A Colombes on a opté pour
la mort brutale. A Drancy c’est la deuxième méthode qui a été choisie par la
municipalité.
Il y a longtemps, dans
l’immédiat après guerre, les banlieues ouvrières, qui s’appelaient la ceinture rouge,
n’attiraient guère les médecins libéraux. On ne les appelait pas des déserts
médicaux mais cela y ressemblait drôlement. En ce temps là, en s’appuyant sur
des médecins militants issus de la résistance, les municipalités communistes,
décidèrent d’organiser les soins
en créant les centres municipaux de santé. Une santé de qualité pour
tous, disaient-ils déjà. A Drancy,
sous la houlette du Dr Georges Godier et sa célèbre moustache à la Brassens, se
créa, s’agrandit, se modernisa le centre de santé de la ville.
Un centre principal en centre ville et 3
annexes situées au cœur des cités.
Dans le
centre principal : des généralistes,
les spécialistes, de la radiologie, du laboratoire.
Dans
les annexe : 2 généralistes (1 homme, 1 femme) assurant en alternance la
consultation de médecine générale et quelques consultations de spécialistes (toujours de la
gynécologie) variant d’un centre à
l’autre en fonctions des besoins locaux, ainsi que du laboratoire tous les jours.
Très
fréquentés par les drancéens de toutes origines sociales les centres semblaient
inscrits à tout jamais dans la ville.
Aux municipales de 2001, changement d’orientation
politique de la ville…
la
lente descente des centres de santé va commencer. Sans jamais le dire ouvertement
(encore moins l’écrire), l’objectif est de réduire à peau de chagrin l’héritage
encombrant de la municipalité précédente que représente les centres de santé au
« profit » de l’exercice libéral et ainsi dégager la municipalité de
la charge financière de la santé.
Préoccupations
idéologiques, préoccupations financières…Difficile de dire… probablement les
deux. Mais aussi peut-être, plaire au secteur libéral (qui ne demande plus
depuis longtemps la suppression des CMS), et rendre encore plus difficile
l’accès aux soins pour les populations
défavorisées….. en espérant que celles ci quittent la ville.
Le
choix de la stratégie lente a été fait pour ne pas heurter les administrés qui
fréquentent de manière importante les CMS, d’autant que le secteur libéral qui ne
pourrait avaler le surplus de patientèle. Cela laisse, de plus, le temps
d’organiser une alternative … La création d’une Maison de Santé libérale
sur laquelle je reviendrai plus tard…
Etait-ce déjà pensé, planifié ?
Le scénario
était-il déjà entièrement écrit ou s’est-il élaboré au fur et à mesure ?
L’objectif
était toutefois clair : faire dysfonctionner la structure de telle sorte
que sa fermeture deviendra une évidence et sera acceptée. Cette stratégie n’est
pas très originale mais bigrement efficace. Le timing dépendant de trop de
facteurs n’a probablement pas été programmé et doit répondre à un impératif… Ne
pas faire trop de vagues… ne pas attirer l’attention avec une mesure brutale… Ne
pas ternir son image médiatique.
La pièce peut commencer.
1er ACTE. Tout d’abord décapiter la structure. Le
médecin directeur est « remercié », et remplacé par un médecin libéral de la ville connu pour son
hostilité envers les centres de santé.
Corollaire
de son arrivée, le cortège des départs volontaires des professionnels ne
voulant pas collaborer avec ce
médecin et se sachant directement menacés dans leur exercice ; certains
sont restés par fatalisme ou inertie, d’autres sont restés pour résister, pour les patients, pour tenter d’éviter
que ce qui avait été construit ne soit pas détruit …
2ème ACTE. La municipalité commandite une étude sur
l’offre de soins sur la ville. Elle s’appelle RIR sans E. En effet elle ne nous
fait pas rire. Elle a pour objectif de montrer que la création d’une maison
médicale libérale est pertinente et répond à des besoins. Cette étude a juste « oublié » de
comptabiliser l’offre de soins des CMS sur la ville… Un détail en somme.
3ème ACTE. Tout
le monde sait que la vitalité d’un centre repose sur la qualité de la médecine
générale. C’est donc par cela que va commencer la lente désagrégation des
centres.
