle le Directeur du GCM fait référence à
l’engagement de Marisol Touraine et Michel SAPIN de valider une remise de 50%
des dettes publiques rémissibles du GCM (cotisations sociales , taxes sur les
salaires).
Et
puisque l’état montrait « l’exemple »,
le GCM engageait une action devant le TGI pour « restructurer la dette », c'est-à-dire demander au Tribunal
l’abandon par les créanciers de 85% de leurs créances contre paiement immédiat de 15% de la dette ou, variante : abandon de 50% et paiement du
solde à partir de 2020…
Deux audiences ont eu
lieu. Nouvelle audience le
27/01/2016.
D’ ores et déjà, on peut
dresser un bilan de cette tentative de renflouement financier par
effacement des dettes sociales (l’état)
ou réduction des créances privées,
soit 13 millions en tout.
Le ministère a confirmé 1.5
Millions de subvention immédiate et 50% de la dette sociale.
Le rééchelonnement de la
dette privée reste à valider par le TGI de Marseille.
Certain personnage proche du
Dossier comme le rapporte La Marseillaise du 27/10/2015… n’a pu s’empêcher
d’éructer anonymement contre les Médecins salariés : « quand on se targue du social il faut aller
jusqu’au bout, mais pas à géométrie variable…» et la journaliste de rajouter malignement que les médecins
« partis » avaient généré
de fortes indemnités de licenciement (qui à ce jour ont été versés pour 3
annuités sur 5)… Satané Code du Travail ! Pour compléter le florilège, madame Cathy Pinatel, de la CGT
, ne « comprend pas comment on
en est arrivé là » ( c'est-à-dire la menace de cessation de paiement)
… le GCM a passé les médecins à l’acte et
beaucoup sont partis… ». Pour info chère Camarade, les médecins ont
été LICENCIES : c’est un vilain mot mais c’est celui qui s’applique à
cette histoire et qui explique pour une bonne partie la situation qu’elle ne comprend toujours pas. La réduction
du Chiffre d’affaire en est évidemment une des conséquences, la masse salariale
restant conséquente.
Quelques
enseignements à tirer :
- Trois Millions
d’Euros accordés par l’état au GCM : c’est le prix à payer par l’état pour
sauver les centres du GCM et les emplois. Sans compter le rééchelonnement et la
réduction des créances privées sur les 10 millions restant. Il s’agît d’éviter
une « catastrophe sanitaire et
sociale » imminente. C’est oublier que la catastrophe sanitaire a déjà
eu lieu, mais amortie par la réactivité des médecins licenciés qui ont souvent
repris du service dans des structures libérales. Les Centres restent certes
utiles mais sont dans un état de détérioration fonctionnelle ( peu de MG) et
sociale. Ces apports financiers reposent sur la qualité du travail collectif médical
et social accomplis depuis 50 ans, et usurpé depuis 3 ans. Le GCM s’appuie sur
la réputation acquise sur les bases de notre projet médical, du temps où il
était aussi et encore mutualiste.
- Certains
utilisent les médecins LICENCIES comme bouc émissaire des
difficultés et des échecs patents de leur stratégie, quand la menace de
cessation de paiement réapparaît. Ceux-ci resteront dignes et se contenteront
de rappeler que ce qu’ils avaient prédit se réalise malheureusement :
perte des repères politiques, recrutement médical difficile et insuffisant,
production sanitaire quantitative en chute. Et la population reste très en
colère contre le GCM. La stratégie engagée il y a 3 ans a produit la pénurie et
la casse de la médecine sociale. Il n’y a plus que les emplois à sauver.
3.
Les projets de médecine sociale initiés
par les médecins licenciés du GCM.
Le
Centre de consultations, porté par le CH de Martigues et l’agglomération
Martigues, Port de Bouc, Saint Mitre, a ouvert en Juin 2015 avec 2 généralistes.
Ce n’est finalement pas un CS, c’est une réponse concertée de premier recours
entre les élus locaux (mairie, agglomération), ARS, médecins et Centre hospitalier. Il connaît, dans ce
territoire touché par la crise de démographie médicale aggravée par le
désengagement mutualiste une fréquentation importante par la population. Il
faudra attendre la première année
pour évaluer l’avenir de cette structure.
Le
projet de centre de Santé des
Quartiers Nord semble bouclé, dans le cadre d’un portage par l’Hôpital Edouard
Toulouse, validé par l’ARS. Le démarrage était espéré cet Automne ; le permis de construire n’est pas encore
délivré ce qui semble repousser l’ouverture dans le cours de l’année 2016… On
attend avec impatience son ouverture, symbole de l’engagement et la pugnacité
de quatre médecins issus du GCM.
Le
principal enseignement de ces tentatives de création de CS, c’est que les partenaires privés ou publics se font
rares et discrets ; La Mutualité a abandonné le terrain social ; Les
collectivités se sont vues refiler par l’Etat Central le mistigri des dépenses
publiques et sociales ; ils ne s’aventurent plus sur des projets
innovants, se contentant de contribuer à réduire la crise quantitative et la
désertification de la médecine générale, sans trop se pencher sur les contenus.