Réductions
des heures, déplacements et nouvelles répartitions des généralistes dans les
différents centres et en particulier destruction des duos de généralistes dans
les annexes. Du duo de généralistes de départ on en arrive à avoir 3, 4, et
même 5 généralistes différents dans les annexes. Conséquence pour les
professionnels : peu d’heures de consultation dans un même endroit et un
éparpillement et conséquences pour
les patients, ne jamais pouvoir voir le même médecin d’où une discontinuité de
la prise en charge.
Au fur
et à mesure des départs à la retraite des « vieux » médecins
plein temps, la direction engage à la place 3, 4 médecins à temps très partiel
(en général pas plus de 10h de consultation pour chacun), sans perspectives
d’en avoir plus.
De 8
généralistes, à plein temps pour la plupart, en 2002, on est passé en 2015 à 15
généralistes à temps très partiels
pour la majorité d’entre eux.
Des
dires mêmes (et non des écrits
malheureusement) du directeur
« je ne veux pas de médecins s’investissant dans les CMS »… Bizarre
pour un chef de service.
Cette
désorganisation correspondait certes à l’objectif initial mais aussi à une
vision idéologique du rôle des centres de santé : Les patients fréquentant
les centres de santé ne sont pas attachés à leur médecins, les centres de santé
n’ont pour rôle que de recevoir les patients n’ayant pu être pris en charge par
la médecine libérale, les visites à domicile ne font pas partie du rôle des
médecins des CMS, etc...
4ème ACTE. On ferme pour, un oui pour un non, les
annexes. Tous les prétextes sont bons : les ponts, les vacances, les jours
du Maire, etc... Avec toujours les mêmes explications… On aurait bien voulu
mais les médecins ont trop de vacances, ont un statut trop protecteur, ne
veulent pas travailler à ces moments là, on ne trouve plus… En fait, à aucun
moment on ne cherche à trouver des solutions, qui existent puisque rien n’a
changé depuis le temps où les annexes n’étaient jamais fermées. Le piège se
referme, plus l’offre est réduite plus cela dysfonctionne. Et là haut on se
frotte les mains.
5ème ACTE. Une des caractéristiques dans l’histoire
des Centres de santé est la volonté d’intégrer toutes les dimensions de la
médecine, de la santé, les soins de qualité mais aussi les actions de
prévention. D’emblée il a été dit
que tout cela c’était fini. Plus d’interventions dans les collèges autour de
thèmes aussi variés que les poux, les dents, la sexualité, la contraception,
les drogues, abandon de la consultation d’alcoologie, etc… Tout est donc fait
pour démontrer que l’exercice en centre de santé n’est pas mieux que la
médecine libérale mais… beaucoup plus cher pour la Ville. Arrêter toutes les actions
spécifiques des CMS était un bon moyen de montrer que la disparition des CMS
n’aurait pas de conséquences sur la politique de santé de la ville.
6ème ACTE. Comme développer la continuité des soins
et la prise en charge coordonnée des patients n’est pas la préoccupation de la
direction à quoi peut servir une infirmière? Préparer les cabinets, faire les
commandes de matériel. Pour cela elles sont trop nombreuses… Bien sur, Il y a
les annexes (toujours elles, les gêneuses) avec initialement1 infirmière
présente tous les jours, assurant les soins les prélèvements de laboratoires,
l’entretien des cabinets et les commandes. Alors la technique habituelle est
mise en place. On réduit les jours de prélèvements de labos à 4 fois par
semaine et en particulier plus les samedis (c’était très utile pour les
patients…alors on commence par là) puis 3 fois, puis 2 fois. L’activité baisse
donc et justifie de diminuer son temps de présence, ce qui amène à ne plus pouvoir réaliser
certains soins, ce qui réduit encore l’activité et donc justifie la diminution
du temps de présence… La spirale est amorcée. De 11 infirmières (dont 1
infirmière cadre) en 2002 on passe à 6 en 2015.
7ème ACTE. La conception d’une médecine de qualité
repose aussi sur la présence d’un bon plateau technique et l’accès pour les
patients à un large éventail de spécialistes (et pour les généralistes la
possibilité d’avoir facilement recours à eux). Tout le monde connait la
difficulté de recrutement surtout pour certaines spécialités mais quand on ne
cherche pas… c’est mission impossible. C’est la technique employée par la
direction se cachant derrière ces
difficultés. L’appauvrissement du plateau technique, en particulier par le non
renouvellement du matériel, réduit encore l’attractivité du centre, pour d’éventuels
spécialistes candidats. Tous ces phénomènes conjugués ont eu pour conséquence, de 2002 à 2015, une diminution
du nombre de praticiens de 30 à 12 spécialistes, ce qui correspond à une
réduction de 8,62 équivalents
temps plein (ET) à 4,21 ET toutes spécialités confondues.
Et
pendant ce temps là on affirme avec force et aplomb du coté de la
municipalité « Nous n’avons pas diminué l’offre de soins ».
8ème ACTE. Sans être paranoïaque, le sabotage de tout ce qui pourrait valoriser les CMS a été décidé.
Voici 2 exemples parlants :
La
demande de praticiens d’être maitres de stage a constamment été ignorée ou
refusée.
L’installation
d’une activité de rétinographie pour les patients diabétiques, projet développé
par une infirmière spécialisée dans l’éducation thérapeutique a été balayé d’un
revers de mains.
EPILOGUE. Il aurait été trop long de raconter les
différentes péripéties ayant émaillé ces dix dernières années, faites de conflits, de résistances, d’avancées
et de reculades de la direction, mais aussi de succès contre l’entreprise de
destruction.
Une
petite histoire, que voici, a trotté dans nos têtes « Pendant la guerre du
Vietnam, un homme tous les matins brandissait une petite pancarte devant la
maison blanche où il était inscrit « PAIX AU VIETNAM ». Un passant
lui demanda pensez vous vraiment changer le monde avec cette petite
pancarte ? Non lui répondit l’homme mais je m’assure, tous les matins, que
le monde ne me change pas… »
Oui, il
faut de la constance pour résister à un mécanisme de quasi intoxication
intellectuelle où dans un premier temps on répète à l’envie que les centres de
santé ne sont pas menacés (alors pourquoi se battre contre une menace qui
n’existe pas.. inutile non). Mais
devant l’évidence, s’inscrit dans nos têtes que leur fermeture est inéluctable
et que rien ne pourra changer le cours des choses (alors là.. c’est trop tard
et c’est aussi inutile).
Le
scénario aurait été parfait si la Maison de Santé avait rencontré l’adhésion
des professionnels libéraux et qu’elle avait attiré de nouveaux praticiens sur
la ville mais ce ne fut pas le cas. En effet, près d’un an après son ouverture,
mis à part l’installation d’un scanner et d’un cabinet dentaire, aucun nouveau
professionnel ne s’est porté volontaire. Seuls des spécialistes consultants
dans un centre privé de la ville ont été obligés de s’y installer, leur bâtiment
ayant été fermé (par la ville ?), car non conforme à l’accès aux
handicapés. Donc elle s’avère incapable d’offrir des prestations qui auraient
permis de fermer définitivement les CMS.
Dans le contexte de
désertification médicale, il est dommage, voir impardonnable car dans l’intérêt
des drancéens, qu’ai été favorisée une vision d’opposition archaïque des 2
systèmes de délivrance des soins sur le département au lieu de privilégier la
complémentarité du secteur libéral et du secteur communal de l’offre de soins,
qui sur le terrain est une réalité de tous les jours. D’autant que la
disparition des CMS mettrait en difficulté nombre de praticiens libéraux qui
souhaitent pour la plus part, le maintien de cette offre sanitaire salariée. On
ne gomme pas 50 ans de partenariat professionnel.
La position raisonnable d’avenir n’est-elle pas
le maintien et le développement des centres de santé, en sachant utiliser les
nouveaux financements dans le cadre du nouvel accord national signé entre leurs
représentants et la CNAM ? Plutôt que de programmer leur extinction
progressive.
Donc…A Drancy Les CMS existent toujours… même si on a souvent du mal à
respirer … Mais nous avons bien l’intention de continuer.