Ces
problématiques ont été illustrées par le très bon documentaire de Y. Guéret diffusé le 19/10/2015 par FR3 sur les inégalités sanitaires en France.
Il
aborde la problématique de la désertification par un exemple puisé dans le
centre de la France : Un maire se démène pour recruter un médecin
généraliste. Après avoir rejeté une candidature roumaine, une jeune praticienne
se présente. Elle exprimera une exigence incontournable : ne pas
travailler seule. La médecine d’équipe oui, la médecine sociale : plus
guère. La campagne contre le TPG souligne ce divorce : peu de médecins
motivés par la médecine sociale, plus de partenaire politique ou territoriaux.
L’hôpital serait donc le dernier partenariat disponible ?
Ce
même documentaire ne cite pas les centres de santé et ignore la seule structure
dont la raison d’être est la lutte contre les inégalités sanitaires!
C’est
là que nous rejoignons les BDR et l’histoire des CS mutualistes.
Un
large développement est consacré à l’action de l’APCME (…). Marc Andéol qui fut
le cartographe et le coordinateur, aux côtés du Dr Gilbert Igonet, du
développement du travail sur la santé et l’environnement professionnel au sein de la mutualité des BDR de 1976
aux années 2000, puis comme coordonnateur de l’APCME qui a pérennisé ce travail
dans un contexte associatif. Un travail de 40 ans. L’intervention de Marc
Andéol est lumineuse et décrit parfaitement les carences et déviances du
système qui ne permet pas à la sécurité sociale d’avoir les bons chiffres et le
bon diagnostic. L’impuissance d’une responsable de la CNAMTS n’en est que plus
pathétique : d’un côté le travail concret et la pauvreté de moyens qui a
permis d’assainir dans les BDR de nombreuses situations à risque dans les
usines, et de l’autre l’impuissance opulente du cadre de la sécu qui n’en peut
mais de modifier les impasses statistiques et diagnostiques de son
administration…
On
peut cependant déplorer qu’il
n’apparaît pas clairement que les 25 premières années de ce travail concret
s’est effectué dans le cadre de la Mutualité, celle là même qui en 2012 a sabordé la médecine sociale, et que ce
sont des médecins de centres de santé qui ont participé à cette
innovation : CS où se côtoyaient MG, spécialistes, élus ouvriers, avec un
plateau technique, à l’époque performant, et une rémunération à la fonction.
Je
garde la conviction que le Centre de Santé mutualiste était ce lieu où
médecins, population et élus pouvaient construire ce modèle d’intervention sur
la santé et l’environnement. Il eut été bon de le rappeler dans ce
documentaire.
4.
Le centre de santé CCAS de Manosque.
Quelques
nouvelles du Centre de santé CCAS de Manosque : dans le contexte allégué
d’uniformisation des statuts et de transfert de gestion à la Mutuelle d’action
sociale du 04/05, la CCAS a
appliqué les potions salariales bien connues dans les Bouches du Rhône :
passage à l’acte et remaniement du statut. Résultat : départ de 3 médecins
en rupture conventionnelle, licenciement de 7 praticiens sur un ensemble de 12
(2 vacataires ont accepté). Audience prud’hommale fin Novembre 2015. On ne
doute pas du recrutement que ces nouveaux statuts vont favoriser…
On
peut constater que le
GCM, en menace de cessation de paiement s’était bel et bien engagé dans une stratégie perdante. L’octroi de subvention dans cette
situation désespérée ne change rien à cela, même si il change le plomb en or.
Les
CS mutualistes ne sont plus à l’évidence ce qu’ils furent. Les personnels,
souvent démoralisés, et découragés par les stratégies fluctuantes et la valse
des cadres continuent, sans repère de politique sanitaire lisible, à espérer
sauver leur emploi. Le projet sanitaire a laissé place à la chasse aux
subventions qui viennent tenter de colmater les brèches financières accumulées.
Les
médecins licenciés du GCM éprouve quand même une certaine amertume quand ils
constatent les moyens considérables accordés à cette entreprise au moment où
elle n’est plus en mesure d’assumer les missions sanitaires, faute de projet
social clair et faute de recrutement sur les bases du statut qui est proposé.
N’aurait
il pas été plus pertinent d’accorder ces moyens quand des professionnels
étaient prêts à relever le défi au lieu de les stigmatiser? Le pouvoir
politique, l’ARS et le GCM ont
joué une partition qui n’a rien à voir ni avec l’intérêt des salariés, ni avec
celui de la population à qui il coûtera, pour fréquenter des structures
déclassées, 3 millions d’euros supplémentaires.
Les
médecins qui ont poursuivi une activité après leur licenciement, et créé dans
l’urgence des cabinets de groupe peuvent témoigner que les patients, et la
population ne sont pas dupes des discours qui tordent la vérité et stigmatisent
des médecins qui n’ont eu que le tort de décrire les impasses dans laquelle la
Mutualité des Bouches du Rhône s’est engagée.
Gérard Israël